Lettre d’un émigré. Se réapproprier ce qui nous a été dérobé ou deux façons de voir le Père Noël
« On trouve tout au sud Kyushu le passage, pendant la nuit de l’An, du Père de l’An, parfois appelé le Vieux de l’An, qui vient apporter aux bon enfants le gâteau de l’an. Et il ne faut en aucun cas refuser le cadeau au péril de ne pouvoir passer à la nouvelle année. De nombreuses maisons ont ainsi des coutumes qui ressemblent forts à l’histoire du Père Noel étranger […]. »[1]
Une tentation piégeuse de notre morne époque consiste de tomber dans le travers révolutionnaire de l’agressivité, voire la négation en bloc, envers certaines choses que l’on a l’habitude de rejeter tout à fait, souvent à raison, et ainsi de risquer l’attaque personnelle voire méchante. Le drame pour celui qui tente de marcher sur la voie de la tradition est qu’il se révolte de façon juste contre des choses inacceptables. Mais s’il est juste de corriger les fautes et rejeter le mal, il est extrêmement difficile, surtout pour nous autres contemporains plongés dans un milieu hostile qui incite à la violence, de ne jamais attaquer la personne et de toujours préférer mettre en avant le bien plutôt que souligner le mal des autres. Etre intransigeant et rejeter le mal pour soi est bon, mais il ne sert en général pas à grand-chose de dénoncer les personnes, on se braque les uns les autres plus qu’autre chose, et il est difficile le plus souvent de bien faire la différence entre la critique de l’acte malin, et une attaque de la personne. Dénoncer le mal est un art très délicat que seule l’incarnation du bien permet de réaliser, qui irradie et donne l’exemple. Car il faut toujours que cette dénonciation permette à l’autre de se convertir, et non de l’enfermer dans son mal, en le mettant dans une situation de violenté, d’agressé, qui tend à favoriser l’attitude de celui qui campe sur ses positions par fierté et à persévérer dans le mal plutôt qu’à se réformer et à se convertir de lui-même.
La pente habituelle et bien humaine dans un environnement où les mauvaises actions envahissent l’atmosphère, pullulent, nous prennent à la gorge, et surtout se trouvent légitimées par des fous, incite pourtant bien plus à des actions d’amertume ou de violence, que des actions de conversion et de miséricorde, qui se font le plus souvent à notre insu même et à notre corps défendant, sans que nous le voulions consciemment. On déplore ceci ou cela, à raison le plus souvent, mais nos actes ne suivent pas systématiquement, c’est le moins qu’on puisse dire, et on se retrouve dans la pire des situations de celui qui sait le mal, le déplore, mais s’y fourvoie, au mieux en appliquant la trop dommageable politique du moindre mal, au pire carrément et positivement. Cet homme qui voit le mal, en a conscience, mais ne se réforme que tièdement, est en un sens plus coupable que cette pléthore ignorante, le plus souvent non pas de façon volontaire, encore que certains se voilent sciemment la face, mais parce qu’ils n’ont pas eu la chance de pouvoir entrer en contact avec ce monde divin, ce monde chrétien, la prière et la beauté divine. Ils sont confinés, bloqués, dans des murs de fumées exhalées par toutes les pores de la société décadente, et dont les quelques portions de peau pure se font si rare qu’il n’est pas si impossible que cela pour le malchanceux forcé à l’ignorance de n’avoir même jamais pu concevoir que le beau et le pur existassent. Donc, s’il a le bonheur de rentrer en contact avec cette zone d’atmosphère pure et qu’il tombe sur des attaques et des reproches, il serait peut-être tenté de retourner dans la fange qu’il a toujours connu, par dépit, par crainte de se voir sale, par paresse.
Prenons un exemple classique et concret d’une façon positive dont nous pourrions aborder un thème que l’on prend habituellement de façon négative. Le père Noel. Il est une existence hautement détestable pour celui qui marche dans les voies du Seigneur et de la tradition, a priori. On l’amalgame facilement et rapidement à la commercialisation complète de cette belle fête, le pourrissement par des cadeaux excessifs de nos enfants et, par-dessus tout, l’oubli complet de la sainte naissance. Plus de jeûnes, plus de messes, simplement une sorte d’orgie qui se fait encore généralement en famille, mais pour combien de temps… Sans compter que sapins et autres fantaisies ne sont que des traditions au mieux importées quand elles ne sont pas inventées.
Tout pousse donc à railler et à conspuer cet ersatz de tradition. Au mieux, on l’ignorera. L’art consiste pourtant à, certes, s’évertuer à prôner avec intransigeance et sans faiblir la beauté du rite traditionnel et des habitudes millénaires, mais aussi, en sus, non pas à ignorer le Noel profane, mais à le sacraliser à nouveau en y retrouvant les aspects traditionnels qu’il peut posséder, tout en rejetant ses aspects décadents. Car tout est traditionnel chez les hommes, il suffit de savoir regarder et découvrir, il suffit d’enlever la crasse que le temps a pu déposer ou que certains se sont évertués à épaissir. Et cette tradition du Père Noel peut très bien se prêter à la redécouverte des traditions millénaires. Comme trop de gens ne connaissent plus que cet aspect moderne de notre belle fête de Noël, autant y prendre la substantifique vérité qui y est contenue, tout en continuant à pratiquer le Noel classique. Le Père Noel, traditionnel ?, il débloque, me direz-vous peut-être… Et pourtant…
« Je crois que le fait que nous ayons imaginé cette divinité sous la forme d’un ancêtre aux cheveux blancs est quelque chose de très naturel. On appelait bien « mamie » et « papi », lorsque nous étions petits, les mânes qui revenaient dans les maisons en paix durant Obon, la fête des morts. Si l’on met ce phénomène en parallèle avec la pensée des esprits fusionnés, que j’expliquerai en détail plus tard, mais qui consiste essentiellement dans la communion-fusion des mânes qui nous viennent en aide et protègent leur descendance terrestre, il n’y a pas d’appellation plus naturelle que celle de grand-père cette divinité. A l’origine, les croyants en cette figure voyaient en apparition cette personne d’Ancien qui se manifestait concrètement à eux. C’est pour cette raison que je pense que la divinité Toshigami est en fait la figure de la fusion de tous nos ancêtres [qui vient visiter chacune des maisons]. »[2]
Voici ce que nous apprend ce grand de la pensée japonaise. Le Père Noel, dans l’interprétation nipponne, incarne la fusion de nos ancêtres qui reviennent nous visiter une fois l’an. On se tourne vers le passée, et on se tourne vers la figure du Père, des ancêtres, jusqu’au Créateur, Dieu le Père, puis nous redescendons la lignée à partir Adam jusqu’à Jésus, issu de la lignée des rois, au rythme des premiers mots de l’évangile de Saint Mathieu. Et on se rappelle que nous aussi sommes liés à Adam et Jésus, puisque nous sommes liés à nos ancêtres et reliés à tout homme par eux, à un certain degré, et que nos rois ont aussi certainement des origines davidiques bien plus forts et éclatant, expliquant pourquoi les races de Roi sont Rois : ils sont les lignées les plus proches spirituellement des origines, qui ont moins oublié que d’autres.
Noël nous parle aussi de la lignée humaine qui commence à Adam, passe par Jésus, et nous parvient jusqu’à chacun de nous à travers toutes ces lignées qui remonte à la race adamique, dont témoigne de façon éclatante la naissance du Sauveur, tout en nous reliant aussi au monde céleste, inscrit dans cette lignée, et que la tradition du Père Noël, lavée de ses atours ridicules, peut aussi nous indiquer.
« Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham.
Abraham engendra Isaac; Isaac engendra Jacob; Jacob engendra Juda et ses frères;
Juda, de Thamar, engendra Pharès et Zara; Phares engendra Esrom; Esrom engendra Aram;
Aram engendra Aminadab; Aminadab engendra Naasson; Naasson engendra Salmon;
Salmon, de Rahab, engendra Booz; Booz, de Ruth, engendra Obed; Obed engendra Jessé;
Jessé engendra le roi David. David engendra Salomon de la femme d’Urie;
Salomon engendra Roboam; Roboam engendra Abia; Abia engendra Asa;
Asa engendra Josaphat; Josaphat engendra Joram; Joram engendra Ozias;
Ozias engendra Joatham; Joatham engendra Achaz; Achaz engendra Ezéchias;
Ezéchias engendra Manassé; Manassé engendra Amon; Amon engendra Josias;
Josias engendra Jéchonias et ses frères, au temps de la déportation à Babylone.
Après la déportation à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel; Salatheil engendra Zorobabel;
Zorobabel engendra Abioud; Abioud engendra Eliacim; Eliacim engendra Azor;
Azor engendra Sadoc; Sadoc engendra Achim; Achim engendra Elioud;
Elioud engendra Eléazar; Eléazar engendra Matthan; Matthan engendra Jacob;
Jacob engendra Joseph l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle Christ.
Il y a donc en tout quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations depuis David jusqu’à la déportation à Babylone, quatorze générations depuis la déportation à Babylone jusqu’au Christ. »[3]
Pour finir, nous laissons la parole au prêtre S. et à son sermon de Noël :
Espoir
Luc 2, 10 « Mais l’ange leur dit: Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie: c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur… »
Aujourd’hui est le jour heureux de Noël [la Nativité] de notre Seigneur Jésus Christ. Comme le dit l’évangile de Lucas, les anges glorifièrent Dieu et chantèrent :
« Gloire à Dieu au plus haut des Cieux,
Paix sur Terre aux hommes qui respectent sa Volonté »
Ce chant des Anges est véritablement le chant de gloire de tout l’univers. Les Anges symbolisent l’ensemble des choses créées. Ce petit bambin qui nous est né a reçu la vie au sein de l’univers entier.
Saint Paul s’adresse ainsi à l’église des Corinthiens dans une de ses lettres : « Jésus, le premier né », rappelant ainsi qu’il est le grand frère de tout l’univers. Je vois pourtant aussi en ce jour aussi que Jésus est né pour nous comme le petit frère, le petit dernier de tout l’univers. Jésus est aimé par Dieu le Père, et il est aimé par nous, ses frères.
Cela me rappelle Joseph, qui symbolise Jésus, le messie tant attendu dans l’Ancien Testament, et qui doit venir. Joseph est le petit dernier des fils de Jacob, et il est chéri et honoré tant par son père que par ses frères. Jésus est aussi à la fois notre plus petit frère, le petit dernier, tout en étant notre plus grand et plus vénérable aîné.
Jésus nous a apporté l’espoir. D’une façon qui ressemble de façon troublante à l’espoir qui germe dans une famille lorsqu’un nouvel tout jeune enfant vient de naître, et qui porte sur lui tout l’espoir de la Maison. Le poète indien Rabindranath Tagore écrivit naguère le poème suivant :
« Tout poupon, quand il naît, porte avec lui le message divin que Dieu ne désespère pas de l’humanité. »
Oui, vraiment, le petit Jésus qui est né aujourd’hui parmi nous porte l’espoir de l’humanité, et il porte aussi en naissant pour nous l’espoir du Créateur Dieu lui-même. Jésus est avec nous et avec Dieu l’espoir même. C’est pour cela que nous chantons avec les Anges, l’univers entier et toutes les œuvres de Dieu « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux » et que nous continuons par « Paix sur Terre aux hommes bons ».
Par sa Nativité, Jésus nous a apporté la Joie. Nous ne pouvons-nous retenir d’exprimer notre joie face à la Nativité de Jésus. Célébrons en cette nuit au nom de l’univers entier la naissance de ce petit enfant, et élevons vers Dieu le Créateur de tout l’univers qui nous a envoyé ce petit enfant toutes nos prières de grâce et de louange.
Père très Saint, en cette sainte nuit, vous nous avez éclairé de la vraie lumière, par le Christ. Que nous, qui avons cette lumière resplendissante dans les ténèbres, puissions chanter éternellement notre joie. (Prière commune de la célébration de la Nativité)
Paul de Beaulias
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Amen
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[1] Kunio Yanagita, Histoire d’ancêtres (先祖の話), Tôkyô, Kadokawa, 2014 (1945), p.64 « 一方には九州のずっと南の方でも、除夜の年越しの晩に年どんまたは年じいさんという人が、好い子供には年玉の餅を持って来てくれる。それを貰わぬと一つ重ねることが出来ぬといい、信じはせぬまでも舶来のサンタクロースと、まったく同じ話をしている家が多いさうだが、[…] »
[2]
[2] Ibid, p.65 « そうして、我々がこれを白髪の翁嫗と想像したことも、又決して不自然ではないと思う。盆に平和の家に還って来る祖霊を、小児らはやはりじいさんばあさんと言っていた。これはこの後に述べようとする霊融合の思想、即ち多くの先祖たちが一体となって、子孫後裔を助け護ろうとしているという信仰を考え合わせると、子供に親しみを持たせるためには、これより好い名はないのであった。もとはしばしば同じ老翁の御姿をもって、信ずる人々の幻覚に現れておられたのである。年神を我々の先祖であったろうと言う私の想像ここに根ざしている。 »
[3]
[3] Évangile de Saint-Mathieu, chapitre , 1-17