Chronique satirique, la Propreté d’une ville
Vendredi soir, les cours ont pris fin, arrive l’heure de s’en rentrer chez soi. Quelques rues séparent le logis de l’établissement, toutes garnies, en maisons, en caniveaux, en âmes et en supports plus ou moins pressentis à autocollants et autres moyens de propagande. La rue appartient à ceux qui y descendent comme ils disent. La dernière expérience : se lever de bonne heure pour placarder le centre ville d’une traite ne s’étant révélée fructueuse que du côté de la prévôté (le choix de l’équinoxe d’été, à savoir la matinée où le soleil se sera levé le plus tôt de l’année n’est peut-être pas étranger à l’échec), il a été convenu que le collage quotidien, lors de la traversée fréquente de certaines rues, faisait tout aussi bien l’affaire. Passage de vendredi soir donc, température agréable, petit vent de circonstance et perspective du week-end plus que proche, l’humeur est au rendez-vous, l’autocollant sort subrepticement de la poche d’avant du sac à dos, quelques gestes méthodiques pour arracher les bandelettes de papier protégeant la colle, quelques autres gestes aussi mesurés pour l’appliquer contre la paroi de ce tuyau de gouttière qui paraissait fort apprêté pour l’occasion, une dernière série de petits gestes pour le coller de manière uniforme sur la surface généreusement bombée du tuyau et le tour est joué !
Pour autant le sujet n’est pas encore parvenu à destination et le goûter se fait encore attendre ! C’est que, de chemin il reste encore une ou deux rues. Une ou deux rues avec encore autant de, maisons, de caniveaux, d’âmes et de supports plus ou moins pressentis à autocollants de propagande ! Mais le jeune royco mytho-péchu-tradi n’est pas le seul à penser que la rue appartient à ceux qui y descendent, et il n’est d’ailleurs pas non plus le seul à y descendre, dans la rue ! Peu avant la station d’arrivée il peut par malheur tomber nez à nez avec un instrument de destruction massive socialisto-bolchévico-maçonnico-révolutionnaire ! Encore une fois les gestes sont méthodiques précis et appliqués. Le jeune homme, sifflotant la ligue noire, arrache en partant des coins l’autocollant subversif, et si besoin se faisant, va même jusqu’à sortir le laguiole gravé ou l’opinel taille trente douze pour râper le dissident reste de papier qui ose rester collé au tuyau devenu par là même un traître staliniste ! (salaud de tuyau, comment a-t-il osé ?!). La manœuvre se poursuit donc, mais là, imprévu, le communiste, traître à l’ordre et au pays, pointe le bout de son nez, et voyant le fruit de son travail de militantisme durement pensé se faire molester de la sorte, apostrophe le jeune fasciste. Il lui suffira de héler le groupe de survêtements ambulants au bout de la rue en leur précisant qu’il s’agit d’un raciste pour que la pression fasse son effet. Notre sujet n’est pas fou, de temps en temps il lui arrive même d’être un « non violent », il préférerait changer les mentalités par le biais des campagnes de propagande, ou du moins par le non relâchement du travail de fond et de réflexion. Il s’en retournera chez lui, recommandera une pile d’autocollants rappelant que « les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes », et continuera d’arracher la dissidence et de placarder la bien-pensance.
Ce qui n’arrêtera pas non plus c’est la volonté incessante de l’autre côté de faire pencher l’échiquier et d’éradiquer une bonne fois pour toutes tous ces fachos ennemis de la république (et comment), et le cycle étant par quelques aspects vertueux, les agents de propreté n’auront toujours pas à arracher les autocollants, les militants de chaque côté s’en occupant eux-mêmes si bien !
Qu’elle est belle cette société auto nettoyante ! Ne crachez pas sur les extrêmes messieurs dames, c’est grâce à eux que votre paysage visuel change régulièrement dans la rue, c’est eux qui vous procureront alternativement la joie de voir que décidément les jeunes n’ont pas abandonné et qu’il reste encore un soupçon de bon sens dans cette société, puis qui le lendemain vous feront vous dire que tout fout le camp, que le monde va mal, et ce simplement grâce à leur travail de remodelage de la société passant par ces assauts inassouvis contre les murs des rues, les horodateurs et les panneaux de signalisation !
Décidément interrogeons-nous sur l’utilité profonde de ces opérations collage. Alors bien sûr elles sont indispensables, il s’agira de communiquer sur l’existence des principaux groupes de résistance, de montrer notre présence, de ne pas abandonner le terrain à ceux d’en face, de ne rien lâcher en quoi que ce soit, et de contribuer à l’envergure du paysage d’action visible de notre action. Pour autant, que cela ne devienne pas l’unique objectif de toutes nos sections locales par pitié ! Que les royalistes n’aient plus pour simple objectif lors des réunions de planifier les prochains collages de masse ! Il en faut mais gare à l’égarement, à l’activisme qui n’est qu’une dérive de notre travail profond de base, qui doit être de réflexion, de partage et de diffusion des idées, de conversion, travail qui passe bien sûr par l’exposition quotidienne mais avant tout par la pensée et l’instruction en amont !
Parce que « Vive le Roy » aura toujours plus d’impact crié de votre bouche et étayé par votre pensée qu’étalée contre un mur. Collez en passant, pensez tout le temps.
François-Joseph Triponé