Lettre d’un émigré – La démocratie royale
La restauration royale au Japon de l’ère Meiji manifeste ce que l’on aurait envie d’appeler un miracle par sa réussite dans une situation pourtant pleine de dangers et de chausse-trappes, où cent fois le Japon aurait pu s’abîmer et finir comme la pléthore des pays balayés par le typhon européen et par la cisaille moderniste et révolutionnaire.
Un point cependant pourrait paraître comme un grain de sable pour un sujet du Royaume de France : la conscription. Le Japon de Meiji s’empressa en effet de mettre en place une armée moderne et la conscription, sans que cela ne semble avoir fait de remous ou de débats particuliers[1]. On aurait pu s’attendre du moins au regret languissant de devoir abandonner la saine société féodale et chevaleresque, avec son code d’honneur et sa noblesse, pour une armée de conscrits, dont la moralité pourrait sembler plus tangente, mais surtout dans la rage dépitée du chevalier qui faillit à son devoir en devant reconnaître la nécessité de laisser se battre ceux qu’il devrait pourtant protéger, dans l’esprit traditionnel du chef servant…
La gêne vient en réalité de la prégnance de l’expérience révolutionnaire, qui usa de la conscription pour détruire le tissu français traditionnel, tout en donnant une illusion de puissance à l’extérieur – la France était puissante, certes, mais rien, si ce n’est la conscription, ne peut expliquer qu’il eût fallu que tous les pays européens se liguent contre la Révolution pour la vaincre, vu que tous les autres pays refusèrent, peut-être imprudemment, d’user de la conscription – et en permettant une exportation facile de la révolution par les désolations de la guerre et la violence gratuite des profiteurs divers, dont la révolution arrangeait bien leurs affaires de rapaces.
La grande plaie de la Grande Guerre résonne de la même façon dans la grande arnaque républicaine : nos aïeux croyaient mourir pour la France, ils furent de la chair à canon pour maintenir la République laïcarde et corrosive de tout lien social – impardonnable.
Seul le contingent en Algérie fut hors de la manipulation politique républicaine, mais il était déjà trop tard et l’esprit doucereux et séducteur de la mollesse et de l’égoïsme dissolvant avait déjà gagné tout le corps social, dont les liens, déjà affaiblis par de nombreuses violences, ne demandaient qu’à se délier sous leur propre poids d’affaissement… Nous avons eu évidemment beaucoup de preux durant ces temps troublés, mais sans Roi, et de plus, la pseudo-tête de l’époque allait dans le sens inverse de la bonne voie…
La conscription attire ainsi naturellement beaucoup de suspicions et, dans sa version révolutionnaire, d’inspiration romaine pour son idéal inutile, elle ne peut manquer de se faire condamner en bloc et définitivement – et à raison.
L’exemple nippon montre pourtant que l’impossible, dans des conditions appropriées, est possible : ce que jamais ne put être la conscription chez nous, c’est-à-dire un conservatoire de tradition et non son destructeur, le fut là-bas. L’enchaînement infernal de l’Europe et de l’Occident depuis la révolution rendit certainement impossible tout autre usage de la conscription si ce n’est pour de faux idéaux, et une fuite en avant créateur de désordres et d’instabilités chroniques toujours propices à la révolution, qui se reconvertit paradoxalement ensuite dans un ordre de type napoléonien inflexible et systémique, de surface et matériel, dans la même logique de contrainte de la forme, de la matière, de l’apparence dans la superstition révolutionnaire que la conversion des cœurs peut se faire par la contrainte et la violence. L’ordre stérile du XIXe laissa les cœurs à la dérive, guidés encore quelque peu par l’Église qui ralentit la chute, mais n’inversa pas son mouvement – car la stérilité systémique du pouvoir de nature révolutionnaire, sans plus de sacré, ne peut que contribuer à perdre les âmes et inciter à la destruction des liens, puisque les élites abusent, manipulent prévariquent allégrement, même si cela pouvait être intermittent, subtil et minoritaire ; du moins l’abus était déjà vu comme un bien, et c’est là que la contre-révolution perdit dans la durée. La troisième gueuse acheva le processus par la double violence de la laïcité puis de la guerre, qui permit à la République de couper court le souffle aux forces vives du Royaume, dont les sujets restaient sujets dans leurs actions, même si leur conscience s’effaçait progressivement et se rendait sans combattre aux feux révolutionnaires. Aujourd’hui, les sujets de France n’ont pas la conscience de sujets et n’agissent plus comme des sujets ; du moins plus personne n’irait par idéologie véritable contredire le Royaume, car la déliquescence ambiante ne peut que faire prendre conscience des échecs répétés et inéluctables de la logique révolutionnaire, ou, autrement dit, de la logique républicaine.
Que s’est-il passé au Japon ? L’inverse. Pas de révolution là-bas, mais un pays traditionnel qui a vu venir la menace occidentale – non certes peut-être dans sa composante purement révolutionnaire mais le Japon sentit la volonté de démesure et d’invasion occidentale de façon aiguë et visionnaire. L’esprit pragmatique chevalier allié à l’esprit intransigeant du traditionnel donna la restauration de Meiji et l’organisation ultérieure de l’armée : dans l’esprit, rien ne changea. Les valeurs chevaleresques se transmirent, et de toute façon la majeure partie de l’armée de l’ère Meiji était composée de familles de chevaliers, tout simplement.
La conscription fut admise comme une nécessité pragmatique : sans elle, la survie en tant que pays souverain et indépendant n’était pas possible. La malédiction révolutionnaire s’arrêta peut-être là-bas : pour une des premières fois un pays n’attendit pas de chuter et de se faire envahir pour ensuite mettre en place une conscription déjà contaminée par le modernisme instillé par la défaite et l’invasion, et augmentée par le virus intellectuel révolutionnaire dans le pays même. Le Japon n’attendit pas, et fit à plus grande échelle ce qu’il fit pendant deux siècles : élargir l’armée dans l’esprit chevaleresque et dans le but de maintenir sa souveraineté et son indépendance. L’ère Edo était peuplée de chevaliers, la société la plus militarisée de l’histoire du Japon ; le Royaume restauré eut pléthore de bons chevaliers, d’officiers pour servir chevaleresquement – c’est-à-dire dans l’honneur et le dévouement qui peut parfois désobéir dans ce panache si particulier du mousquetaire gascon – dans l’armée royale, sous la direction royale.
Une armée de conscrits dans un royaume traditionnel ? Il ne s’agit pas d’abaisser l’esprit, mais de multiplier les ministres royaux. Le chevalier est en quelque sorte un ministre royal, en ce sens qu’il relaie l’esprit royal, le protège et l’étend. La conscription traditionnelle ne peut exister que si ses soldats s’élèvent au rang de ministres royaux. Il ne s’agit pas de faire disparaître la noblesse et la chevalerie, mais de faire de tout sujet militaire un chevalier noble digne d’être ministre royal.
Cela est immensément difficile à réaliser, car cela suppose un pays déjà profondément traditionnel, où déjà l’esprit de ministériat est bien implanté partout. Rappelons d’ailleurs qu’en dehors des considérations militaires, la société traditionnelle a cette saine capacité d’étendre la noblesse, c’est-à-dire l’esprit de vérité et de bonté, partout dans la société. Au fond, et sans que cela ne contredise la diversité des métiers et des conditions, puisque que quelle que soit sa place il est possible d’être un saint, tout sujet a vocation à devenir noble, au sens spirituel du terme, à devenir un saint, ou encore à devenir ministre royal, c’est-à-dire sujet entier – opposé à objet – qui agit et incarne un sujet conscient de sa condition de sujet, et incarnant l’esprit royal, qui participe de l’esprit divin par excellence.
Et le Japon parla ainsi des Sujets, à cette époque, par l’adjonction de deux mots traditionnel, qui signifient littéralement ministre-sujet (ou ministre-peuple mais le mot « peuple » fut si maltraité par la révolution qu’il en devient plus difficilement utilisable en Français – peuple dans son sens premier de sujet, d’homme vivant dans le pays, avec ses particularités et sa constitution propre, rien de plus, rien de moins). Les ministres-sujets ou esprit chevaleresque du plus grand nombre. Voici une démocratie royale bien pure – rien à voir avec un système démocratique, ou ce que l’on entend avec la démocratie aujourd’hui – mais bien ce mouvement royal traditionnel de tirer tous les sujets vers le haut.
Nous ne pouvons appeler que de tous nos vœux les sujets du royaume de France à s’évertuer à incarner le plus authentiquement possible l’esprit royal par excellence, en étant de bons ministres de Notre bon Roi Louis.
Pour Dieu, pour le Roy, pour la France
Paul de Beaulias
[1] Ce dernier point du moins reste à vérifier dans les débats de l’époque. La seule chose sûre c’est que les analystes contemporains et chercheurs n’abordent que peu la question et ne reviennent qu’en passant dessus.