Chretienté/christianophobie

Consolations

Certaines périodes de l’histoire, en plus de notre parcours personnel, ressemblent à des naufrages qui n’ont pas de fin. Il est probable que nous nous trouvions à un tel croisement des chemins, alors que les directions sont brouillées car, depuis plus de deux siècles, les esprits forts et malins n’ont eu de cesse de détruire les poteaux indicateurs, de les remplacer par des mensonges et des aberrations. Que reste-t-il alors dans de telles circonstances, sinon les yeux pour pleurer ? La vie politique devrait créer l’enthousiasme et non point le dégoût, l’ennui ou le scandale, puisque c’est un domaine où l’homme peut exercer avec talent ce que son intelligence, sa sagesse lui dictent. Hélas, les Périclès, les saint Charlemagne, les saint Louis, les Richelieu ont aujourd’hui disparu. En attendant l’homme providentiel envoyé par Dieu, comment trouver la résistance nécessaire contre la tentation chagrine de désespérer, de baisser les bras, d’abandonner la lutte ?

                                   Paul Claudel notait férocement dans son Journal : « Les élections sont l’abdication rabâchée tous les quatre ans par un peuple gâteux. » Et dans une autre entrée : « Tous les quatre ans, la France désigne ses représentants dans un accès de catalepsie alcoolique. » Et encore parlait-il à une époque où le cirque de l’élection présidentielle au suffrage universel n’existait pas encore. Léon Bloy, dans Le Vieux de la montagne, signale justement à propos des élections dites démocratiques : « Le suffrage universel, c’est l’élection du père de famille par les enfants. » Que dirions-nous d’une telle situation dans nos familles ? Nous trouverions cet abus de pouvoir intolérable. Dans la sphère politique, qui provoque depuis si longtemps une grande part de nos désolations et de nos tristesses avec des colères contenues, nous demeurons malgré tout relativement passifs et obéissants, incapables de dire non une bonne fois pour toutes à un système néfaste qui est cependant très adroit pour créer en nous un sentiment de culpabilité si nous n’y participions pas. Il faut dire que les papes depuis Léon XIII n’ont pas rendu la tâche facile. Alors nous nous rongeons les sangs, espérant avec panache un retour à la tradition monarchique française, tout en apportant, inconsciemment, nos voix pour la permanence d’un régime qui a montré, depuis l’origine, ses preuves d’incapacité et de perversité. Nous sommes toujours tentés, au dernier moment, de redonner encore une chance ultime à ce qui n’a cessé de persécuter et de détruire, ceci pour éviter la politique du pire. Tragique décision qui ne peut que nous enfoncer un peu plus profondément dans la déception et le dégoût. Pendant ce temps la Bête et ses suppôts continuent de s’engraisser et de prospérer. Dans L’Invendable, Léon Bloy poursuit : « On espère le salut par le suffrage universel, parce qu’ayant perdu la foi, on croit qu’un mauvais arbre peut donner de bons fruits. Or le suffrage universel est un arbre de mort et de désespoir. Le mauvais apôtre s’y est pendu. Le suffrage universel n’est pas un mal accidentel, c’est un mal absolu. » Nous nous embourbons ainsi dans une situation inextricable puisque nous donnons des gages de fidélité à un système qui nous méprise, nous rejette et qui n’hésiterait pas à remonter la guillotine s’il n’existait désormais des instruments bien plus efficaces et moins spectaculaires pour l’asservissement des esprits. Cependant, tel candidat aux prochaines élections présidentielles n’a pas honte d’afficher son amour dévorant pour Robespierre et de promettre une sixième république où ne manqueraient pas de nouveaux sans-culottes non moins sanguinaires que les précédents. Nous sommes hypnotisés par les araignées tricolores, persuadés que les mouches ne peuvent pas se noyer dans du vinaigre blanc. Notre prophète mendiant notait encore dans Au seuil de l’Apocalypse : « C’est tout de même ahurissant de penser à l’inexplicable autosurvie du régime républicain. » Cela ne l’est pas bien sûr dans une lecture surnaturelle où les instruments de la punition divine pour notre manque de repentir est souvent façonnée par nos propres mains humaines. La république, très éloignée de la république athénienne ou vénitienne, ne respire encore que parce que nous lui insufflons régulièrement sa dose d’oxygène. A cet ennemi devenu traditionnel, s’ajoute désormais le fléau islamique, là aussi permis par Dieu pour dessiller nos yeux, en vain. Nous sommes un peuple au crâne dur et aux idées arrêtées, sans savoir que nous sommes prisonniers de la médiocrité des opinions fabriquées dans des officines parfaitement huilées qui haïssent tout ce que nous aimons. Léon Bloy acheva en 1886 Le Désespéré, ceci après le cataclysme de la Commune de Paris où partit en fumée une partie de notre mémoire épargnée même par la révolution de 1789 : « C’est peut-être l’effet le moins aperçu d’une dégringolade française de quinze années d’avoir produit ces dominateurs, inconnus des antérieures décadences, qui règnent sur nous sans y prétendre et sans même s’en apercevoir. C’est la surhumaine oligarchie des Inconscients et le Droit Divin de la Médiocrité absolue. »

                                   Où trouver quelque consolation sans pour autant se réfugier à l’ombre de cloîtres qui pour la plupart se sont également vendus à l’esprit du monde quand ils n’ont pas été dépecés pour orner les musées et les demeures bourgeoises ? Ne parlons pas ici d’abord de remèdes spirituels, qui existent heureusement et qui survivent à toutes les décadences et à toutes les terreurs. Quelle est la consolation humaine qui peut nous aider à sortir de l’ornière et à combattre les ennemis sans pour autant utiliser leurs armes de sang ? L’écriture, comme celle qui se pratique ici sur ce site, demeure un baume indépassable. A condition qu’elle s’ancre dans une mystique des fins dernières où l’apocalypse et la résurrection sont les pierres angulaires. Nous assistons à l’écroulement d’un monde, sinon du monde, et nous espérons en une renaissance, en apportant, comme nous pouvons, notre contribution, même modeste et visiblement peu efficace au moins pour l’instant. Philippe Muray, dans son journal en 1978, publié sous le titre Ultima necat I, s’interroge, lui qui était alors bien éloigné de la foi : « (…) Pourquoi la transgression réelle, la révolte véritable contre l’ordre du monde passent-elles finalement mieux (parfois) dans une écriture qui s’adosse à l’attente de la fin du monde et se nourrit de la pensée de la résurrection ? » Voilà qui est plutôt consolant. Lorsque nous avons l’impression de partir à l’assaut de moulins invincibles dans leur déliquescence même, nous devons nous ressaisir et ne pas oublier que nous possédons un don inestimable, un trésor qui nous a été confié et qui ne dépend que de nous pour pouvoir fructifier. Soyons comme Don Quichotte rappelant à Sancho : « Ami Sancho, il faut que tu saches que je suis né, par la volonté du ciel, en ce présent âge de fer, afin d’y faire revivre celui d’or, ou le Doré, comme on a coutume de le nommer. » Nous sommes bien appelés à être les artisans d’une résurrection, avec l’aide de Dieu. En attendant, nous pouvons être considérés comme des fous, des insensés, des passéistes – quand les qualificatifs ne sont pas pires – cela importe peu.

                                   Tournons nos regards vers nos pères dans la foi. Ils n’ont pas faibli, y compris dans les règnes les plus abjects des ténèbres de l’histoire humaine. Nous risquons de nous entendre dire, comme Stratonice parlant de Polyeucte dans la pièce de Corneille :

« C’est l’ennemi commun de l’État et des Dieux,
Un méchant, un infâme, un rebelle, un perfide,
Un traître, un scélérat, un lâche, un parricide,
Une peste exécrable à tous les gens de bien,
Un sacrilège impie, en un mot, un Chrétien. »

                                   Il n’empêche que personne ne pourra nous retirer notre consolation, celle que nous ne trouvons pas en ce monde mais qui nous est distribuée chaque jour comme la manne précieuse tombant du ciel.

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

                                                           Samedi des Quatre Temps de Carême

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