Lettre d’un émigré. Qu’est-ce qu’un patriote, un vrai ? Autour du mot 憂国
Le mot « patriote » fait partie de cette étrange espèce dans la langue française qui originellement utilisé par les révolutionnaires, en est venu à posséder comme une nuance positive parmi les « nationaux ». Il faut rester très prudent face à ce genre de « migration », qui pourrait peut-être révéler plus une transmission de la maladie révolutionnaire à l’ancienne tradition bernée par la République qu’une véritable conversion du mot. Le mot « nation » possède d’ailleurs le même caractère dangereux, et comme il faut distinguer absolument la patrie en son sens ancien de son sens révolutionnaire, il faut aussi distinguer la « nation » qui ne signifie rien de plus que l’endroit « où l’on est né », de l’autre nation, cette sorte de construction idéaliste et inexistante des révolutionnaires pour laquelle tant de bons français ont servi de chair à canon.
Si la Patrie est la terre des pères, qu’est-ce qu’un patriote ? Dans la bouche du bonhomme, c’est simplement celui qui aime la terre de ses pères, mais alors pourquoi utiliser un mot pour quelque chose de si évident et si naturel que l’attachement à sa terre ? Soit l’évidence n’est plus une évidence, du fait d’acharnés qui détestent la terre, non seulement de leurs pères, mais aussi la terre tout court, et préfèrent idées et idéaux artificiels et désincarnés, l’homme parfait et inexistant, aux personnes de chair et d’âmes, sous le ciel et sous Dieu. Soit encore, la patrie est usurpée, inventée par des fous révolutionnaires, et correspond à ce monstre qui n’existe que dans la tête des gens, mais qui pousse diaboliquement à détruire, à haïr et à massacrer son prochain, tant dans la chair que dans l’esprit.
Dans cette indistinction, typique de l’art révolutionnaire d’usurper les mots du passé, tout le drame se joue. Les fous parlent de patrie et se disent patriotes. Les gens de bon sens parlent de patrie, se disent patriotes, et meurent pour elle – les premiers meurent beaucoup moins, vous remarquerez. Alors tout le monde est-il patriote ? Et bien non, les premiers utilisent les seconds pour se cacher et continuer la guerre des parties, la main mise matérielle, l’usurpation et les folies idéologiques, aux dépens des seconds, de bonne foi pourtant, mais qui se font berner totalement.
Le drame est poignant et rageant. Nos aïeux du début du vingtième siècle croyaient sincèrement mourir pour la France et les gens qu’ils aimaient, quand ils ne servaient que de chair à canon à la République. Ont-ils sauvé la France ? Ils ont de façon certaine assuré la longévité du parasite républicain tuant la France à petit feu, qui devient au fil des années grand incendie et grande épidémie délétère -et fatale si rien n’est fait par tout un chacun- , toujours plus affaibli par la disparition irrémédiable de tant de bonnes vies, et la dévastation spirituelle et physique des survivants altérés à jamais, dont la flamme a perdu une certaine vivacité, une part de sa lumière.
Au Japon, qu’est-ce qu’un patriote ? Ce n’est ni celui qui aime simplement sa terre. Ni évidemment le monstre révolutionnaire que l’on aimerait ne jamais avoir connu. Non, patriote en japonais se dit yûkoku 憂国、c’est-à-dire, mot à mot, qui s’inquiète pour son pays, qui se fait du souci. N’est-ce pas une définition des plus exactes et des plus appropriés ? Car, au fond, qu’est-ce que réellement aimer son pays sinon s’en soucier, être préoccupé par sa situation actuelle ou à venir, dans l’inquiétude pour ses descendants, pour les terres, pour la tenue morale et le salut de son pays. Cette simplicité de l’expression de l’amour de son village, de son pays, de son royaume est une composante naturelle de la bonhomie humaine, aboutissant naturellement à des actions positives et qui fonctionnent aussi, et d’abord, quand les choses vont bien et que l’urgence n’est pas là : on ne se prépare jamais mieux aux temps de malheur que quand tout va bien. On n’a jamais fini d’être patriote, et surtout pas dans les temps où tout va bien, puisque justement ces temps ne sauraient durer éternellement.
Et quand l’urgence et là et le désordre tout proche, restons soucieux du pays dans une inquiétude pleine d’espérance qui ne s’abat point, ni ne tombe dans la violence par dépit ou désespoir, mais continue de fonctionner sur le ferment de l’amour, au sens divin du terme, et se prépare au sacrifice ultime par le sacrifice au jour le jour.
Paul de Beaulias
Pour le Dieu, pour le Roi, pour la France