Hermann Hesse : le prix Nobel de l’intériorité
J’ai sur ma bibliothèque, mon petit « panthéon personnel », une sorte de refuge littéraire. De Cervantès à Jean Raspail, en passant par Tolkien et Marcel Aymé, je lis et relis cette bibliothèque idéale et à chaque relecture, je perçois quelque chose de nouveau. Parmi les auteurs qui ont compté et qui comptent pour moi, il y a Hermann Hesse. Il est peu connu, malgré son Prix Nobel de littérature et son talent, et c’est pourquoi je vous propose de le rencontrer.
Hermann Hesse est un pur produit du romantisme germanique : né le 2 juillet 1877 à Calw dans le royaume de Wurtemberg qui appartenait à l’empire allemand fondé en 1871, issu d’une famille de missionnaires protestants et est placé en 1891 au séminaire évangélique de Maulbronn. Il faut dire qu’il est fils de pasteur. Déjà, l’on peut trouver son indépendance d’esprit lorsqu’il s’échappe du séminaire en mars 1892 et fut retrouvé en pleine nature. En mai 1892, il fait une tentative de suicide dans l’établissement de Bad Boll dirigé par le théologien Christoph Blumhardt. Hermann est alors placé dans une maison de santé, et plus tard dans un établissement pour enfants à Bâle. Fin 1892 il entre au lycée de Cannstatt, à Stuttgart. En 1893, il obtient son diplôme probatoire de première année puis interrompt ses études. Il commence un apprentissage de libraire à Esslingen, qu’il abandonna après trois jours, puis devint au début de l’été 1894 apprenti mécanicien pendant quatorze mois, dans la fabrique d’horloges Perrot à Calw, revenant ainsi dans sa ville natale. Lassé par ce travail répétitif, Hermann Hesse débute en octobre 1895, un nouvel apprentissage de libraire, à Tübingen. Solitaire, ce sont les livres qui l’ont éduqué et c’est par ces derniers qu’il a peu appris à accepter de ne pas être qu’un jeune homme savant mais aussi un homme proche de la nature.
En 1898, Hesse devient assistant libraire et dispose d’un revenu respectable. À cette époque, il lit surtout les œuvres des romantiques allemands, aujourd’hui oubliés. Alors qu’il était toujours libraire, Hesse publie à l’automne 1898 son premier petit recueil de poèmes, Romantische Lieder (Chants romantiques), et à l’été 1899 le recueil en prose, Eine Stunde hinter Mitternacht (Une heure après minuit). Les deux ouvrages sont des échecs. Un an plus tard, Hesse est libéré du service militaire en raison de sa faible vue. En 1901, Hesse put réaliser l’un de ses grands rêves en voyageant pour la première fois en Italie. La même année, Hesse entre chez un nouveau libraire, à Bâle. Les occasions de publier des poèmes et de petits textes littéraires dans des revues se multiplient. Désormais, les salaires de ces publications contribuent à ses revenus. Très vite, l’éditeur Samuel Fischer s’intéresse à lui, et le roman Peter Camenzind publié officiellement en 1904 chez Fischer, marqua la rupture : Hermann Hesse peut vivre de sa plume. En 1904, il épouse la photographe Maria Bernoulli (1868–1963), s’installe avec au bord du lac de Constance et fonde une famille comptant trois fils, Bruno, Heiner et Martin. C’est au bord du lac de Constance qu’il écrit son deuxième roman L’Ornière, paru en 1906. Son mariage connaît des difficultés et il décide de partir à Ceylan et en Indonésie pour se ressourcer et y trouver une source d’inspiration. Malheureusement, il n’y trouve pas l’inspiration spirituelle et religieuse espérée, cependant ce voyage imprègne ses œuvres ultérieures (Carnets indiens, 1913). Après le retour de Hermann Hesse, la famille déménage en 1912 à Berne, mais les problèmes du couple demeurent comme il le dépeignit en 1914 dans son roman Roßhalde. Hermann Hesse se propose comme volontaire en 1914 mais reste civil du fait de sa vision faible et de maux de tête réguliers mais il est affecté à Berne à l’assistance aux prisonniers de guerre, auprès de l’ambassade d’Allemagne : Hesse rassemble et expédie des livres pour les prisonniers de guerre allemands. Le 3 novembre 1914, il publie « Mes frères, cessons nos plaintes ! », article dans lequel il appelle les intellectuels allemands à ne pas tomber dans les polémiques nationalistes. Il en résulte ce que Hesse qualifia plus tard de grand tournant de sa vie : pour la première fois, il se retrouve au milieu d’une violente querelle politique, la presse allemande l’attaque et il reçoit des lettres de menace. Il est alors soutenu par son ami Theodor Heuss, mais aussi par l’écrivain français Romain Rolland, à qui il rend visite en août 1915.
Une grave psychose s’était entre-temps déclarée chez sa femme et, même après sa guérison, Hesse ne peut envisager d’avenir commun avec Maria. La maison de Berne est vendue, et Hesse emménage mi-avril dans le Tessin, où il habita tout d’abord une petite maison de Minusio, près de Locarno. Puis il vécut du 25 avril au 11 mai à Sorengo. Le 11 mai, il s’installa dans le village de Montagnola, près de Lugano, comme locataire de quatre petites pièces dans un bâtiment ressemblant à un château, la « Casa Camuzzi ». Là, il ne reprit pas seulement son activité d’écriture, mais commença aussi à peindre, ce qui apparaît clairement en 1920 dans son grand récit suivant, Le Dernier Été de Klingsor. En 1922 parut le roman indien Siddhartha, où s’exprime son amour de la culture indienne et des sagesses orientales. Hesse épouse en 1924 Ruth Wenger, fille d’une femme de lettre suisse et obtient la nationalité suisse. Les principales œuvres qui suivent, Le Curiste en 1925 et Le Voyage à Nüremberg en 1927, sont des récits autobiographiques teintés d’ironie, dans lesquels s’annonce déjà le plus célèbre roman de Hesse, Le Loup des steppes. Ce roman est un chef d’œuvre et reste son livre le plus lu. Après la réussite de ce roman, Hermann Hesse entame une relation avec Ninon Dolbin, originaire de Bukovine, et qui deviendra sa troisième femme. Cette conversion à la vie de couple est le point de départ du roman Narcisse et Goldmund. Personnalité à l’ancienne, Hesse a en horreur la révolution de l’homme nouveau et la théorie raciste issue du national-socialisme. Hesse observe donc avec inquiétude la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne. En 1933, Bertolt Brecht et Thomas Mann s’arrêtent tous deux chez Hesse dans leurs voyages vers l’exil. Hesse essaie à sa manière de contrer l’évolution de l’Allemagne : il publiait déjà depuis des décennies des comptes rendus de lecture dans la presse allemande, désormais il s’y exprima plus fortement pour les auteurs pourchassés par les nazis mais très vite n’est plus publié. En 1931, il commence à composer sa dernière grande œuvre, intitulée Le Jeu des perles de verre et publie en 1932 un récit préparatoire, Le Voyage en Orient. Publié en 194 » en Suisse, Le des perles de verre est l’œuvre qui lui vaut sans doute le Prix Nobel de littérature en 1946. Après la guerre, sa créativité décline selon ses dires et il ne va publier que des poèmes et des lettres mais plus aucun roman. Hermann Hesse est mort 9 août 1962 à Montagnola, en Suisse.
Les premières œuvres de Hesse restent dans la tradition du XIXème siècle : son lyrisme doit tout au romantisme. Hermann Hesse se rapproche d’un autre fils de pasteur, Carl Gustav Jung dont il partage la vision des archétypes. L’œuvre de Hesse peut ainsi se définir autour des différents thèmes, tous liés entre eux : l’initiation, l’inconscient, la spiritualité, l’opposition urbain/ rural et masculin/féminin. Taxé de gentil fou pour son évocation de l’Inde profonde et spirituelle, Hermann Hesse est aussi critiqué par ce qu’il n’est pas compris : il n’est pas un moderne au sens de la religion du progrès et de l’économisme ambiant mais pas non plus un fasciste. A la manière de Romain Rolland, il se rapproche plus de la pensée traditionnelle et ses prises de positions peuvent paraître surprenantes. En effet, il défend le droit de vote des femmes tout en affirmant que le vote ne lui paraît pas assez fort comme légitimité, il défend ce que la sagesse orientale peut nous apporter tout en reconnaissant avec Jung que l’es formes animistes du sacré le dérangent ! A vos livres donc, amis lecteurs ! Hermann Hesse est surtout un homme qui s’est trouvé à l’étroit dans un monde petit-bourgeois et conformiste et qui s’est épanoui dans par l’expression de ce qui l’habitait. Rares sont les hommes qui savent être à la fois des intellectuels accomplis et proche de la nature, Hermann Hesse est l’un deux.
Charles d’Antioche