Louis, ou la fabrique d’un genre monstrueux
Le numéro du 2 au 8 avril 2016 de Famille Chrétienne qui rapporte la condamnation d’une mère porteuse par une cour française pour avoir « escroqué » un couple de commanditaires (pour ne pas leur avoir livré un enfant qu’elle leur avait vendu !). Un reportage de Valeur Actuelle (n°4142 du 14 au 20 avril 2016) sur l’enfer des mères porteuses dans les « usines à bébé » en Asie, notamment en Inde. Un documentaire diffusé sur France TV au sujet des « enfants jetables », cette pratique américaine consistant à considérer les enfants adoptés ou candidats à l’adoption comme des marchandises à écouler ou à échanger lorsqu’ils ne donnent plus satisfaction…
D’aberrants épiphénomènes ? Ou des signes avant-coureurs d’une société en gestation ? « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi » : on se souvient de cette injonction infantile de mai 68. Presque cinquante ans plus tard, l’on a beau freiner des quatre fers, c’est le nouveau monde qui s’approche inexorablement. Il avance, tel un mur terrifiant contre lequel rien ne semble pouvoir nous empêcher de nous écraser.
A quoi pourra bien ressembler cette société à venir, dont les prémices s’étalent déjà à longueur de journaux, de reportages et de témoignages, pour peu que l’on daigne s’y intéresser ? Une romancière, Christine Voegel-Turenne, s’est penchée sur le sujet, dans un livre publié en 2015 par les éditions TEQUI.
Louis ou la fabrique d’un drôle de genre, récit à l’intention d’adolescents ou de jeunes adultes, se déroulera en plusieurs tomes. L’éditeur présente l’ouvrage comme un roman d’anticipation ; de science-fiction, serait-on tenté de préciser bien que la plupart des technologies émaillant l’intrigue ne relèvent en rien de l’imaginaire.
Un premier clin d’œil, l’histoire débute en l’an 240 NE, pour Nouvelle Ere, c’est-à-dire 2032 après Jésus-Christ : dans le futur, le « Système » décide de gommer la plupart des références historiques, culturelles et religieuses qui forment le socle civilisationnel de la France et de l’Europe. Le calendrier n’a plus pour clé de voute la naissance de Jésus-Christ mais 1792, la naissance du calendrier révolutionnaire républicain. Les royalistes que nous sommes seront sensibles à cette allusion.
Bien que plusieurs protagonistes se succèdent dans ce roman, celui-ci s’axe essentiellement autour du personnage de Louis, né d’une GPA pour satisfaire le désir d’enfant d’un couple homosexuel. Pour ce faire, les « parents » avaient fait appel aux services d’une agence de reproductique. Le cauchemar annoncé par la Manif pour tous prend ainsi forme sous la plume de l’auteur.
Les péripéties de Louis et de ses « parents » serviront essentiellement de prétexte pour découvrir la société imaginée dans le roman, et la manière dont elle évolue et se radicalise. On comprend très vite que, avec l’avènement de la GPA légalisée, la mise au monde « naturelle » des enfants devient une pratique infâmante, usage désormais cantonné à des réfractaires mis au ban de la société ou aux classes les plus pauvres ne pouvant s’offrir les moyens de la reproductique. Hétérosexuels comme homosexuels recourent couramment à la GPA, seul moyen socialement admis pour enfanter.
Les mères porteuses se voient privées de tout droit envers leur enfant, considéré comme une marchandise, qu’elles ne peuvent au demeurant pas conserver quand bien même les « commanditaires » décideraient de renoncer au « produit », par exemple pour « vice-caché ».
Bien naturellement, l’idéologie du genre s’impose progressivement dans l’éducation des enfants. Des crèches « non-genrées » font leur apparition, les parents consciencieux prennent soin de donner des prénoms neutres. L’enfant lui-même devra choisir son genre par la suite, entre femme, homme et neutre, avec possibilité, y compris à l’âge adulte, de revenir plusieurs fois sur son choix.
La disparition progressive du genre aboutira bien entendu par la disparition des mots de « père » ou de « mère » mais également de ceux de « sœur » et de « frère » remplacés par celui, plus consensuel, de « froeur ».
La coupure nette et radicale posée entre parentalité et filiation biologique permet d’introduire dans le droit la multi-parentalité : chaque enfant peut être adopté par les parents qui l’ont « commandé », mais également tous ceux qui se marieront avec eux par la suite, suite à des divorces et des recompositions familiales, voire de poly-mariages (autorisés). Ces tribulations générant un imbroglio familial chaotique, le livret de famille est supprimé pour laisser place au « livret de filiation », attribué à chaque enfant, et où s’ajoutent progressivement tous les parents ayant autorité sur lui.
D’autres phénomènes sont abordés par l’auteur, bien que faisant l’objet de moins de détails. Pour ne pas révéler l’intégralité de cet univers, qu’on découvrira avec intérêt (et angoisse) en lisant le livre, signalons simplement deux débats actuels sur lesquels la société future devrait avoir tranché :
Tout d’abord, la légalisation des salles de « shoot », lieux où tout-un-chacun sera autorisé à venir y consommer des stupéfiants, et rebaptisés « centres de bonheur pour tous. »
Et, bien évidemment, l’euthanasie, largement libéralisé dans ce monde dystopique, libre d’accès à toute personne ayant atteint la majorité (quinze ans) et même proposé à cette échéance : tout adolescent, une fois sa quinzième année révolue, devant se présenter à un centre d’euthanasie et « consentir à la vie », pouvant, de ce fait, également y renoncer. Tout parent, ou proche, qui tenterait de s’opposer, ou même seulement de dissuader le candidat au suicide, étant passible d’une sanction pénale.
L’idée sous-jacente qui mâtine l’œuvre pourrait être le refus de la loi naturelle : on retrouve dans ces évolutions sordides la quête effrénée de l’homme moderne à soumettre la nature. Cette dernière est tout simplement niée, parce qu’immorale puisque discriminatoire et inégalitaire dans son essence, et jusqu’à être considérée comme tout simplement illégale dans sa promotion ou même son souvenir.
A ce titre, le climat fait lui aussi l’objet d’un contrôle : la société humaine refusant les aléas météorologiques, les grandes villes ont été mises « sous cloches », d’immenses dômes protégeant leurs habitants des pluies intempestives ou des variations de températures inconfortables. Le refus des lois physiques répondant comme un miroir au refus des lois biologiques !
Les lecteurs les plus exigeants pourraient fermer ce livre en conservant quelques regrets : un manichéisme parfois trop tranché, des problématiques actuelles non évoquées (fondamentalisme, terrorisme, immigration, crises économique et écologique), ce qui peut sembler atténuer le réalisme de l’ouvrage.
On pourra aussi, parfois, penser que l’auteur, poussé par son imagination, grossit un peu trop les traits de cette société futuriste. Mais alors, on se souviendra des exemples cités en introduction de ces lignes. Bien que « Louis, ou la fabrique d’un drôle de genre » soit une œuvre de fiction, tous les ingrédients (explosion des repères traditionnels, capitalisme effréné, hégémonie de l’idéologie libertaire) sont réunis pour permettre l’avènement de ce qu’elle annonce.
Un roman à faire lire à des adolescents… mais aussi à lire soi-même, pour se rappeler ce pour quoi défilaient les participants aux Manifs pour Tous, et l’effroyable danger qui guette l’Humanité de demain.
Stéphane Piolenc
Christine Voegel-Turenne, Louis ou la fabrique d’un drôle de genre, 2015, éditions TEQUI (288 pages, 16 euros)