Histoire

Il y a deux cents ans, l’Angleterre rétrocédait l’île Bourbon à la France

Le 10 avril 1815, l’Angleterre rétrocédait l’île Bourbon à la France 

   L’archipel des Mascareignes, situé à l’est de Madagascar, et comportant notamment les actuelles île de la Réunion et île Maurice, apparut pour la première fois sur une carte établie par des navigateurs arabes au XIVe siècle. Mais c’est à l’amiral portugais Pedro de Mascarenhas, qui y débarqua en 1520, qu’il doit son nom.

    Cent trente ans plus tard, des marins anglais donnèrent à la future île de la Réunion le nom d’England forest, mais négligèrent  de la coloniser. Ce furent finalement des Français qui, en 1649, sous le règne de Louis XIII, en prirent solennellement possession et la baptisèrent île Bourbon.

    Sa colonisation ne débuta cependant qu’à partir de 1663 avec l’arrivée progressive de quelques dizaines de Français de métropole et de Malgaches – le royaume de Madagascar étant alors un allié de la France – rapidement placés sous l’égide de la Compagnie des Indes orientales, créée l’année suivante par Colbert. Avec la fondation concomitante du port et de la ville de Saint-Denis, autre hommage à la couronne de France.

    Le 8 avril 1794, le gouvernement républicain changea le nom de l’île en celui de Réunion, en l’honneur des « fédérés », volontaires de toutes les provinces accourus pour défendre « la patrie en danger ».

   Cette même année, venait s’y établir le Toulousain Joseph de Villèle, alors âgé de vingt-et-un ans, après plusieurs mois d’emprisonnement pour ses opinions royalistes. Le futur premier ministre à occuper ce poste le plus longtemps de la Révolution à nos jours, s’y enrichit dans la culture du café et y épousa l’héritière d’une des familles les plus importantes de l’île, les Desbassayns. Il retourna en France en 1807, à la faveur de « l’amnistie » accordée par Napoléon aux Émigrés, ce que Villèle n’était pas vraiment… Entre temps, l’île avait encore changé de nom, devenue « Bonaparte », officiellement à la demande enthousiaste des populations locales, en vérité par une illustration supplémentaire de la mégalomanie et de l’art de la communication de l’empereur des Français.

    Celui-ci ayant cependant, un peu comme Louis XV, enfermé la politique française dans une vision purement continentale de ses intérêts et, de toute façon, privée de marine depuis Aboukir (1799), Trafalgar (1805) et l’île d’Aix au large de Rochefort (1809), laissa les mers libres à l’Angleterre qui prit ainsi possession de la plupart des colonies maritimes de la France, dont les Antilles et l’île Bonaparte, rebaptisée « Bourbon » en 1810 : un signe…

    En 1814, après la victoire des Alliés, l’abdication de Napoléon et l’avènement de Louis XVIII, s’engagea une longue négociation internationale sur le partage des dépouilles de l’Empire mais dans un contexte inédit et jamais reproduit depuis lors : l’ennemi devenu ami, ce qui vaudrait d’ailleurs au chansonnier Pierre-Jean de Béranger un petit séjour en prison pour une chanson satirique qui en avait fait son titre.

    Anglais et Russes tombèrent d’accord sur la nécessité de trouver un équilibre, que sut plaider efficacement Talleyrand, entre le rejet de la Révolution et l’honneur de la France. Pour ce faire, il fut convenu, par le traité de Paris du 30 mai 1814, qu’un congrès se réunirait à Vienne avant la fin de l’année pour régler posément l’ensemble des questions à résoudre. Mais, avec la signature du traité, les Alliés fixaient d’ores et déjà deux principes : ramener les frontières de la France à ce qu’elles étaient au 1er janvier 1792, c’est-à-dire avant le début des guerres révolutionnaires, tout en acceptant quelques augmentations de territoire, non négligeables et propres à conforter sa situation en Europe. Ce qui fit dire à Talleyrand, dans une de ces envolées flagorneuses dont il avait le secret : «  sous Napoléon, la France était immense, sous le règne de Votre Majesté, elle devient grande. »

    En dépit de quoi, la très maritime Albion se faisait un peu tirer l’oreille pour rendre certaines îles qui, à ses yeux, ne faisaient évidemment  partie ni du « patrimoine territorial » français ni de ses intérêts légitimes. C’est ainsi que, malgré les honorables principes ci-dessus rappelés, une discussion qu’il faut bien qualifier de marchands de tapis aboutit à une cote plus ou moins bien taillée : la France récupérait ses Antilles, à l’exception de Tobago et de Sainte-Lucie et, dans l’océan Indien, se voyait restituer l’île Bourbon mais non l’ancienne île de France, devenue entretemps île Maurice.

    D’un commun accord, les deux puissances coloniales se donnèrent un maximum d’un an pour procéder aux transferts de souveraineté correspondants, la date retenue pour l’île Bourbon étant fixée au 6 avril 1815. Malgré la réputation britannique de faire toujours passer ses intérêts avant sa parole, le gouvernement de Londres prépara consciencieusement l’opération prévue, ordonnant notamment au gouverneur de l’île, Henry Sheehy Keating, de la pavoiser  aux couleurs du royaume de France et de recevoir avec le maximum de solennité son successeur français, Athanase Hyacinthe Bouvet de Lozier, fils du navigateur et explorateur qui fut notamment gouverneur des Mascareignes au milieu du XVIIIe siècle : un symbole. Louis XVIII l’avait nommé dès le 27 juillet précédent.

   Or, à la date prévue pour la cérémonie officielle, le roi de France avait pris la fuite devant Napoléon et celui-ci  gouvernait de nouveau depuis les Tuileries. Que faire ? D’un côté, le traité de Paris semblait devoir être rapidement frappé de caducité. De l’autre, le gouvernement anglais n’avait pas reconnu l’usurpateur et pouvait maintenir la fiction diplomatique consistant à ne traiter qu’avec le roi de France. Whitehall était alors tenu par une main de fer, celle du Tory Robert Jenkinson, comte de Liverpool, en fonction depuis 1812 (s’étant retiré en 1828, il détient depuis lors le record de durée dans le poste, quatorze ans et dix mois). Persuadé que le coup de force de Napoléon ferait long feu, il décida de ne rien modifier à ce qui était signé et, compte tenu des distances à parcourir, l’île Bourbon ignorant encore le changement de pouvoir à Paris, il se contenta de n’envoyer aucun contre-ordre à Keating.

    Ce ne furent donc pas les Cent-Jours ni les Britanniques qui retardèrent le rétablissement français : dès le 2 avril, le drapeau fleurdelisé flottait sur le port et les bâtiments publics de Saint-Denis. Mais, pendant quatre jours, une tempête dans l’océan Indien écarta de sa route le vaisseau du nouveau gouverneur. Celui-ci n’arriva donc à bon port que le 10 avril 1815, pour constater que les Anglais savaient tenir parole …

Daniel de Montplaisir

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