Il y a deux cents ans, la France célébrait les dernières noces de la monarchie légitime
Le 17 juin 1816, la France célébrait les dernières noces de la monarchie légitime
Le tragique épisode des Cent-Jours et son exil à Gand avaient fait ressentir à Louis XVIII, encore plus vivement que par le passé, l’urgence d’ancrer la légitimité restaurée dans une filiation assurant l’avenir de la couronne. Or, seul son deuxième neveu, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, pouvait l’assurer. Il fallait donc le marier au plus vite ; d’autant qu’il avait déjà 37 ans et menait une vie de patachon qui faisait un peu tache dans cette nouvelle Cour des Tuileries, compassée, moralisante et un rien bigote. On lui prêtait même un mariage morganatique contracté du temps de son exil en Angleterre, avec une certaine Amy Brown, qu’il avait d’ailleurs fait venir en France. Pour effacer tout cela et demeurer à la hauteur de la dynastie capétienne, il fallait une princesse de sang royal, catholique et susceptible de fournir une saine progéniture aux Bourbons.
Après quelques ratés en raison de l’orthodoxie ou du protestantisme des premières princesses pressenties, le choix se porta finalement sur Marie-Caroline-Ferdinande-Louise de Bourbon-Siciles, née le 5 novembre 1798 à Caserte dans le palais royal napolitain car petite-fille du souverain Ferdinand IV, celui qui avait osé adresser un cartel à Bonaparte. Issue de la branche des Bourbons d’Espagne et, par sa mère, des Habsbourg.
Vu l’importance de l’enjeu, Louis XVIII avait dépêché à Naples son favori, le duc de Blacas, nommé ambassadeur auprès du royaume des Deux-Siciles, afin qu’il observât la princesse et, en cas de conclusion favorable, qu’il négociât les modalités du mariage. Serait ainsi renoué avec éclat le vieux Pacte de famille, instauré sous Louis XV et alliant les trois royaumes Bourbon d’Europe ainsi que la principauté de Parme.
Procédure sans précédent, le roi de France écrivit lui-même à la princesse pour lui proposer la main de son neveu, le 21 mars 1816. Elle répondit par retour du courrier – expression qui avait alors tout son sens – qu’elle acceptait. Tout se déroula ensuite très vite sous l’impulsion de l’efficace Blacas : le contrat, la dot, les modalités de la cérémonie nuptiale, célébrée par procuration le 24 avril à Naples.
Les époux qui ne s’étaient encore jamais vus qu’en portrait, se mirent à échanger une abondante correspondance et, fait extraordinaire pour l’époque et le milieu, décidèrent de se tutoyer. Usage maintenu depuis lors dans la maison de France, laissant le vouvoiement des époux à la fausse noblesse et à la bourgeoisie parvenue.
Le 14 mai, la nouvelle duchesse de Berry et sa suite quittèrent Naples pour faire voile vers Marseille. Voyage quelque peu chaotique. Au large de l’île d’Elbe, une subite tempête menaça d’envoyer la flottille s’écraser contre des récifs. Le 21 mai, en rade de l’Estaque, il fallut observer dix jours de quarantaine en raison de la peste qui sévissait en Italie. Mais, le 31 mai, l’accueil de Marseille, alors vieille ville légitimiste, fut grandiose. L’envoyé du roi, le duc de Lévis, auteur fameux et prolifique de maximes et de réflexions diverses, crut délicat de s’adresser à la princesse en italien ; elle lui coupa aussitôt la parole : « en français, monsieur, s’il vous plaît, je ne connais plus d’autre langue. » La répartie allait faire fureur jusqu’à Paris.
Le cortège mit ensuite deux semaines pour atteindre Fontainebleau, passant dans chaque village sous des arcs de fleurs et devant écouter les compliments et goûter aux vins d’honneur de toutes les municipalités du chemin.
Louis XVIII, qui aimait les traditions et entendait y régénérer le royaume, voulut que la famille royale au grand complet vînt à la rencontre de Marie-Caroline à la Croix de Saint-Herem, carrefour forestier où Louis XV avait accueilli son épouse en 1725. Deux tentes de drap d’or avaient été dressées et se faisaient face, l’une ornée des lys de France, l’autre aux armes du royaume des Deux-Siciles : un mariage n’est pas une annexion.
À peine descendue de voiture et oubliant le protocole qu’on lui avait indiqué, la Napolitaine courut vers Louis XVIII et fut à ses pieds avant que celui-ci eut le temps de s’extraire de son fauteuil. Puis, sans plus de façons, elle passa ses bras autour du cou du duc de Berry.
Au cours du dîner servi au château de Fontainebleau, Louis XVIII se répandit en confidences sur le charme de la princesse : « Elle est mieux que belle, elle est irrésistible (…) Le duc de Berry est amoureux et tout le monde est son rival. »
Le lendemain, l’entrée dans Paris se fit sous les acclamations et les pluies de fleurs. C’était la première princesse que l’on fêtait ainsi depuis Marie-Antoinette. Comme un retour sur l’Histoire, avant qu’elle ne se trompe de chemin.
Le mariage définitif fut célébré le 17 juin à Notre-Dame, dans une pompe bon enfant qui entendait effacer les derniers souvenirs de l’Empire et donner de la France à elle-même la double image de la réconciliation générale des peuples et de la paix durable en Europe.
Après le dîner aux Tuileries, Louis XVIII fit lui-même à son neveu et à sa nièce les honneurs de son cadeau de mariage : le palais de l’Élysée, entièrement redécoré pour en effacer, ici encore, les souvenirs de l’Empire. Chose encore rare à l’époque, les jeunes époux décidèrent de faire chambre commune, dans la pièce centrale du premier étage donnant sur le parc, réaménagé et rebaptisé salon doré sous Napoléon III. Il sert aujourd’hui de bureau au président de la république. Le seul de la Ve république à avoir préféré s’installer dans une autre pièce, par respect pour le souvenir du duc de Berry, fut Valéry Giscard d’Estaing, ce légitimiste qui s’ignore… ou pas.
En octobre 1816, la Cour, Paris et la France apprenaient la grossesse de la duchesse de Berry. Jamais la monarchie restaurée n’avait paru plus solide ni plus populaire. Personne ne pouvait imaginer la violence de l’orage à venir.
Daniel de Montplaisir