Cette Croisade 2.0 !
Le 28 mai 1291, tombe la ville de Saint Jean-d’Acre, dernière cité franque d’Orient incarnant le royaume de Jérusalem, fondé 192 ans auparavant par Godefroid de Bouillon.
Située à 152 kilomètres de la ville sainte, Saint Jean d’Acre abrite alors pas moins de 35 000 habitants, 15000 chevaliers templiers et soldats croisés envoyés par le Roi Henri II de Lusignan, Roi de Chypre et de Jérusalem. Ils vont résister durant un mois et demi aux assauts de 200 000 mamelouks qui assiègent alors cette ville portuaire. Lorsqu’ils finissent par entrer par la Porte Antoine, les mamelouks se déchaînent alors sur les roumis (chrétiens). C’est un massacre. 10 000 personnes sont passées au fil du cimeterre. Dans les rues dallées, c’est la fuite vers les bateaux qui évacuent la ville en désordre. « Chevaliers, prêtres, moines et religieuses, femmes de qualité ou du peuple, enfants, emportant les blessés », tous voulaient échapper à la vindicte des vainqueurs « quitte à marcher sur les morts dont les corps gisant sur le sol qui formaient un pont » nous raconte un chroniqueur de l‘époque.
« Les Francs ne possédèrent donc plus rien .Espérons, s’il plaît à Dieu, que cela durera jusqu’au jour du Jugement », écrira quant à lui l’auteur arabe, Ibn–Férat. Depuis, en dépit de diverses tentatives reconquêtes de Jérusalem, à chaque siècle, les croisades n’ont cessé d’exercer une certaine fascination sur les européens, renforcées aujourd’hui avec la puissance des images provenant de super productions hollywoodiennes comme « Lawrence d’Arabie » ou « Kingdom of Heaven ». La littérature abondante sur le sujet, ne manque pas de déclencher des polémiques tant certaines visions restent caricaturales, partisanes ou trop romantiques
L’arrivée sur la scène militaire et politique internationale de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et les crispations communautaires sur le vieux continent ont fait ressurgir, chez certains, ce mythe de la croisade. Les récents assassinats de masses des chrétiens d’Orient (comme les Yazidis) par les fondamentalistes de Daesh (acronyme méprisant d’ EIIL) ont mobilisé tout ce que le monde occidentalisé compte de chrétiens pratiquants ou non, émus par la sauvagerie des islamistes salafistes.
Daesh est en 2015, une organisation qui régit un état virtuel de 300 000 kilomètres, répartis entre l’Irak et la Syrie rebaptisé pompeusement « Califat ». Dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi, qui s’est attribué le titre de « calife Ibrahim », celui-ci prétend être un descendant du prophète Mahomet . Un seul crédo de ce nouveau djihad : « la loi islamique est la seule loi applicable ».
Appelant tous les sunnites à lui prêter allégeance , Abou Bakr al-Baghdadi, rejette pêle-mêle la démocratie, la laïcité et le nationalisme, (qualifiés en juillet 2014 dans un communiqué d’« ordures de l’Occident » mais aussi la doctrine musulmane chiite). Inutile d’ailleurs de chercher des financements des pétromonarchies (dont le calife autoproclamé ne reconnaît pas plus l’autorité royale que religieuse), l’état islamique possède lui-même ses propres revenus avec des recettes générées par les pillages des sites historiques, les champs de pétrole qu’il contrôle, les rançons, l’exploitation du gaz naturel… Soit un budget de 3 milliards de dollars à fin 2014 qui lui a permis d’acheter en masse des armes lourdes pour contrer la coalition hétéroclite qui s’est formée contre elle.
C’est avec force de propagande, de manipulation des images et de vidéos tournant en boucle sur internet, partagées par milliers de personnes sur les réseaux sociaux, que partisans et opposants de Daesh se battent également. Avec la montée du communautarisme de part et d’autre dans l’hexagone, les récents attentats isolés ce ces derniers mois, ont fait basculer certains français dans la radicalisation militaire, n’hésitant pas s’identifier à une nouvelle chevalerie, réclamant le début nouvelle croisade contre le danger islamique. Avec comme icône, le pieux Baudoin IV de Jérusalem qui malgré la lèpre, resta un pieu et tolérant souverain chrétien tout au long de sa vie, résistant au Sultan Saladin qui aura finalement raison de la ville sainte en 1187.
Ce mouvement militaro-mystique émergent reste encore minoritaire en France mais attire néanmoins toutes les couches sociales de la société française, toutes tranches d’âge diverses, du simple étudiant au retraité exalté, déterminés à lutter contre «la violence sauvage de l’État islamique». Le journal « Le Figaro » résume ainsi l’état d’esprit de ces croisés modernes du XXIème siècle : « Ils cherchent à partir en Irak ou en Syrie et se renseignent sur les réseaux sociaux auprès de milices chrétiennes, qui leur promettent de protéger les chrétiens persécutés par les djihadistes », peu importe peu, s’ils n’ont jamais ou peu exercé d’activités militaires.
Quid de ces mouvements armés qui ont troqué la côte de maille et l’épée pour l’AK 47 et la tunique de camouflage des guerres modernes. Du Syriac Military Council (co-fondé par un ressortissant suisse) aux Unités de protection de la plaine de Ninive (UPPN) en passant par le dernier né de ces milices chrétiennes modernes, le «Dwekh Nawsha» (prononcé : douek naousha ou Futurs martyrs en assyro-chaldéen), ils sont présents sur tous les réseaux sociaux. Dwekh Nawsha annonce la couleur sur Facebook : « créer une armée chrétienne pour lutter contre la barbarie islamique, protéger les chrétiens d’Orient et toutes les populations opprimées par celle-ci. Avec en fond de toile les 10 commandements du chevalier chrétien ». On ne saurait être plus clair.
Fondée en août 2014, forte d’une centaine de combattants sur le terrain aux origines diverses, son porte-parole définit ainsi la milice Dwekh Nawsha : « d’anciens militaires, des étudiants, des militants d’associations chrétiennes ou de simples citoyens tentés par le souffle de l’aventure » (qui au passage devront toutefois devront financer eux –mêmes leur croisade) tout en précisant que leur casier judiciaire doit être vierge et qu’il n’accepte aucun « nazillon ».
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des milices chrétiennes voient le jour dans le Moyen-Orient afin de protéger les minorités chrétiennes attirant des occidentaux en manque d’exotisme. Ainsi Lors de la guerre du Liban à la fin des années 1970, des Français provenant notamment des rangs de l’extrême-droite partent prêter main forte aux phalanges chrétiennes de Kataëb dirigés par le Cheikh maronite Pierre Gemayel. Preuve s’il en est que les relations restent encore étroites entre ces milices et leurs alter égos français. Daniel Hamiche, journaliste bien connu des milieux légitimistes, écrivait il y’a peu dans l’Observatoire de la christianophobie que Dwekh Nawsha avait noué des contacts avec les Forces Libanaises de Samir Geagea (proche de la famille Gemayel et leader du Mouvement des Forces Libanaises). Ou encore, ces monarchistes issus d’une mouvance radicale, vus aux côté des peshmergas kurdes aux premières heures des combats contre les fondamentalistes. Rien d’étonnant en soi quand on sait que le Comte de Chambord lui-même fut impliqué dans l’histoire politique du Liban.
Pourtant ce n’est pas pour autant que ces croisés 2.0 sont envoyés au front. Les opposants à Daesh se gardent bien d’envoyer les étrangers en première ligne de crainte que leur mort médiatisée ne leur fasse une mauvaise publicité.
Mais la réalité est moins manichéenne qu’il n’y parait. On est loin de l’idéal romantique du croisé. La politique reprend ses droits avant les questions religieuses. La milice Dwekh Nawsha, dont la première unité militaire est opérationnelle depuis le 12 mars 2015, est pilotée en sous-mains par le parti patriotique assyrien dont l’idéologie nationaliste vise clairement à établir un état indépendant que le traité de Sèvres lui avait assuré en 1920. Pour le porte-parole de Dwekh Nawsha, sa position concernant les combattants Kurdes qui luttent contre Daesh est sans appels : « pour nous, les peshmergas kurdes ne valent pas mieux que l’État islamique ». Cette animosité remonte au massacre de 1936 quand les assyro-chaldéens tentèrent de faire respecter les accords du traité de Sèvres. Les supplétifs kurdes de la jeune armée du royaume irakien tuèrent en masse ces chrétiens, arrêtant au passage le patriarche héréditaireMar Eshai Shimun XXIII qui finira par s’exiler et mourir aux Etats-Unis en 1976 (actuellement le patriarcat est vacant depuis le décès de sa Sainteté Mar Dinkha IV, le 26 mars 2015).
Une division que « La Croix » nous exprimait dans son édition du 15 avril: « la communauté internationale reproche par ailleurs aux chrétiens d’Irak leur incapacité à afficher une position unie pour défendre leurs intérêts. Les milices nouvellement créées ne sont que le reflet de l’extrême division qui règne au sein de leur communauté politique ». Et reprise en écho par un ancien commandant de l’armée irakienne à la tête des 400 combattants des UPPN : « Une participation de façade plus que sporadique, souligne, critique, Fouad Massoud, dont le seul but est d’alimenter la posture des Kurdes comme protecteurs des minorités aux yeux de la communauté internationale. » tout enrenforçant l’idée de construction d’un nouvel état chrétien de l’Irak à la Turquie : « Nos UPPN deviendront à terme l’armée régulière d’une région autonome chrétienne abritant les autres minorités, un peu sur le modèle des peshmergas au sein de la région kurde ». Et ce en dépit de la loyauté affichée de la hiérarchie des églises chrétiennes de Syrie envers le régime alaouite du Président Syrien Bashar Al Assad. Et dont l’échiquier Européen, France en tête, refuse obstinément de reconnaître l’échec du printemps arabe dans le pays, au risque de voir Daesh pénétrer en Turquie, porte d’entrée de l’Europe. Le président syrien s’est rebaptisé récemment dans un geste de provocation « le défenseur des chrétiens et des minorités contre les «terroristes», s’abritant derrière son allié russe, véritable poil à gratter de l’Europe.
Guerre d’influence et de stratégie en Europe qui profitent aux fondamentalistes.
« Pris entre le marteau chiite et l’enclume sunnite, », le « nombre des chrétiens du Moyen-Orient (environ 12 millions) sera divisé par deux dans sept ans, en 2020, si rien n’est fait pour endiguer l’avancée de l’organisation État islamique » selon le chercheur Antoine Basbous, spécialiste des pays arabes. En mars dernier, l’observateur du Vatican à l’Organisation Nations unies (ONU), Mgr Silvano Tomasi, se disait favorable à une intervention militaire contre les islamistes en Irak et en Syrie afin de « stopper cette sorte de génocide », rompant ainsi le principe de neutralité qui prévalait au sein des institutions religieuses chrétiennes depuis la dernière guerre du Golfe. Un appel qui aura été suivi par une centaine d’occidentaux chrétiens venus rejoindre les milices constituées militairement sur le terrain. Aujourd’hui sans salaires, ils déchantent loin de cette croisade rêvée contre les musulmans et pensent revenir dans leurs pays respectifs. « Avec leurs armes !», précisent-ils ! Prélude à un nouveau choc des civilisations ?
Frédéric de Natal
Sources : Le Figaro, la Croix, les Clefs du Moyen-Orient.