Abrégé de l’Histoire de France, par Bossuet. Partie 4 : les fils de Clovis ou le retour du paganisme ?
Nous vous proposons de revoir votre histoire de France, non pas à l’École de la République, ce serait une antihistoire, ni même à celle des nationalistes monarchistes du XXe siècle, tel Bainville, qui malgré leur bonne volonté ont oublié le Roi et la Religion, mais bien celle qu’apprenait le futur roi sous la direction d’un des plus grands noms de notre histoire : le cardinal Bossuet.
Vous y trouverez tout ce qu’il y a à savoir sur l’histoire de France, dans une optique d’enseignements pratiques de direction, ce dont nous avons cruellement besoin à notre époque plus qu’à toute autre.
Le bon Bossuet, avec une certaine objectivité, se borne à l’histoire et à la vraisemblance, évacuant au passage les aspects les plus improbables de notre légende nationale, dans le but ici de former un bon Roi.
Or, nous avons besoin de bons rois : dans nos familles, dans nos villages, dans nos entreprises et dans nos paroisses ! Alors formons-nous !
La Rédaction
THIERRl, etc. (An 511)
Après la mort de Clovis, son royaume fut partagé par le sort entre ses quatre enfants. Thierri, né d’une concubine avant son mariage, fut roi de Metz ; Childebert, de Paris -, Clotaire, de Soissons; Clodomir, d’Orléans. Sous ces rois, les lois saliques furent rédigées en un seul corps par l’ordre de Childebert, et furent augmentées et corrigées dans les règnes suivants. Clodomir fut tué étant à la guerre contre les Bourgnignons, et laissa trois fils : Thibaud, Clotaire et Clodoalde, dont les deux premiers furent égorgés de la propre main de leur oncle Clotaire : après quoi, ce prince barbare partagea leur royaume avec son frère Childebert , qui avait consenti, quoique à regret, à ce crime (558). Mais Clotaire ayant réuni en sa seule personne les royaumes de ses frères, qui étaient morts sans héritiers (ce qui était l’unique objet de ses vœux), Dieu voulut le punir de la cruauté qu’il avait exercée sur ses neveux, et permit que Cramne, son fils aîné, se révoltât deux fois contre lui. La première, il obtint sa grâce ; mais s’étant révolté une seconde fois, il se retira dans un château où le roi l’attaqua, et demanda à Dieu qu’il lui fit justice de son fils, comme il l’avait faite d’Absalon à David. Sa prière fut exaucée, et l’armée de Cramne ayant été mise en déroute, il fut brûlé par ordre du roi, avec sa femme et ses enfants, dans le château où il s’était renfermé. Après cette expédition, il commença à ressentir de la douleur d’avoir fait mourir ses enfants d’une mort si inhumaine. Il fit un an de pénitence, et abattu de tristesse, il mourut et laissa quatre enfants.
CHILPERIC I, etc. (An 570)
Le royaume fut partagé entre eux de cette sorte : Chilpéric fut roi de Soissons; Chérébert, de Paris; Gontran, d’Orléans, et Sigebert, de Metz. Le royaume de Paris vint à Chilpéric après la mort de son frère Chérébert. Sigebert épousa Brunehaut, fille d Atanagilde, roi des Visigoths, qui habitaient l’Espagne. Chilpéric épousa Frédégonde, femme de basse naissance, belle à la vérité, et d’un grand esprit, mais très méchante, et qui n’oublia rien pour régner. Il s’éleva une guerre cruelle entre Chilpéric et Sigebert, où le dernier ayant eu l’avantage, Frédégonde prit ses mesures pour s’en défaire, afin de rétablir par ce moyen les affaires de son mari. Chilpéric ayant donc été obligé de se renfermer dans la ville de Tournai avec sa femme et ses enfants; la reine Frédégonde gagna deux assassins, qui, étant allés à Vitry, maison royale située entre Douai et Arras, où Sigebert recevait les hommages des Français sujets de Chilpéric, et ayant demandé à parler à ce prince, le tuèrent de deux coups de couteau au milieu de ses principaux domestiques. Ensuite (584), pour assurer le royaume à ses enfants, elle fit mourir ceux que Chilpéric avait eus de son premier mariage. Elle eut perdu aussi quelques-uns des siens. Enfin, peu de temps après la naissance de Clotaire, c’est-à-dire ce prince ayant à peine quatre mois, Chilpéric fut tué en revenant de la chasse. Quelques historiens, mais fort éloignés de ce temps, ont écrit que cet assassinat avait été fait par l’ordre de Frédégonde, parce que Chilpéric avait découvert ses amours avec Landri. Au reste, les anciens historiens, et Grégoire de Tours lui-même, n’ont marqué ni l’auteur ni les causes de ce meurtre, et je ne veux point donner pour certain ce qui ne l’est pas.
CLOTAIRE II. (An 584)
Clotaire II, encore enfant, succéda à son père Chilpéric, et Frédégonde, sa mère, fut régente du royaume. Childebert, roi d’Austrasie, fils de Sigebert, n’eut pas plus tôt appris la mort de son oncle Chilpéric, qu’il songea à s’emparer de Paris; Gontran le prévint, et eut en sa puissance Frédégonde avec son fils; mais cette princesse sut bientôt gagner par ses caresses ce vieillard facile. La guerre se continua entre Clotaire et Childebert, et les armées étant en présence, on dit que Frédégonde porta son fils de rang en rang, et que par ce moyen elle anima tellement les soldats, qu’ils mirent les ennemis en déroute. Frédégonde, non contente de ce succès, envoya sous main deux clercs pour tuer par trahison Childebert et Brunehaut. Ce n’est qu’avec horreur qu’on lit dans Grégoire de Tours les discours que Frédégonde tint à ces deux hommes pour les engager à commettre ces crimes sans crainte. Je ne crois pas que le Vieux de la Montagne, si fameux dans nos histoires des Croisades, en dût tenir d’autres aux assassins dont il se servait. Les deux émissaires de Frédégonde furent découverts, et Childebert les fit mourir au milieu des supplices qu’ils avaient bien mérités, et il ne resta à cette barbare princesse que la honte d’avoir manqué son coup (590). Elle régna plusieurs années après tant de crimes. Clotaire, son fils, recueillit la succession de tous ses parents, et réunit toute la France sous son empire; car son oncle Gontran mourut sans enfants. Childebert, son cousin germain, laissa deux fils : Théodebert, roi d’Austrasie, et Théodoric, roi de Bourgogne, sous la tutelle de leur aïeule Brunehaut. Ils eurent entre eux une grande guerre, où Théodebert fut tué avec son fils. Théodoric mourut peu de temps après et laissa quatre enfants.
Brunehaut, leur bisaïeule (614), songeait à mettre Sigebert, qui était l‘aîné, sur le trône de ses pères. Mais cependant les soigneurs d’Austrasie, s’ennuyant d’être gouvernés par une femme, et gagnés par les artifices de Clotaire, lui livrèrent la reine avec trois de ses enfants. Le seul Childebert s’échappa, et on ne sait ce qu’il est devenu. De ceux qui furent remis entre les mains de Clotaire, il en fit mourir deux; c’est-à-dire Sigebert et Corbe : on dit qu’il pardonna à Mérovée, dont il était parrain; mais depuis, on n’a plus entendu parler de lui. Il fit faire ensuite le procès à Brunehaut, qui fut condamnée à mort. Cette malheureuse reine, attachée par un pied et par un bras à la queue d’un cheval indompté, fut traînée dans des chemins pierreux et pleins de buissons, où son corps fut mis en pièces. Plusieurs soutiennent qu’elle était innocente, mais que Clotaire la chargea de plusieurs grands crimes, pour diminuer l’horreur d’un attentat si odieux et d’un traitement si indigne fait à une reine. C’est ainsi qu’il se rendit maître de toute la Gaule. Il gouverna mieux ce grand royaume qu’il ne l’avait acquis; car il rétablit les lois en leur ancienne vigueur, il rendit très-soigneusement la justice au peuple, et soulagea ses sujets surchargés, en diminuant les impôts (622). Mais il eut toujours de la peine à gouverner les Austrasiens, qui voulaient avoir un roi chez eux ; de sorte qu’il leur envoya Dagobert, son fils aîné, sous la conduite de Pépin, qui fut appelé l’Ancien.
Commentaire de la Rédaction
La conversion peut vite se perdre, et en la matière rien n’est acquis : les fils de Clovis montrent combien la chute est toujours proche et probable.
Là encore, une mauvaise femme invite et incite à la guerre fratricides, dans une conception encore très païenne de la royauté qui trouve sa sacralité dans le sang avant tout : tout prince de sang royal est un roi, il faut donc trucider tous les autres princes pour rester le seul roi…
Ce cycle infernal de la violence, bien décrit par Michel Rouche — à partir de Grégoire de Tours, « qui hallucine », comme qui dirait, de voir tous ces massacres —, n’est arrêté que par la lente maturation d’institutions très chrétiennes, nourries par de nombreux saints et martyrs.