Paule Amblard et Maurice Denis, Le Chemin de Croix de Jésus
Dans notre France du xxie siècle peu chrétienne, versant volontiers dans le paganisme ou dans diverses idolâtries, préférant Mammon à la transcendance, nous pouvons parfois penser que certaines grandeurs et certaines beautés appartiennent au passé, à des temps révolus. Les périodes oratoires des prédications de Bossuet ou de monseigneur Fléchier, si efficaces et persuasives, peuvent nous sembler inégalables ; les primitifs italiens peuvent toucher nos cœurs et nous émouvoir bien plus qu’un « art chrétien » dépouillé né il y a quelques décennies ; les trésors de la polyphonie et du chant grégorien peuvent nourrir nos esprits plus efficacement que certaines monstruosités modernes ; la théologie médiévale peut nous sembler infiniment plus édifiante que de nombreux écrits rationalistes contemporains ; des figures telles que saint Louis ou Blanche de Castille font pâlir les étoiles du xxe siècle et les benêts du xxie ; mais ne croyons pas pour autant que la foi vivante et les dons de l’Esprit Saint aient arrêté d’enthousiasmer nos âmes : nous ne sommes point entrés dans une post-histoire du salut, dans une post-Église.
Dans un marasme d’impiété et de médiocrité, quelques coups d’éclat ponctuent la création artistique en matière religieuse, qui n’a jamais disparu et ne mourra pas. Le Chemin de Croix de Jésus[1] inédit, publié cette année chez Artège et signé par Paule Amblard et Maurice Denis, en fait partie.
Le « nouveau » dont nous avons gratifié notre titre ne doit pas tromper le lecteur : il n’a rien à voir avec la « nouvelle » théologie ou les « nouveaux » prêtres (selon l’expression de Michel de Saint Pierre). Il s’agit d’un chemin de croix conçu dans les règles de l’art (qui ne sont autre chose que la foi elle-même), et l’on se procurera cet ouvrage avec profit, pour agrémenter des premiers vendredis du mois, la fête du Très Précieux Sang, le carême et la Semaine sainte 2016, ou toute autre occasion.
Maurice Denis n’est pas d’hier : il est né en 1870 à Granville et mort en 1943. Ses œuvres ou ses conversations ont côtoyé Paul Gauguin, Auguste Renoir, Claude Debussy, Paul Valéry et d’autres noms de la même trempe. La préface de l’ouvrage (les textes sont naturellement de Paule Amblard, historienne de l’art) nous le présente de manière concise, nous introduisant aux peintures qu’il a réalisées pour sa « maison-couvent » de Saint-Germain-en-Laye où il s’est installé en 1915, ce vieil hôpital Le Prieuré ayant été détruit en 1914. Il y restaure la vieille chapelle du xviie siècle offerte par la marquise de Montespan, et choisit de peindre un chemin de croix (les clichés de Patrick Tournebœuf sont d’une qualité remarquable), en ce temps où la France a beaucoup souffert. Il fallait offrir ces souffrances avec celles du Christ, afin que ces premières ne soient pas vaines et stériles, ce qui aurait été – ou serait ? – une victoire du démon.
Maurice Denis est un artiste chrétien qu’il nous faut redécouvrir. Il a laissé pour sa postérité un témoignage et des commentaires intéressants : « La peinture est un art essentiellement religieux », ou encore : « Traduire par l’art le sentiment religieux c’est travailler sur notre fonds le plus intime, dégager les mystères de la vie intérieure ».
Chaque station est introduite par un agrandissement d’une fresque de Maurice Denis, avec en vis-à-vis son intitulé et une citation d’un auteur connu ou d’un livre saint. Nous y retrouvons, dans l’ordre, Gustave Thibon[2], Isaïe, saint Jean de la Croix, Søren Kierkegaard[3], saint Matthieu, le psaume 27, Max Jacob[4], saint Luc, Ernest Henley[5], Yves Congar (c’est dommage), saint Jean, Rabindranath Tagore (l’exotisme est de mode)[6] et Jean-Sébastien Bach[7].
En tournant la page, nous pouvons contempler sur la page de gauche une vue globale de la peinture correspondante de Maurice Denis. La page de droite est quant à elle garnie d’un texte sur deux colonnes, nous invitant à méditer les étapes de la Passion de Notre-Seigneur, à partir de l’œuvre de Maurice Denis, mise en face, et avec quelques précisions très intéressantes.
Le tout se termine par une prière personnellement composée par l’artiste, en 1926, à l’occasion de la fête de la Pentecôte, où la cécité le menaçait. Un support qui s’annonce fructueux pour la prière.
Jean de Fréville
[1]AMBLARD (Paule) et DENIS (Maurice), Le Chemin de Croix de Jésus, photographies de Patrick Tournebœuf, Perpignan, Artège, 2015, 74 p., 15,90 €.
[2]« Ce n’est pas la lumière qui nous manques, ce sont nos yeux qui manquent à la lumière ».
[3]« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin ».
[4]« Le Seigneur dans un faux pas comme un naufragé tient sa Croix. À tout faux pas, je fais naufrage. »
[5]« Aussi étroit soit le chemin, / Nombreux les châtiments infâmes, / Je suis le maître de mon destin, / Je suis le capitaine de mon âme. »
[6]« La mort ce n’est pas la lumière qui disparaît mais la lampe qu’on éteint parce que l’aube est venue ».
[7]« Jésus, tu es la mort de la mort ».