Chretienté/christianophobie

Chrétiens d’Orient (1. Égypte)

Dimanche 11 décembre, un attentat à la bombe perpétré pendant la messe a fait 23 morts et 49 blessés, dont de nombreux dans un état grave. Toutes les victimes, à une exception près, étaient des femmes et des enfants. Cet acte odieux a été commis à l’église Botrossiya, elle-même située dans l’enceinte de la cathédrale copte orthodoxe du Caire. Selon des sources proches de l’enquête, la bombe a été introduite dans une poussette et placée dans la section de l’église réservée aux femmes et aux enfants. L’engin pesait près de douze kilogrammes et contenait des fragments métalliques destinés à déchiqueter les victimes. Qu’ont donc fait les Chrétiens égyptiens pour susciter un acte aussi haineux, eux qui sont marginalisés et souvent persécutés depuis tant de siècles? La réponse à cette question n’est malheureusement que trop évidente : ils existent encore, envers et contre tout, et cela est tout simplement inacceptable pour certains.

Ces Chrétiens craignent pour l’avenir de leur communauté et parfois même pour leur vie. Depuis trop longtemps, les Coptes font face à de nombreuses difficultés, malgré leur nombre et l’ancienneté de leur Église, fondée par Dionysos autour de l’an 240. Il y a entre six et sept millions de Coptes en Égypte, soit près de 10 % de la population égyptienne. De fréquents assassinats de chrétiens ont lieu, en particulier en Haute-Égypte. Le pire des incidents récents fut celui qui ensanglanta la veillée de Noël copte du 6 janvier 2010. Cette nuit-là,  l’église de Nag Hamady, à 60 kilomètres de Louksor, était remplie de fidèles. À la fin de la messe, alors que la foule sortait de l’église, un tireur à bord d’une voiture ouvrit le feu. Le bilan fut particulièrement lourd. Six fidèles furent tués ainsi qu’un policier musulman qui avait eu le malheur d’être en faction devant l’église. Cet incident, aussi sanglant fut-il, n’était pas, hélas, un cas isolé. Depuis les années 70, avec la montée en puissance des mouvements islamistes fondamentalistes, la violence sectaire a fortement augmenté en Égypte. La population chrétienne se sent de plus en plus marginalisée. Obtenir les autorisations nécessaires pour construire une nouvelle église est un processus très long et très compliqué et les refus sont fréquents. Par contre, c’est beaucoup plus simple et plus rapide pour édifier une nouvelle mosquée. Même l’autorisation de restaurer les églises existantes est difficile à obtenir. Afin de tenter de juguler le danger représenté par le mouvement des Frères Musulmans, principale force d’opposition, le régime de Moubarak avait progressivement cédé du terrain dans les domaines sociaux et éducatifs.  L’islamisation progressive de la société  a largement contribué au sentiment d’exclusion ressenti par les chrétiens. L’épisode du massacre des porcs, à la fin du mois d’avril 2009, a encore ajouté aux frustrations chrétiennes. Prenant prétexte de l’épidémie de grippe dite « porcine » (alors que pas un seul cas n’avait été détecté en Égypte), le gouvernement donna l’ordre d’abattre tous ces animaux dont le nombre était estimé à 250 000. En l’espace de quelques jours, 57 000 porcs furent tués, dans des conditions épouvantables. Ils appartenaient à des chrétiens, presque tous de malheureux « zebbalines », les chiffonniers du Caire. Ces gorets leur avaient été distribués par l’association fondée par sœur Emmanuelle, afin de les aider à payer les frais de scolarisation de leurs enfants. La perte brutale de cette source de revenus fut un coup terrible pour cette communauté pauvre, essentiellement chrétienne. Dans cette histoire de porcs, c’est l’ensemble des Coptes qui se sentit une fois de plus stigmatisé et toujours un peu plus marginalisé.              

Les Coptes ont pourtant joué un rôle éminent dans l’histoire de l’Égypte. En se révoltant contre l’occupant byzantin, ils ont facilité l’invasion arabe. À l’époque des croisades, ils ont combattu aux côtés des musulmans contre les envahisseurs venus d’Europe occidentale. Dans une période plus récente, ils ont participé à la lutte contre l’occupation britannique. Ce sont des Coptes qui, aux côtés de quelques musulmans tels que Saad Zaghloul, ont fondé le premier parti politique revendiquant l’indépendance, ainsi que les premiers journaux nationalistes, au début du XX ͤ siècle. Avant la révolution de 1952 qui renversa la monarchie, des Coptes avaient souvent occupé des postes importants, y compris celui de premier ministre. Depuis la proclamation de la République, on retrouve beaucoup moins de Coptes occupant des fonctions politiques importantes, hormis, bien sûr, Boutros Boutros Ghali qui fut longtemps vice-ministre des affaires étrangères de son pays. De nombreux chrétiens égyptiens ont préféré prendre le chemin de l’exil. Les plus fortunés ont réussi à s’installer aux États-Unis ou en Europe. Mais les pauvres, eux, n’ont pas d’autre option que de rester en Égypte et d’endurer les vexations et l’intolérance croissantes de leurs concitoyens. Le printemps arabe puis l’élection d’un président frère musulman n’ont fait qu’aggraver leur sort. Plus de 100 000 Coptes ont émigré d’Égypte pendant que la confrérie était au pouvoir. Certes, l’actuel chef de l’État, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, a fermement condamné l’attentat de dimanche contre les fidèles de l’église Botrossiya. Sa participation aux funérailles nationales organisées lundi après-midi, aux côtés du pape copte Tawodross II, a même été annoncée. Tout cela ne suffira certainement pas à rassurer les Chrétiens d’Égypte, convaincus dans leur majorité que l’État ne les défend pas assez contre les agressions islamistes. Déjà, le 1er janvier 2011 une bombe avait explosé devant l’église d’Al Kidissine d’Alexandrie, tuant, outre le terroriste, 21 personnes et en blessant 79 autres. Depuis le début de l’année, on dénombre une vingtaine de ces agressions perpétrées par des salafistes. Des Chrétiens ont été chassés de leur village et leurs biens ou chapelles incendiés sans qu’aucune condamnation ne soit prononcée par la justice.

Le ministre français des affaires étrangères a publié un communiqué condamnant l’attentat de dimanche dans lequel le mot « chrétien » n’apparaît pas. Il fut un temps, depuis longtemps révolu, où la France se considérait comme protectrice des Chrétiens d’Orient. Ce n’est malheureusement plus le cas.

Hervé Cheuzeville, 12 décembre 2016

NB : cet article est le premier d’une série de deux. Dans le prochain, l’auteur évoquera la situation des Chrétiens de Syrie et d’Irak.

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