Le genre est une réalité plus fondamentale que le sexe
Tout le monde s’est un jour demandé pourquoi, dans presque toutes les langues, certains objets inanimés sont masculins, et d’autres féminins. Pourquoi y a-t-il du masculin dans une montagne et du féminin dans certains arbres ? Ramson m’a ôté l’idée qui consiste à croire qu’il s’agit là d’un phénomène purement morphologique dépendant seulement de la forme du mot.
Encore moins le genre est-il une extension imaginative du sexe. Nos ancêtres n’ont pas usé du masculin pour les montagnes parce qu’ils projetaient en elles des caractéristiques mâles. Le vrai processus est inverse. Le genre est une réalité, et une réalité plus fondamentale que le sexe.
Le sexe est, en fait, une simple adaptation, à la vie organique, d’une polarité de base qui sépare tous les êtres vivants. Le sexe féminin est simplement une des choses qui sont du genre féminin. Il y en a beaucoup d’autres, Masculin et Féminin nous frappent à des plans de réalité où mâle et femelle n’auraient tout bonnement aucun sens. Masculin n’est pas une forme atténuée de mâle, non plus que féminin ne l’est de femelle. Au contraire, le mâle et la femelle des créatures organiques ne sont que de timides reflets, assez flous, du masculin et du féminin. Leurs fonctions reproductives, leurs différences de force et de taille, montrent en partie la vraie polarité, mais, en même temps, l’obscurcissent et la présentent sous un faux jour.
Tout ceci, Ramson le vit, pour ainsi dire, de ses propres yeux. Les deux blanches créatures étaient asexuées. Mais Malacandra[1] était masculin (non pas mâle) et Perelandra[2] féminin (non pas femelle). Malacandra lui sembla se tenir en armes sur le rempart de son propre vieux monde lointain, sans cesse en alerte, parcourant du regard l’horizon du côté de la terre d’où le danger survint, voilà bien longtemps (…). Pour ce qui était des yeux de Perelandra, ils étaient tournés vers l’intérieur comme s’ils étaient la porte voilée vers un monde de vagues, de murmures et de courants d’air, le monde d’une vie qui oscillait dans le vent pour s’écraser sur les pierres moussues et descendre comme la rosée pour finalement s’élever vers le soleil en minces fils de brume délicatement tissés. Sur Mars, les forêts mêmes sont de pierre, sur Vénus les terres flottent (…). Avec un profond étonnement il se dit : « Mes yeux ont vu Mars et Vénus. J’ai vu Arès et Aphrodite. »
C. S. Lewis, La Trilogie cosmique – tome 2 : Perelandra (roman), 1943