Chretienté/christianophobieEditoriauxLes chroniques du père Jean-François Thomas

Un maître spirituel : Monsieur Jean-Jacques Olier (1608-1657), par le Père Jean-François Thomas s.j.

 

 

Il est souvent reproché à Monsieur Olier, curé de Saint-Sulpice à Paris et fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice pour la direction des séminaires, d’être un représentant du « pessimisme augustinien », d’insister sur les anathèmes à l’égard du vieil homme, celui du péché, et de négliger l’homme nouveau, régénéré par l’esprit. Cette critique est injuste, caricatural. Elle est tellement répandue qu’elle a sans doute empêché la canonisation de celui qui eut le cardinal de Bérulle comme ami, le Père de Condren comme directeur spirituel, et qui mourut assisté et administré par saint Vincent de Paul. Monsieur Olier commença par se préparer à la vie sacerdotale en étant vaniteux et carriériste. Ses capacités intellectuelles et la lignée familiale lui promettaient des charges prestigieuses. Malgré tout, le soutien de saint François de Sales fut le premier signe qu’il était marqué pour sortir de cette médiocrité. Un pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette, puis sa retraite d’ordination prêchée par Monsieur Vincent, le retournèrent entièrement. La Bienheureuse Mère Agnès de Jésus, en 1631, eut une vision où Dieu lui demanda de prier pour le Père Abbé de l’abbaye de Pébrac dont Monsieur Olier était le commendataire, et ce dernier, en 1633, bénéficia d’une vision de cette religieuse qui lui était inconnue. Ces grâces insignes le conduisirent à refuser toute promotion ecclésiastique et à devenir peu à peu le mystique et l’homme de Dieu que la postérité nous a fait connaître.

Alors qu’il façonna, pour au moins les deux siècles qui suivirent, le prêtre voulu par le concile de Trente, sa spiritualité, gemme de l’École française, est aujourd’hui bien méconnue, y compris dans les séminaires. Le centre de son attachement à Dieu est la communion à la louange du Fils envers le Père, en méditant les mystères de la vie de Notre Seigneur et en vivant des vertus qui en découlent. Dans ses ouvrages Vie et Vertus chrétiennes et Catéchisme chrétien, il souligne l’importance de l’humilité pour accueillir ce qu’il appelle « l’Esprit de Jésus-Christ », à savoir « le Saint-Esprit qui habite en lui. » Cette vertu est selon lui la première branche de la Croix, tandis que la mortification est la seconde, et la pauvreté la troisième. Trois degrés sont propres à l’humilité. Le premier point est « d’aimer sa propre vileté et sa misère », « sa propre abjection », non point pour s’y complaire mais pour détester son péché tout en se reconnaissant infirme : « Connaître qu’on ne vaut rien, qu’on ne sait rien, et se plaire dans cette vue et dans cette connaissance. » Le second point, donc en gravissant une marche supplémentaire, est « d’aimer sa vileté, sa bassesse et son néant dans l’esprit d’autrui aussi bien qu’en soi-même, c’est-à-dire d’aimer d’être connus pour vils, pour abjects, pour néant, pour péché, et de vouloir passer pour tels dans l’esprit de tout le monde. » Voilà qui paraît bien excessif à nos mentalités contemporaines habituées à réduire au plus petit dénominateur commun l’exercice des vertus. Mais le Grand Siècle ne l’est pas seulement pour sa politique et pour ses arts. Il l’est d’abord pour la profondeur de sa vie intérieure, fort bien partagée dans toutes les couches de la population. Le discours de Monsieur Olier ne surprend pas et ne choque point. Quel est son but ? Écraser le fidèle sous la culpabilité et la mésestime de soi ? Certes non. Il redresse le regard vers ce qui seul importe : « Il faut que Jésus-Christ paraisse seul en tout, et que nous ne paraissions point : il faut détruire son être propre, et être revêtu de Jésus-Christ, pour e paraître que sous lui et en lui. Ce qui donne un désir et une sainte affection de ne rien opérer par soi-même et rend fidèle à renoncer à soi intérieurement, travaillant à mortifier son esprit propre et sa volonté en toute occasion, en sorte qu’on en vienne jusqu’à vivre dans cet esprit de mort intérieure ; que l’esprit propre ni la volonté n’y opère plus par soi ; mais que l’un et l’autre ne soient qu’en simple coopération au Saint-Esprit, qui anime l’intérieur et qui vivifie les puissances. » Donc revêtir la livrée de Notre Seigneur en se laissant pénétrer par le Saint-Esprit. Il n’est pas étonnant de découvrir, parmi les tableaux de la chapelle du séminaire, -bâtiments aujourd’hui détruits, la toile de Charles Le Brun exécutée en 1654, commandée par Monsieur Olier, représentant la Descente du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte (aujourd’hui au Louvre). Ce n’est pas là une représentation doloriste de la foi, mais au contraire un jaillissement de lumière, de feu, qui met en pièces cette « vileté » qu’il faut d’abord reconnaître pour être empli de cette puissance du Saint-Esprit. Rien de pessimiste, d’accablant dans cette vision mais au contraire un jaillissement qui permet de se donner tout entier à Dieu.

Ainsi, la mortification, seconde branche de la Croix, ne sera pas seulement une ascèse qui découpe et qui décape, mais le moyen pour agir selon l’Esprit en maîtrisant la chair. Elle est la condition pour que le Saint-Esprit choisisse notre âme comme demeure. Le chrétien ne vit plus sous l’empire de la chair. Il la réprime afin que le Saint-Esprit puisse accomplir « en nous ce qu’il veut, et nous porter à ce qu’il désire. » L’esprit de sacrifice, l’expiation pour nos péchés nous conduisent à l’accueil sans réserve du Saint-Esprit. Quant à la pauvreté, troisième branche, elle est une conséquence logique de notre attrait pour le Maître : « Une âme retirée en Dieu, et revêtue des dispositions de Jésus-Christ, trouvant en lui de si grandes richesses, ne peut avoir de goût pour les biens de la terre : et si elle en avait la moindre estime, elle serait semblable à un roi qui, n’étant pas satisfait de sa gloire et de sa majesté, rechercherait dans la bure d’un paysan ses richesses et sa braverie. » Pauvreté extérieure et pauvreté intérieure, ceci certes en esprit de pénitence, mais aussi parce que nous sommes tous des monarques de par notre baptême et que notre richesse ne peut résider dans ce qui est de piètre qualité. Il est hélas trop vrai que nous cherchons notre « braverie » dans ce qui est le plus bas et non pas le plus élevé. Notre seigneurie est plutôt riche de « vileté » !

Si une telle spiritualité apparaît rude au premier abord, elle rejoint pourtant celle de saint François de Sales et de tant d’autres mystiques de l’époque. D’ailleurs Monsieur Olier précise que « la vertu de douceur est la consommation du chrétien. Car elle présuppose en lui l’anéantissement de tout le propre, et la mort à tout intérêt : en sorte que ni le mépris ne l’irrite, ni la perte des biens et du repos de la vie ne le tire de la douceur. » Notre amour-propre n’accepte guère une telle pratique et la persévérance nous manque, réduisant à néant notre atteinte de la douceur. Notre monde moderne y est encore plus étranger, regardant la douceur comme une faiblesse. Le catholique suit le mouvement et préfère trop souvent la violence envers les autres, pas forcément physiquement mais par la parole qui blesse ou bien celle qui est grosse de vanité, de prétention, d’orgueil.

Monsieur Olier, en dirigeant notre regard et notre âme vers le Saint-Esprit, est une preuve suffisante que l’Église d’alors n’avait pas relégué la troisième Personne de la Sainte Trinité dans des oubliettes cléricales. Il reste tant à accomplir pour que la descente du Saint-Esprit dans nos cœurs porte vraiment des fruits d’abandon et de douceur.

 

Jean-François Thomas s.j.

                                          8 juillet 2022, Sainte Élisabeth du Portugal

 

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