Entretien avec le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme
Depuis le mois de mars 2013, le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme nous fait l’honneur d’un éditorial mensuel, chronique d’actualité politique, réflexion souvent mordante sur la vie de notre pays. La publication de son essai, Le Bon sens au pouvoir, aux éditions Lacour-Ollé, a marqué la fin de l’année 2016 dans le monde royaliste, avec un certain succès, mais surtout un engagement politique au plus proche des réalités françaises.
N’est-il pas temps de mieux connaître ce héraut fidèle de l’esprit capétien en France ?
Gabriel Privat : Monseigneur, en guise d’introduction, pourriez-vous résumer en quelques mots, pour les lecteurs de Vexilla Galliae, votre parcours ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Durant mon enfance et mon adolescence, j’ai reçu une éducation très stricte. Peut-être était-elle d’un autre temps. Cependant, elle m’a façonné et a contribué à me rendre tel que je suis en me transmettant des valeurs, celles de ma famille, celles de mon pays. Mes années de scolarité se sont passées de pensionnats en pensionnats et là j’ai développé, face à la rudesse parfois excessive de nos maîtres, un franc esprit de camaraderie. Il fallait bien se serrer les coudes et faire preuve d’inventivité pour échapper aux punitions et s’amuser par des facéties toujours bon enfant mais aux dépens de l’institution. Ces années furent pour moi, aussi, un temps de rébellion, et j’avais besoin, pour me retrouver moi-même, d’un autre air.
Mon baccalauréat en poche je suis donc parti aux Etats-Unis, en Floride, où j’ai réalisé toutes mes études supérieures, obtenant un MBA en Business administration, avec une spécialisation en marketing et en biologie marine. Après ces études, j’ai commencé à travailler, toujours aux Etats-Unis, d’abord dans une compagnie aérienne, puis comme « stock broker », et enfin dans l’immobilier. Mes séjours en France devinrent épisodiques, hormis mon service militaire, que j’effectuai au 3e régiment de hussards, en Allemagne.
En tout, j’ai passé dix ans aux Etats-Unis. Ce fut pour moi l’apprentissage de la liberté, qui, ajouté à l’acceptation pleine et entière des valeurs que j’ai reçues dans l’enfance, a largement fait ce que je suis.
Gabriel Privat : Quelles furent les raisons de votre retour en France ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Au bout de neuf ans de présence aux Etats-Unis, la possibilité me fut offerte d’obtenir la nationalité américaine. Je n’étais pas revenu en France depuis trois ans. On peut dire que toute ma vie était devenue américaine. Mais cet épisode fut pour moi un déclic. Devenir citoyen américain, cela exigeait de prêter serment de fidélité à ma nouvelle patrie sur le drapeau des Etats-Unis, à renier mon ancienne appartenance nationale et à me déclarer prêt à toujours défendre les Etats-Unis, y compris contre mon ancienne nation. Je comprenais tout à fait que les Etats-Unis exigeassent de moi ces conditions, et je trouverais normal qu’il en fût de même en France. Mais je considérais justement ces exigences incompatibles avec mon attachement à la France. Surtout, j’estimais et je crois toujours, qu’un Bourbon ne peut pas renier la France. C’est impossible.
Pour cette raison, je décidai de rentrer.
Gabriel Privat : De retour en France, comment s’est organisée votre vie ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Très concrètement, il m’a fallu tout abandonner en quittant les Etats-Unis. De retour à Paris je devais me trouver de nouveau un travail et rebâtir une vie. J’ai alors travaillé de nouveau dans l’immobilier, dans l’industrie de précision, puis dans l’industrie agro-alimentaire, et aujourd’hui de nouveau dans l’immobilier. Tout cela a pris forme au commencement des années 1990. C’est aussi à cette époque-là que j’ai rencontré celle qui allait devenir mon épouse, la princesse, avec laquelle j’ai eu l’immense bonheur d’avoir quatre enfants.
Gabriel Privat : Evoquons toujours votre parcours ; y a-t-il eu, dans votre formation intellectuelle, des auteurs ou des mouvements de pensée qui vous ont marqué plus que d’autres, contribuant à vous façonner ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : De naturel curieux, je me suis intéressé avec sincérité à tous les livres que j’ai pu lire, à toutes les figures intellectuelles que j’ai rencontrées, qu’elles soient historiques, politiques, philosophiques, scientifiques, etc.
Par ailleurs, je considère que ma formation intellectuelle n’est pas terminée. Elle se poursuit chaque jour, à chaque instant. Je suis à l’affut de tout ce que je vois et entends. Je considère qu’il faut s’intéresser à tout. Rester curieux de tout et d’une solide capacité d’émerveillement. En somme, ne pas avoir de préjugés et l’esprit aux aguets.
Gabriel Privat : Mais par ailleurs, puisque vous évoquiez les valeurs à l’instant, quelles sont celles qui vous animent comme homme, aujourd’hui ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Il n’est pas aisé de vous répondre. Permettez-moi de le faire par une anecdote.
Il y a quelques années, à Paris, je fus témoin de l’agression d’une voiture par deux voyous en moto. Ceux-ci venaient de briser la vitre d’une automobile pour s’emparer du sac à main d’une dame au volant. Je suis immédiatement intervenu pour neutraliser les deux malfrats. Lorsque la police, arrivée sur les lieux, me demanda la raison de mon geste, je leur répondis que je n’avais pas imaginé un seul instant agir autrement. Cela m’avait semblé le plus naturel du monde. Je fus, pour cet acte, décoré de la médaille du courage et dévouement.
Cette histoire résume mes valeurs. Je ne supporte pas l’idée même de rester inactif devant l’injustice, quelle que soit la situation. C’est la raison, d’ailleurs de la publication de mon essai.
Gabriel Privat : Ces valeurs sont-elles partagées par vos enfants ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Autant que possible, je tente de les leur transmettre, avec tout l’esprit qui fait notre famille. Chacun à sa manière tâche d’y être fidèle et d’en vivre, avec les avantages, les inconvénients et les exigences que cela comporte.
Gabriel Privat : La famille joue-t-elle un rôle, aujourd’hui, dans votre vie ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : C’est le plus beau cadeau que j’ai reçu. La plus belle chose, pour moi, au quotidien, est d’offrir et partager mes valeurs avec mes enfants. C’est, par eux, un cycle de mille ans qui continue.
Gabriel Privat : Par ailleurs, y a-t-il des lieux qui comptent plus que d’autres dans votre vie ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Depuis toujours je suis attaché à la pierre et aux choses. Il y a des lieux que j’affectionne tout particulièrement, qui éveillent en moi un grand attachement. Mais plus que tout, ce sont des événements qui comptent pour moi. Ces événements, brefs, mais très intenses, sont liés à des lieux. Ils peuvent avoir été grandioses ou anodins. Mais ils demeurent gravés dans mon cœur et contribuent à mouvoir ma réflexion.
Je me souviens par exemple de ce jour magnifique où je chevauchais au galop, avec ma fille, dans les allées d’une plantation de pommiers en fleurs. Ceux-ci s’étalaient sur une longue distance. L’herbe était d’un vert éclatant, le ciel parfaitement bleu. Je me revois encore galoper à côté de ma fille, au milieu de ces fleurs couvrant les arbres, dans ce temps clair, et cette belle union avec la nature me rassérène autant qu’elle m’ouvre l’intelligence.
Plus prosaïquement, il faut savoir détecter chaque instant de bonheur dans nos journées. Ils font que nos vies sont belles et nous donnent l’envie d’aller de l’avant.
Ma vie est remplie de ces moments. Il faut savoir ouvrir son esprit pour les capter.
Gabriel Privat : Votre position princière et vos engagements font de vous une personnalité publique. En quoi toutes ces expériences ont-elles nourri vos engagements ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Dans mon enfance on m’a profondément inculqué le sens du devoir. Mon passage aux Etats-Unis m’a donné un indomptable goût de la liberté et m’a donné de me découvrir moi-même. Tout cela forme un ensemble. Mais par ailleurs, les métiers que j’ai exercés m’ont mis en relation avec la réalité du pays, avec le labeur, le travail en entreprise, et c’est en écoutant, en prenant des notes sur tout ce dont je fus témoin depuis des années que mon engagement s’est peu à peu construit.
Gabriel Privat : Après votre retour en France, quelles furent vos actions publiques ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Parmi toutes celles qu’il me fut donné de réaliser ou auxquelles j’ai participé, j’en retiendrai deux principalement :
La première et la plus importante pour moi fut la remise du cœur de Louis XVII à la basilique de Saint-Denis. C’est celle dont je suis le plus fier, d’une part. D’autre part, ce fut une école politique extraordinaire. Pendant six mois, afin de réaliser cette cérémonie, il m’a fallu affronter les recoins de la haute fonction publique, les antichambres de nos dirigeants politiques et me frotter à eux pour obtenir l’impensable, que le cœur de l’enfant du Temple, un roi de France, rejoigne, le 8 juin 2004, la sépulture de ses parents. La question était politique, et j’ai découvert, pour la première fois de ma vie, cet univers de chausse-trappes, de jeux de puissance et d’intérêts qu’est le monde politique. Nous n’imaginons pas à quel point le fait de vouloir bouger la moindre once d’habitudes assises provoque des crispations et des blocages à tous les niveaux.
La seconde action que j’aimerais évoquer fut mon opposition à l’exposition des œuvres de Jeff Koons au château de Versailles. Je reprochais à cette exposition de ne pas dévoiler la vraie nature des œuvres montrées. Par exemple, sur la table de la chambre de Marie-Antoinette était exposé un amusant bouquet digne de Mary Poppins. De prime abord, il n’y a rien à dire contre cela. Sauf que le bouquet s’appelait « les 140 culs » et avait été intégré dans une précédente exposition, de photographies celle-là, où Jeff Koons exposait des prises de vues de son postérieur et de celui de son épouse, ancienne star du cinéma pornographique. Vous vous doutez bien que la nature de l’œuvre, son histoire et son titre n’avaient pas été précisés par le château de Versailles. Je ne pouvais pas accepter que ce genre de bouquets ornassent la table d’une reine de France. Ce fut la raison de mon combat et je reste, encore aujourd’hui, très touché par les marques de soutien que j’ai reçues, à cette occasion, de toute la France.
Gabriel Privat : Par ailleurs vous avez fondé, en 2005, une association politique, Nouveau Dialogue. Que pouvez-vous en dire ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Nouveau Dialogue est avant tout une association de débat et de réflexion. Depuis 2005 j’ai souhaité, d’une part, continuer à m’instruire politiquement par l’organisation de conférences. Mais d’autre part aussi offrir cette même possibilité à un public élargi. Dans ces conférences je suis très attaché à ce que tous les sujets puissent être abordés, par des experts des questions en jeu, avec une totale liberté de ton, ce qui explique mon opposition à tout enregistrement des conférences, afin de préserver cette liberté, si rare aujourd’hui.
Gabriel Privat : Comment voyez-vous l’avenir de cette structure ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : J’espère que Nouveau Dialogue restera lui-même, c’est-à-dire un centre de liberté d’expression.
Gabriel Privat : Vous venez d’évoquer le désir de faire partager vos découvertes, vos réflexions, les savoirs que vous receviez. Cela me porte à traiter la question de votre essai, Le Bon sens au pouvoir, publié à la fin de l’été 2016. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble à la préparation de certains aspects de ce livre. Mais plusieurs questions sont toujours demeurées en suspens ; notamment, quelles furent les raisons qui vous motivèrent pour écrire cet ouvrage ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Ce livre est une étape capitale dans mon parcours de formation intellectuelle. Curieux de tout depuis toujours, j’ai la manie de prendre, dès que je le peux, des notes sur ce que je vois et entends. Après mon retour en France, entre les petits déjeuners dans les cafés parisiens, les dîners en ville, les voyages en train, les heures à lire le journal ou écouter les informations, mes petits carnets se sont vite remplis de tout ce que je voyais de la société française en marche.
Un jour, le bol a débordé et j’ai souhaité faire partager mes réflexions, mes années de notes, afin de trouver une solution aux maux de notre pays. Je ne prétends pas avoir la solution. Mais j’ai essayé de proposer des pistes.
La critique est facile. Il faut surtout proposer et agir.
Gabriel Privat : Comment ce livre a-t-il été reçu depuis l’été ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Autour de moi le livre a été reçu avec étonnement souvent. J’avais souhaité rester discret le plus longtemps possible sur la préparation de ce travail. Beaucoup de gens ont été surpris de voir paraître ce livre, puis par son contenu. J’ai bien sûr reçu des critiques, mais aussi beaucoup de compliments qui m’ont fait chaud au cœur et conforté dans la voie que je venais d’emprunter.
J’ai été surtout intéressé par les réactions de mes lecteurs républicains ou des républicains ayant entendu parler de ce livre. Peu d’animosité finalement, mais souvent un accueil bienveillant et une véritable ouverture à la réflexion. Certains, il est vrai, ont préféré ignorer le livre et n’en pas parler car son contenu les dérangeait. Il est vrai que pour eux, il n’est plus de notre rôle, à nous citoyens ordinaires, de nous mêler de politique. Ce champ leur est réservé, pensent-ils, ces républicains professionnels de la vie élective…
Gabriel Privat : Comment voyez-vous votre engagement politique après la publication de ce livre ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : La difficulté que j’ai eu à trouver un éditeur m’a rappelé à quel point le système politique français était verrouillé. Je l’avais déjà expérimenté avec l’affaire du cœur de Louis XVII. Cette nouvelle expérience me montre que malgré mon désir d’engagement, les grands partis noyautent tout et il est très difficile, voire impossible, de se faire une place sans leur consentement, que ce soit pour obtenir les parrainages indispensables à la participation à l’élection présidentielle, ou que ce soit pour obtenir des financements publics.
C’est pourquoi, pour le moment, je souhaite en rester au partage d’idées, à la réflexion et à ce rôle de poil à gratter, discret mais actif, que j’ai adopté et où je peux donner ma mesure sans me faire écraser par les partis en présence. C’est ma manière de rendre un témoignage vivant et actif, de maintenir la flamme et de répandre un espoir en vue de l’avenir que j’espère meilleur.
Par ailleurs, je tiens à souligner que je n’ai jamais adhéré à aucun parti politique.
Gabriel Privat : Considérant ce dernier point, comment voyez-vous l’action des mouvements royalistes engagés en politique, aujourd’hui ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Par principe je donne toute ma sympathie et mon soutien aux mouvements royalistes, quels qu’ils soient, qui s’engagent pour que vive et progresse la flamme du roi. J’ai, cependant, un immense regret ; celui de voir chacun de ces mouvements agir isolément et cultiver toutes les mauvaises raisons pour ne pas se tendre la main l’un vers l’autre. Il y aurait, j’en suis persuadé, des choses extraordinaires à réaliser en commun si ces groupes oubliaient un peu leurs intérêts particuliers au nom du bien commun.
Gabriel Privat : Au terme de cet entretien, avez-vous un mot de la fin à transmettre à nos lecteurs ?
Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme : Quelle que soit la situation, il faut toujours essayer de voir le caractère positif de la chose. Rien n’est jamais perdu, et même lorsqu’il n’y a que de la noirceur devant nous, on doit encore utiliser celle-ci pour grandir en pensant à d’autres voies possibles pour y échapper. Pour cela il ne faut pas hésiter à regarder toutes les solutions, sans a priori, y compris les chemins de traverse.
Gabriel Privat