Idées

Lettre d’un émigré. Nos frères inconnus

Je suis né dans le crépuscule du vingtième siècle, l’abîme terrible de la modernité. Un temps de progrès et de merveilles consuméristes, libérales et communistes. Après l’idéalisme pur excessif du siècle d’avant, voici le consumérisme imbécile, le tout dans la même veine destructive du lien, athéiste et subversive de toutes les valeurs.

Les voies du Seigneur sont impénétrables. Oui, vraiment, le sort est farceur. Je suis né avec mille ans d’âge, et pourtant je n’aurais pas pu survivre une seconde dans un autre âge, car ne serais-je né que quelques décennies auparavant, ou quelques années plus tard, je serais mort à la naissance, et ma mère avec ; aurais-je survécu par quelque miracle je serais mort petit de maladie par manque d’antibiotiques. C’est comme s’il fallait que je naisse à ce moment-là et pas à un autre. Il faut savoir être reconnaissant au Créateur, et au travail qu’il fait parmi ses créatures, même dans ces temps si troublés.

Inadapté au temps qui vous a permis de voir le jour. Étrange sort, n’est-ce pas ? C’est un signe à accepter, un destin à approuver, pour travailler à la Restauration de la figure humaine à part entière, dans le côtoiement de Dieu, la reconnaissance de l’union du matériel et du spirituel, bien naturel au demeurant qui n’a pas besoin de l’homme pour être, mais incessamment nié pour le malheur du grand nombre par l’hubrys du petit nombre.

Ceci dit, si cela fait longtemps que cette conscience tragique de mon déphasage prédestiné et la reconnaissance inéluctable à un temps qui m’a permis de vivre, et dont les autres cieux d’autres temps m’auraient interdits la vie, il n’y a guère de temps pourtant que je réalisai une réalité encore plus tragiquement humaine. Jusque-là je croyais être l’aîné de ma famille, comme d’évidence, et j’avais la présomption de croire avoir été épargné par le fléau de la destruction des familles, n’étant ni d’une famille recomposée, ni d’une famille divorcée, ni pire encore…

Je me trompais pourtant. Je suis né d’une insémination artificielle. Et sans elle je n’existerais pas. Cela je le savais, mais allez savoir pourquoi, je n’avais jamais pris conscience de la signification profonde de ce fait, peut-être par laxisme, ou manque de courage, je ne sais pas, sorte de cécité commune à la majeure partie de nos contemporains, qui ignorent la vie de façon si profonde et avec une telle flegme naturelle qu’elle ne s’en rend même pas compte. Pratique peut-être banalisée, mais certainement pas banale.

Je suis né, certes, mais combien de frères et de sœurs ne sont pas nés pour me permettre de vivre ? Combien de frères et sœurs sont encore congelés dans un laboratoire sordide quelque part, voire torturés légalement pour des fin scientifiques ? Je savais que la vie avait un prix, mais je réalise que la mienne, comme tant d’autres, ne vit que par la grâce de tant de vies foulées du pied. Je n’aurais jamais du naître, dans un monde à peu près sainement constitué. La nature l’empêchait, les circonstances l’avaient condamné, la maladie infantile tout autant. Et pourtant je suis né, et j’ai grandi, envers et contre tout. Le Seigneur l’a voulu ainsi, et la responsabilité à porter est immense, puisqu’il faut vivre pour tous mes frères et sœurs inconnus et empêchés dans le chemin vers Dieu. Que toutes les personnes dans le même cas se réveillent et notre génération sera sauvée ! La vie est un miracle sans prix, il suffit de devenir parent pour s’en rendre compte. Le mystère de l’incarnation est sans limite et sans commune mesure avec le bricolage approximatif que l’on appelle science.

Nous avons de nombreuses vies sur nos épaules, des ancêtres les plus éloignés, jusqu’à ces frères inconnus et congelés. Il faudrait les libérer ! Leur donner une sépulture décente. Quelle injustice qu’ils soient comme effacés de notre quotidien, et qu’ils se voient refuser la considération même de leur existence ! En attendant, nous pouvons toujours prier pour ces frères inconnus, prier pour le salut de leurs âmes, ainsi que pour le salut de l’âme de ceux qui, souvent sans même penser à mal, et cela est terrible, les ont conduit à cette condition avilissante.

Paul de Beaulias

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

 

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