Chretienté/christianophobieCivilisationHistoireLes chroniques du père Jean-François Thomas

           Sur les traces de saint Ignace de Loyola (4), par le Père Jean-François Thomas (sj)

 

Bouleversements et sacerdoce : 1535-1538

Pendant les six derniers mois de 1535, Inigo sillonnera l’Espagne pour régler ses affaires familiales et celles des premiers compagnons. À Loyola, il ne logera pas dans le château familial mais à l’hôpital comme le simple mendiant qu’il est, même s’il voyage sur un cheval acheté par ses amis car il est définitivement handicapé dans sa marche. Il n’oublie pas de catéchiser les enfants, pratique qu’il consignera plus tard comme obligatoire pour tout jésuite, y compris les plus intellectuels. Il prêche les Exercices et il s’occupe des « pauvres honteux », c’est-à-dire de ceux qui sont rejetés ou marginalisés. En même temps, il rencontre les grands, comme le futur Philippe II à Madrid, car il pense déjà à rendre permanentes les œuvres qu’il crée, et il jette les premiers jalons pour une possible fondation d’ordre religieux. Ayant bien occupé ce séjour, il s’embarque pour Gênes et rejoint Bologne à pied. Il a toujours l’intention de préparer le doctorat de théologie, mais Bologne ne possède pas de faculté dans cette discipline et le climat ne convient pas à Inigo. Aussi part-il à Venise, même si cette ville ne possède pas d’université et s’il doit étudier seul. Il n’en oublie pas pour autant son apostolat pour guider les âmes ; En décembre 1536, il rencontrera Gian Pietro Carafa, fraîchement nommé cardinal, un des fondateurs des Théatins avec saint Gaétan de Thiene, homme austère, réformateur mais complexe : les deux personnalités se heurtent. Il deviendra la tête de l’Inquisition en 1542, organisme créé pour appliquer les réformes nécessaires. Cela n’aurait eu aucune conséquence si ce prélat n’était pas ensuite monté sur le trône de Pierre sous le nom de Paul IV en 1555, peu de temps avant la mort d’Ignace. Sa méfiance s’exerça aussi envers la Compagnie de Jésus, comme à l’encontre de certains cardinaux. Ayant choisi comme secrétaire d’état et comme capitaine général de l’Église deux de ses neveux très corrompus, son pontificat fut haï de tous et sa mort célébrée avec joie par les Romains, tandis que son successeur Pie IV fit exécuter les deux neveux causes de tant de maux. Telle est l’atmosphère ecclésiastique dans laquelle Inigo évolue : à la fois un désir de réforme des mœurs à la suite du concile de Trente jamais achevé, et une corruption difficile à extirper.

La guerre reprenant entre Charles Quint et François Ier, à la grande satisfaction du Grand Turc, les compagnons de Paris se regroupent à Venise, traversant les territoires troublés et les Alpes en plein hiver, à pied. La pauvreté est absolue : vie à l’hôpital, mendicité. Ils soignent les malades, ce qui deviendra une partie du noviciat jésuite, l’« expériment » d’hôpital pour s’occuper des plus misérables. Le projet demeure le pèlerinage à Jérusalem mais il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du pape en ces temps délicats. Inigo ne suit pas les compagnons à Rome en avril 1537 car il ne veut pas se retrouver en présence de Carafa, nouvellement appelé par le Souverain Pontife pour s’occuper de la réforme de l’Église. Paul III les recevra magnifiquement. Plein de zèle pour purifier l’Église, il est impressionné par les connaissances théologiques et l’ardeur de ces jeunes gens. Il va leur accorder de grands privilèges : pour ceux qui sont prêtres le pouvoir de prêcher et de confesser partout sans autorisation des Ordinaires du lieu, et, pour ceux qui ne sont pas encore prêtres, – comme c’est le cas d’Inigo -, la permission insigne de se faire ordonner à n’importe quel moment, en n’importe quel diocèse, sous le titre qui leur conviendra et en choisissant l’évêque. Incroyables dispenses dont bien des pontifes après lui devraient s’inspirer ! Ils vont tous être ordonnés entre le 10 et le 24 juin : 10 juin, ordres mineurs ; 15 juin, sous-diaconat ; 17 juin, diaconat ; 24 juin, sacerdoce. L’évêque d’Arbe est choisi pour conférer les Ordres sacrés au titre de la pauvreté volontaire et de la science suffisante. D’un commun accord, ils décident de se préparer dans la pénitence et dans la solitude pendant trois mois avant de célébrer leur première messe. Aussi se dispersent-ils par groupes de deux ou trois dans des bourgades de la Vénétie. Inigo, avec Favre et Laynez, se retire à Vicence, les quarante premiers jours devant être vécus à l’exemple de la retraite de Notre Seigneur au désert. À la fin de cette période d’austérité, tous les compagnons se regroupent à Vicence et célèbrent leur première messe, sauf… Inigo qui espère encore pouvoir le faire à Bethléem ! Comme ils avaient décidé d’une année d’attente pour essayer d’aller en Terre Sainte, ils se dispersent pour les villes universitaires d’Italie afin d’y missionner, tandis qu’Inigo retourne à Rome. Avant de se séparer, ils choisissent le nom de leur compagnie : la Compagnie de Jésus. Le Vicaire Général de Venise leur rédige un certificat de droite doctrine et de mœurs irréprochables.

Vers le 15 novembre, alors qu’Inigo, Favre et Laynez se trouvent aux portes de Rome, le premier reçoit une illumination, la « vision de la Storta » : il avait demandé à la Sainte Vierge de « le mettre avec son Fils », et, dans cette révélation, il voit que « le Père le mettait avec son Fils ». Tous trois s’installent dans une maison au milieu des vignes près de la Trinité-des-Monts et ils poursuivent leur simple apostolat au milieu des pauvres, tout en donnant les Exercices Spirituels. Très vite Paul III va demander à Laynez et Favre d’enseigner à la Sapienza. Inigo poursuit de son côté les œuvres de miséricorde et donne les Exercices à d’influents personnages dont des cardinaux et même au Docteur Mathieu Ortiz qu’il considéra longtemps comme un ennemi. En mai 1538, l’année d’attente pour se rendre à Jérusalem est écoulée, et tous les compagnons rejoignent Inigo à Rome. Le Pape a renouvelé leurs pouvoirs de « prédicateurs apostoliques », ceci à Rome. Une persécution s’abat bientôt sur le nouveau groupe, déclenchée par un Augustin, Agostino le Piémontais, qui passera bientôt au protestantisme mais qui est très influent à la Curie et qui répand de fausses accusations d’hérésie et de mœurs dissolues contre les compagnons, profitant d’une absence du Pape. Inigo ira au devant du Souverain Pontife, de retour de Nice, pour obtenir gain de cause avec une « sentence absolutoire » officielle. En novembre, un pas essentiel est franchi lorsque les compagnons font un acte d’oblation au Pape pour répondre à toute mission nécessaire dans le monde, comme cela avait déjà été formulé par le premier groupe à Montmartre. La première mission reçue sera de catéchiser tous les enfants de Rome. Cet engagement n’est pas encore un vœu puisque la Compagnie de Jésus n’existe pas encore comme Ordre. Les compagnons s’installent dans la maison Frangipani qui deviendra, en cet hiver très rude, un asile pour bien des miséreux. L’année se termine en beauté et en grâce : Inigo célèbre enfin sa première messe le 25 décembre à minuit, à Sainte-Marie-Majeure, puisqu’il sait que, désormais, il ne pourra plus retourner en Terre Sainte.

S’ouvre alors la période de la fondation de la Compagnie de Jésus, ceci alors que les schismes déchirent l’Église. Toutes ces années de préparation d’Inigo et de ses premiers compagnons, apparemment hachées et chaotiques, possèdent une unité : le but poursuivi a toujours été de servir l’Église telle qu’elle est et non point telle qu’elle pourrait être rêvée. Inigo est un réaliste et il ne déviera jamais de cette ligne de conduite. Aimer l’Église avec ses cicatrices, ses blessures, envers et contre tout. Saint Ignace et les Jésuites de cette époque furent d’adroits et d’efficaces couturiers pour repriser les déchirures de la Tunique du Christ. (À suivre…)

 

Jean-François Thomas s.j.

23 octobre 2022

                                                        XXe dimanche après la Pentecôte

 

 

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.