Tale of tales : une fresque onirique époustouflante
L’affiche de ce film est tout simplement fascinante, époustouflante, d’une incroyable richesse et d’une attraction à laquelle on ne résiste pas, d’autant plus que la très belle Salma Hayek y campe le personnage le plus irrésistible que l’on puise imaginer. Et avec elle, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly et Shirley Henderson, parfaitement à l’aise dans leurs rôles. La mise en scène est somptueuse, les mots me manquent ! Il s’agit de trois histoires qui se déroulent dans trois royaumes voisins, avec un seul défaut : on passe de l’un à l’autre sans trop savoir pourquoi. Nous voyons un roi à la sexualité débridée, un autre quasiment ensorcelé par un étrange animal et enfin une reine obsédée par son désir d’enfant…
Deux fois Grand Prix du jury à Cannes, le réalisateur de Gomorra (2008) et de Reality (2012) Matteo Garrone nous offre une très libre adaptation du fastueux Conte des contes, cinq volumes écrits aux alentours de 1625 par Giambattista Basile. Nous quittons le monde très sérieux des adultes pour celui des enfants qui évoluent dans des univers fantastiques de rois et reines, ogres, princesses et sorcières.
Que nous disent ces contes ? Que nos désirs peuvent devenir monstrueux, comme cette puce qu’un troisième roi (Toby Jones) nourrit tant et avec tellement d’amour qu’elle en devient éléphantesque, mais cette passion l’éloigne de sa fille qu’il ne voit pas grandir et dont il se débarrasse en la faisant épouser (ô destin cruel) un monstre d’une laideur et d’une barbarie extrêmes pour respecter la parole donnée. De toutes les situations évoquées, c’est celle de ce mariage hors normes qui m’a le plus émue. Le montre est un géant qui habite dans des lieux reculés, loin de toute civilisation, sur des plateaux arides, et quand il l’emporte, on peut imaginer que c’est pour le compte d’un prince qui veut rester anonyme. Hé bien pas du tout, mon optimisme m’a trompée, c’est pour son usage personnel. Je vous laisse imaginer la suite.
Les contes prennent généralement leur origine dans les problèmes sociétaux, où rêves et cauchemars se côtoient dans la réalité et dans l’imaginaire. Nous sommes à Naples, dans les années 1620, avec les réformes culturelles lancées par le vice-roi visant à l’hispanisation des milieux culturels locaux. Artistes et intellectuels napolitains se trouvent en danger et réagissent selon leurs personnalités. Déçu par le médiocre succès de ses écrits académiques en langue vulgaire, Giambattista Basile (1575-1632) va ainsi produire, sous l’anagramme Gian Alesio Abbattutis, un chef-d’œuvre, Lo cunto de li cunti, overo lo Trattenemiento de’ peccerille (Le Conte des contes, ou le Divertissement des petits-enfants). « Le plus beau livre italien du XVIIe siècle », selon Benedetto Croce, ne sera publié qu’après la mort de l’écrivain en 1634-1635. Le Conte des contes est construit sur le modèle du Décaméron de Boccace. Autrement dit, nous ne sommes pas dans une simple construction et nous pénétrons dans un univers d’une immense complexité.
Le Conte des contes, c’est un conte qui engendre des contes, dans une délivrance débridée où la collection des histoires n’est que le prétexte à la démonstration de la virtuosité poétique de l’auteur. Aucune thématique imposée, contrairement à Boccace, mais un parcours initiatique pour chaque héros ou héroïne. La genèse de l’écriture du Conte des contes n’est pas connue (à ma connaissance). On peut imaginer une écriture progressive autour de 1624-1625, à partir de récits oraux que Basile aurait récoltés alors qu’il était administrateur dans les provinces napolitaines.
Pour qui se souvient des contes de Perrault, de Brentano ou de Grimm, ce film de deux heures vous enchantera, vous donnera envie de relire Basile si vous ne l’avez déjà étudié et vous prendrez le risque d’avoir envie de revoir ce film tant il est vrai que la démesure de cette explosion du fantastique vous saisira à la gorge au point de vous faire manquer d’air. Une fresque à la fois onirique et réaliste, qui pose mine de rien les questions du conscient baignée dans la puissance de l’inconscient…
Solange Strimon
NB : ne voir ce film que si vous voulez retrouver votre esprit d’enfant, sortir de l’infernale spirale des guerres, des problèmes de la Grèce, et de l’actualité de la canicule qui plombe la France…