Lettre d’un émigré. Catastrophe et lien
Il fait peu de doute que pour le Français qui ne s’intéressent pas particulièrement au Japon, ce pays représente avant tout le lieu des pires catastrophes naturelles. On ne compte plus les nouvelles dans un registre compassionnel bien irritant, sur ce « pauvre Japon » encore victime de telle ou telle catastrophe ; mais en filigrane on sent aussi le soulagement de celui qui regarde la catastrophe d’un endroit, où il se croit en sécurité.
Pseudo-compassion que l’on sert d’ailleurs à toutes les sauces et qui est bien le plus avilissant des traitements que l’on peut affliger, dans le même genre que ces vomissures compassionnelles dont nos médias abondent à se noyer pour tout et n’importe quoi. Vagabond pauvre à la dérive dans la rue, je pourrais encore avoir un honneur et une dignité d’aristocrate, si le bruit ambiant ne m’empêchait de goûter à la sérénité du dénuement, et si ces solidarités empressées ne me tiraient de cette rue pour m’emprisonner dans une situation qui interdit toute noblesse de caractère. On ne meurt plus de faim peut-être chez nous, mais on meurt de honte, dans le servile abaissement de tête pour aller chercher un bout de pain, ou pire, un ticket pour jouer le rôle de l’assisté, qui n’est ni plus pauvre ni plus miséreux, puisqu’on lui enlève son âme.
La même chose pour les riches comme on aime à dire, qui sont riches de tout sauf d’honneur et de noblesse. Au mieux on trouve vanité et orgueil mal placés qui peuvent au pire des cas tourner en sorte de haine de la part de celui qui a réussi -mot qui ne veut d’ailleurs plus rien dire- envers ses prochains comme ses éloignés et qui, au lieu de chercher à utiliser sa puissance acquise pour aider, en abuse indûment, et n’aide que pour mieux se faire servir. Il est assez amusant de voir ces discussions sur la mort digne. Ne me faites pas rire, comment parler de mort digne quand le pauvre n’a plus le courage d’assumer sa pauvreté et de mourir bravement sans demander son reste, et le riche meurt dans le divertissement et l’artifice avant de mourir de peur quand son heure approche.
Mais je m’égare du propos que je me proposais. Les catastrophes nippones sont là et c’est comme cela. Outre de montrer le courage d’un peuple, elles signifient aussi des bénédictions de la nature avec une terre fertile et abondante, des paysages merveilleux, des sources chaudes, etc. Il existe en sus un phénomène, ou plutôt une réaction toute humaine, qui, grâce aux catastrophes, semble toujours tirer le Japon de sa torpeur et des mauvaises habitudes qui le mèneraient vers la décadence – entendez la « modernité ». A chaque catastrophe en effet, les liens entre les hommes se renforcent et chacun prend conscience de l’importance et du bonheur d’être avec autrui, de se protéger en commençant par les cercles de la famille, puis du voisinage des amis et des collègues. Les catastrophes sont comme l’ultime garantie pour ce pays de ne pas céder au dernier stade de la modernité, qui tend à déraciner et détruire tous les liens entre les hommes pour les remplacer par des demandes procédurales avec des systèmes, des administrations, du monolithe froid en résumé. Le seul point positif, c’est que l’homme a naturellement le lien, et que le système sans lien, comme il se fonde sur l’homme, ne peut que s’écrouler de lui-même et redonner le champ à l’humanité, ce n’est qu’une question de temps, à moins que les liens subsistent mais perverties, ce qui est une hypothèse effrayante ; malheureusement et simplement, les épreuves seront terribles car il faudra tout reconstruire sur des cendres dans un monde éclaté.
Les catastrophes peuvent aussi donner des miracles. Ou du moins pousser à des choses inattendues : dans le nid de crabes des français du Japon -je crois qu’il n’y a rien de plus compliqué que deux Français qui se rencontrent car ils ne peuvent parler de rien de sérieux sans s’entretuer- il est assez étonnant de voir des dîners s’organiser dans certains quartiers, entre travailleurs, afin que les gens se connaissent et nouent des liens. Cela est nouveau. Depuis le grand tremblement de terre. Les Français aussi se sont rendus compte à quel point on est seul devant la nature, et à quel point le lien est inestimable.
Le lien en France s’effiloche sans cesse depuis le départ de notre bon Roi, suivi de près par notre bon Dieu. Nous avons eu bien pire que toute catastrophe naturelle, nous sommes victimes d’une catastrophe humaine sans précédent ouverte avec la révulsion qui ne s’arrête pas, bien pire car si on ne peut éviter les foudres naturelles, les foudres humaines sont complétement évitables et ne sont dues qu’à leur méchanceté propre et non nécessaire.
Paul de Beaulias
Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France