Editoriaux

Jeu de balle au pied, etc.

Un homme ne saurait se nourrir que de nostalgie, vivre perpétuellement dans le passé. Si l’Histoire est riche d’enseignements, notamment pour envisager l’avenir, elle est aussi écrite avec un grand h, toujours à postériori, et uniquement par des hommes. À part le Crucifié, on ne connait guère de fils de charpentier l’ayant traversée, et dont on parle encore de nos jours. L’Histoire et le passé sont des territoires merveilleux, peuplés de héros, qui ne connaissent le plus souvent ni la peur, ni la maladie, ni la faim. Et parmi ces espaces, que l’on parcourt volontiers à l’imparfait et au passé simple, il en est un que nous chérissons tout particulièrement. Il s’agit du pays de notre enfance. Et comme le dit si bien ce très beau texte de Jean-Loup Dabadie, porté haut par la personnalité et la voix de Jean Gabin : « On oublie tant de soirs de tristesse / Mais jamais un matin de tendresse ! »

Alors peut-être que, lorsque le temps est trop gris, quand l’horizon semble désespérément insondable ; peut-être, nous faut-il cheminer un peu sur les routes du temps jadis. Ça ne peut faire de mal à personne, ça n’est pas un péché.

Est-ce que cela en était, est-ce que cela n’en était pas ? Mais de quoi parle t-il donc ? Aux faits, mais aux faits, je vous en prie ! Mais de football naturellement ! Car le sport, « c’est bien », le sport, les sports collectifs notamment, le football bien sûr. L’esprit d’équipe, c’est fondamental. Et puis au-delà, il y a les autres aspects très positifs, intégration, mixité sociale et promotion sociale, etc.

Donc, cela ne devait pas en être. Nous étions un jour cinq, l’autre six. Le stade était une pâture, à l’herbe encore assez haute, une terre à bosses qui  produisait nombre de faux rebonds, d’autant que le ballon, en plastique assez léger, prenait volontiers de l’altitude. Le terrain était délimité à l’ouest par le mur d’une grange, au nord et au sud par les buts, constitués de nos pulls posés à même le sol, à l’est il s’étendait au loin. Les règles étaient pour le moins primaires. On risquait surtout le carton jaune quand le ballon atteignait le toit, et le carton rouge avec exclusion définitive des deux équipes, quand une tuile de rive était touchée. 

Et puis, il y a eu la création du club de football. Un club, c’est bien organisé. L’entraineur était  boulanger. Ambitieux pour ses équipes, l’enjeu était de taille, il faisait toujours jouer les mêmes joueurs. Des parents venaient se plaindre : les simples, incapables de percevoir les ambitions du manager. Car de surcroît, le président était un intellectuel de la discipline. Pensez donc, professeur de sport à l’Éducation nationale.

Grâce à ces gens « évolués », j’ai par la suite assisté à des matchs de haut niveau dans de grands stades. Que n’y ai-je entendu ! Des « Vive les bleus ! », des « À mort les rouges !». Des « Blanche-Neige, retourne dans ton pays ! ». Des arbitres « en et encore en ». Je n’ai jamais aimé ces ambiances  d’hystérie collective, où les hommes semblent s’abandonner à la foule et renoncer à tout contrôle sur eux-mêmes. Mais je garde un souvenir impérissable de ces parties qui duraient jusqu’à la nuit tombée, derrière la grange, avec au mieux des baskets ou des tennis et le ballon en plastique. Tous logés à la même enseigne, nous rentrions trempés de sueur sous nos maillots de corps en coton, et nous allions nous coucher, en l’état, dans nos chambres fraiches.

Mais qui étaient donc ces jeunes gens ? En quelle terre reculée pouvaient-ils bien vivre ? Ça devait être avant la dernière guerre ? Certes non, mais nous étions à la fin de cette époque où la France était encore commandée par des Français. Commandée oui, le mot peut paraître fort, mais il est nécessaire pour un pays d’avoir en amont un chef qui trace la route, et si possible dans la continuité de notre culture ancestrale.

Des enfants de la campagne donc, et dont les aïeux arpentaient ce territoire depuis des temps éloignés. C’est certain, il y avait bien eu ça et là un peu de métissage officiel ou officieux, durant les périodes d’occupation notamment, mais rien que du sang de chrétien venu d’un peu plus loin.

L’exemple le plus remarquable, que nous en ayons dans la famille, était cette tante Yvonne, qui avait disparu en pleine nuit, durant la guerre de 14, avec un militaire et universitaire écossais, sans plus jamais revenir sur les terres de sa naissance. Des adolescents donc, sûrement un peu plus robustes physiquement que les jeunes d’aujourd’hui, mais qui d’un autre côté, dans les temps présents, se trouveraient bien vulnérables, tant le mensonge et l’absence d’éducation sont devenus des lieux communs.

Quant à leurs parents, la différence m’apparaît plus significative. Les hommes étaient encore des hommes, dans la définition empirique et traditionnelle que l’on donnait à ce mot en ces temps-là. Ils n’étaient pas de ces pères à faire sauter les enfants sur leurs genoux, ni à se perdre en conjectures à la moindre occasion. En général, les mots étaient comptés. Non, il n’y avait pas parmi eux que des illettrés, cette condition si insupportable à notre actuel remarquable ministre de l’Économie. Certains étaient allés en « pension », comme on disait alors, jusqu’au brevet élémentaire, plus rarement jusqu’au baccalauréat. Dans des institutions religieuses, avec toilette à l’eau froide et messe tous les matins, apprentissage de la musique et autres fioritures. L’ensemble constituant une sorte de vernis à ongles, qui se ternirait très vite aux rudes travaux des champs.

C’est que, dans leur jeune âge, le temps n’était pas encore venu de l’abandon quasi généralisé de la terre, pour devenir rond-de-cuir, dans une grande fabrique, une banque ou encore une administration.

Quoi qu’il en soit, et quels qu’ils soient, paysans, artisans ou encore ouvriers, ces gens parlaient peu.  Sauf un, il m’en souvient maintenant, qui avait une voix plus aigüe, volubile et joyeuse. Les autres l’appelaient «  la gonzesse ». L’homme était cependant marié et père d’un enfant. Qu’en était-il de son orientation sexuelle ? N’avait-il pas été traumatisé par ces allégations ? Il faut dire que la théorie du genre n’avait pas encore vu le jour et devait de fait laisser bien des gens dans des situations assez difficiles psychologiquement.

Toutefois, dans ce domaine essentiel et dans celui de l’éducation, les choses commençaient à progresser, notamment par les travaux de la maman du chanteur de « Big Bisou » et de ses maîtres. Que l’on me pardonne, je l’espère, de par trop caricaturer, mais l’évolution des connaissances est apparue alors très significative. Ainsi, un enfant découvrant son analité et par la même occasion ses prédispositions artistiques sur les murs des toilettes, ne risquait plus de subir je ne sais quelle brimade, dispensée par des parents psychorigides et sans culture, mais au contraire d’être encouragé dans ses œuvres et recherches plasticiennes.  

L’éducation, telle qu’on la concevait jusqu’alors, c’est-à-dire l’acquisition, l’apprentissage et le respect de règles destinées à former des hommes et des femmes capables de constituer des couples aptes à traverser les épreuves, et à ne pas abandonner le navire à la moindre tempête, et ce avec le concours de l’Église ; cette forme d’éducation tirait à sa fin.

Par chance, pour nous, il y avait eu, encore si j’ose dire, ce prêtre. C’était un homme déjà âgé, mais de forte corpulence sans être gros, avec une mâchoire et un front larges et des cheveux frisés bien garnis. Pour sûr, il n’était pas mort sur la croix, ni ressuscité. Mais il avait, en tant que gradé, alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, déchiré ses galons pour rester avec les simples soldats. Et puis, il nous répétait souvent ces paroles du Christ : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Les autres, comme moi, devaient comprendre, je le suppose, qu’il s’agissait de nos parents, de nos grands-mères et grands-pères, et plus tard de nos épouses et de nos enfants.

Car la mouvance altermondialiste, et ses dispositions à aimer de manière très cérébrale tous les pauvres humains de cette terre, n’avait pas encore envahi le monde. Ces autochtones, ces indigènes, sans être toutefois des « sauvages », étaient bien évidemment « logivores », adeptes des circuits très courts de distribution et naturellement du développement durable. Mais toutes ces notions n’avaient pas encore été intellectualisées et modélisées. Et nous n’en étions pas à ce paradoxe, d’avoir une personne sur mille capable de récolter son besoin annuel de pommes de terre, pendant que les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres n’en finissent pas de piocher dans les forums sur la toile, en vue de futures, hypothétiques, et finalement virtuelles, récoltes…

Bref, ça n’était pas la fin du monde, mais bien la fin d’un monde qui avait perduré depuis des siècles. Evidemment, nous sommes à  présent tous bienheureux des évolutions scientifiques et techniques, et l’on ne saurait que très difficilement revenir en arrière.

Et d’ailleurs, pour clore ce « chapitre nostalgie», la nostalgie ayant bon dos, vous l’avez compris, en ces temps de barbarie, je citerai donc deux extraits de chanson. Les chansons, par rapport à la littérature, ont l’avantage d’avoir beaucoup voyagé et imprégné les esprits. Les livres, il faut bien le reconnaître, se lisent de moins en moins.

Donc, soyons rassurés : « On avance, on avance, on avance. C’est une évidence : On n’a pas assez d’essence/ Pour faire la route dans l’autre sens. On avance. » Et si toutefois, la voiture tombait effectivement en panne, en panne d’essence ou pour cause d’accident, il nous resterait toujours, espérons-le, un peu d’amour. L’amour de sa famille, pour ceux qui en ont encore une, à redonner comme on l’a reçu. Car enfin, comme le dit si bien la chanson Maintenant, je sais, la seule chose dont on soit sûr, c’est que : « “Le jour où quelqu’un vous aime, il fait très beau, j’peux pas mieux dire, il fait très beau ! »     

Jean de Baulhoo

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