France souveraine ?
Le péché de la dette
Au sens strict du terme elle a perdu sa souveraineté au terrible matin du 21 janvier 1793. Aujourd’hui l’usage est de dire qu’elle l’a abandonnée en sacrifiant le franc au profit de l’euro.
Eh bien ce n’est pas tout à fait exact ; presque 20 ans après le boom de la dette nationale amorcé au début des années 80, prisonnière du bon vouloir des marchés financier pour emprunter à des taux supportables, la France s’est réfugiée dans la zone euro.
Le drame du monde occidental fut de n’avoir pu maitriser les conséquences de la première mondialisation, celle des deux guerres du siècle dernier : un saut technologique inouï et le basculement de la société dans le matérialisme, d’autant plus facilement que la religion avait perdu sa place dans la vie publique.
Une fois passé sans trop de problème le temps de la reconstruction, l’économie occidentale s’est grippée à la fin des années 70 et la République Française n’a rien fait d’autre que suivre le mot d’ordre lancé de part et d’autre de l’Atlantique « Achetez aujourd’hui, vous payerez demain ». Dans les Royaumes comme dans les Républiques, à gauche comme à droite, il était impensable de laisser la machine économique en panne, hors de propos de mettre en cause le mythe du progrès et pas plus celui d’une croissance éternellement positive. De là est née la dette.
S’il restait encore un peu de temps au terme d’un bon examen de conscience, pourquoi ne pas s’interroger sur ce que pèseront nos dettes à l’heure du Jugement. Sans s’être endetté en ayant menti sur ses possibilités de remboursement, en s’étant acquitté des échéances en temps et en heure, et sans voler les créanciers sous de faux prétextes, il est bon d’espérer que les emprunts contractés ici-bas ne rallongerons pas le séjour au Purgatoire. Donc, rien de grave, le sujet est clos.
Le grain de sable tient au fait qu’en ces temps de « liberté, égalité, fraternité » les élus du peuple redistribuent de l’argent qui ne leur appartient pas au dit peuple qui s’en accommode fort bien ; de sorte, qu’en règle quasi générale et sauf à être « dignement euthanasié », on quitte ce bas monde en état de débiteur vis-à-vis de ceux qui restent (pensions de retraite, allocations, subventions…) Et puis le remboursement d’une dette reste un pari sur l’avenir dont la durée ne nous appartient pas…bref nous ne sommes pas « très nets ».
Toutefois le grand péché est celui des gouvernements qui mentent par omission en laissant croire que la croissance de la dette supérieure à celle de la création de richesses fait partie du « développement durable ». La tourmente monétaire dans laquelle l’Europe se débat est révélatrice de ce mensonge. Dans les mois qui précédèrent la mise en place de l’Euro, la dette fut présentée comme une question relevant uniquement de l’État selon le très médiatique ratio dette/PIB ; bien que les choses ne furent pas toujours brillantes il convenait de rester persuadé que la boîte à outils de l’État était bien garnie, baisse des dépenses (rarement) hausse des prélèvements obligatoires (plus souvent), appel aux banques (systématiquement)…
Quelques économistes ayant judicieusement rappelés qu’une des missions du secteur bancaire était d’injecter du crédit dans le cycle production-consommation, en 1998 l’agence Reuters fut une des premières à s’intéresser aux conséquences de la dette des ménages et des entreprises non financières, réunies sous l’appellation « dette du secteur privé ». Bagatelle, les techniciens de la monnaie unique avaient tout prévu, le bébé euro grandirait à l’abri des 3 fameux critères de Maastricht, qui limitaient l’inflation à 2%, le déficit budgétaire à 3% du PIB et la dette publique à 60% du PIB.
Des subprimes révélateurs.
Il fallut attendre la crise des subprimes et la contribution des banques à la restructuration de la dette grecque, pour s’apercevoir qu’outre les dettes publiques et privées, il convenait de tenir compte de celles des entreprises financières, banques et assurances.
Le tableau ci-dessous montre l’endettement total des principales économies européennes à fin 2011.
Allemagne | Angleterre | Espagne | France | Italie | |
Publique A | 81,2 | 85,7 | 68,5 | 85,8 | 120,1 |
Ménages B | 59,2 | 97,6 | 81,6 | 48,2 | 44,8 |
Entreprises non financières C | 48,3 | 108,9 | 132,2 | 111,1 | 81,1 |
Privée B+C | 107,5 | 206,5 | 213,8 | 159,3 | 125,9 |
Total publique + privée A+B+C | 188,7 | 292,20 | 282,3 | 245,1 | 24,6 |
Entreprises financières D | 88 | 218 | 76 | 96 | 76 |
Total endettement | 276,7 | 510,2 | 358,3 | 341,1 | 322 |
A,B,C,D : dettes en % du PIB
Sources : A, Eurostat 2011 ; B et C : rapport McKinsey Global Institute (février 2012)
Que faire devant cette monstrueuse montagne de dettes, joyeusement imbriquées les unes dans les autres par le jeu de la mathématique financière, devant cette masse monétaire virtuelle dont la contrepartie réelle est remise au futur ?
Aujourd’hui, sous l’influence de Berlin, l’UE se dote d’un nouvel outil censé résorber l’endettement, le Pacte de stabilité budgétaire :
- Le déficit public structurel devra être inférieur à 0,5% du PIB
- En cas de dérapage chaque État sera tenu de prévoir un mécanisme de correction déclenché automatiquement, avec obligation de prendre les mesures correspondantes selon un calendrier défini
- La « règle d’or » devra être inscrite dans la Constitution ; à défaut un texte de loi suffira si sa valeur juridique garantit qu’il ne sera pas remis en question
- La Cour de Justice européenne pourra être saisie par un autre État et infliger une amende pouvant atteindre 0,1% du PIB du pays fautif.
Qui peut affirmer que sans ce diktat européen le pays des Gaulois installés dans les avantages acquis aurait accepté l’amère tisane de la « règle d’or » pour se débarrasser de cette foutue dette qui pèse sur l’État, les Français (y compris ceux à naître), les entreprises et asservit la France aux intérêts des investisseurs étrangers ?
Oui les pères de l’Europe ont bâti la maison en commençant par le toit, oui la légitimité du pouvoir de Bruxelles est douteuse, oui la zone euro a été imprudemment élargie, oui le système bancaire est véreux ; nous avons tous écrit et dit cela. Mais personne n’a clairement expliqué comment se libérer du joug de la dette sur cette planète où, tous les États se tiennent par la barbichette des échanges commerciaux. Les partisans du retour au franc et ceux du Pacte de stabilité sont d’accord sur la nécessité d’équilibrer le budget de l’État en oubliant d’évoquer le facteur temps.
Bien des années seront nécessaires pour que la France parvienne à ce résultat, pendant lesquelles il faudra travailler beaucoup plus en gagnant beaucoup moins, accepter de consommer avec sobriété et faire preuve d’une grande charité fraternelle pour compenser une protection sociale réduite.
Bien des années au cours desquelles il faudra garder le même cap au lieu de tirer des bordées au prétexte que ce qui était vrai et juste avant-hier ne l’est plus aujourd’hui. Il n’y a qu’une Vérité et qu’une Justice.
Pour traverser cette longue période d’efforts et de sacrifices avec succès, ce n’est pas d’une batterie de lois contraignantes dont les peuples de France ont besoin ; ils ont besoin d’adhérer à ce projet, et sauf erreur l’adhésion supporte mal la contrainte.
Ils ont besoin d’avoir confiance dans l’équité, la justice, l’indépendance, la sagesse et la prudence du capitaine qui maintient le cap ; et il n’y a qu’un seul cap, celui désigné par la « lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ».
Par pudeur, j’ose à peine écrire que cette forme d’adhésion s’apparente à de l’amour…
Beaucoup de Français sentent que la Patrie est en danger ; pour ouvrir le dialogue avec ceux-là ajoutons « oui, en l’absence de son roi la Patrie est dans danger » à quoi ils ne manqueront pas de rétorquer « un roi, pourquoi faire ? »
À nous de savoir répondre « le rôle du roi n’est pas de faire, mais d’être ; être le capitaine » bien succinctement évoqué dans ces quelques lignes.
Pierre JEANTHON