Chretienté/christianophobie

La Papauté d’Avignon et sa survivance

« À Noël 1993, un vagabond erre dans Rodez et lorsqu’on lui demande qui il est, il répond simplement : je suis Benoît. Les Services secrets du Vatican dépêchent leur meilleur agent qui se lance alors sur ses traces. Le Saint-Siège se sentirait-il menacé par un ermite ? Les rumeurs parlent du Grand Schisme qui déchira l’Eglise catholique  et qui est oublié depuis le Concile de Constance. La querelle est définitivement éteinte, l’affaire close pour tous. Pourtant cette lignée de papes rebelles ne s’est pas éteinte dit-on dans les campagnes. Simplement, sa trace s’est perdue… » Ainsi peut-on résumer L’Anneau du pêcheur écrit par Jean Raspail qui nous plonge dans l’histoire de la papauté d’Avignon et qui pose ces deux questions : y a-t-il une survivance de cette Papauté qui résista à Rome durant ? Le Pape actuel serait–il illégitime ?

Lorsque le cardinal français Jean-Louis Tauran annonce au soir du 13 mars 2013, d’une voix hésitante muée par l’âge, l’élection du Pape François, ce sont des millions de chrétiens qui applaudissent son avènement. La majorité du monde catholique reconnaît ce nouveau pape à l’exception des sédévacantistes qui considèrent que depuis 1958, le siège de Pierre est vacant et que les successeurs de Pie XII ne sont que des usurpateurs. Encore faut-il parler de ce conclave très sérieux de cardinaux issus de l’Église chrétienne palmarienne qui a élu son (anti-)pape en 2011 sous le nom de Grégoire XVIII. Certains y trouveront certainement ici la succession secrète d’Avignon. Le dernier Pape d’Avignon, Benoit XIII (1329-1423) n’était-il pas un Aragonais qui se réfugia à Peñíscola  après avoir été contraint de quitter Avignon sous la menace des armes…

On pourrait être troublé mais Grégoire XVIII et ses prédécesseurs n’ont comme relations avec Avignon que le schisme qu’ils ont créé avec Rome dans les années 1970.

Le Vatican est devenu le lieu de toutes les intrigues des puissances européennes du XIVe siècle ou chacune tente d’imposer son candidat. Un cardinal finit par faire l’unanimité en la personne de Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Devenu le Pape Clément V en 1305, il ne souhaite pas rejoindre la cité de Saint Pierre, craint pour sa vie et part se faire couronner à Lyon, alors terre d’Empire. Lors du couronnement, un incident intervient. Un vieux mur surchargé de curieux s’écroule sur le cortège, blessant  le duc de Bretagne et celui de Valois, causant la mort de 12 personnes et dans sa chute, le Pape perd un diamant de plusieurs milliers de florins… un diamant qui ne sera jamais retrouvé !  Pire, le soir, le frère du Pape est lui-même tué en tentant de séparer les domestiques des cardinaux et ceux du pape, engagés dans une violente querelle. Les esprits chagrins y voient là les futurs malheurs du nouveau Pape qui s’installe à Avignon, dans le sud de la France.

Sept papes français vont se succéder entre 1305 et 1377 puis 3 autres que l’Eglise romaine considère comme des anti-papes. Le monde catholique se retrouve bientôt avec un Pape à Avignon, un autre à Rome et un dernier à Pise. C’est le grand schisme d’Occident. Le dernier d’entre eux, Benoit XIII dit Pedro de la Luna refusa d’abdiquer et s’enferma dans la cité avignonnaise en 1398. Neuf mois plus tard, il doit s’enfuir et se réfugie en Aragon, sa terre natale, continuant à régner sur ses fidèles. En 1409, il ne restait plus que lui, le Vatican avait opéré sa réunification.

Benoît XIII mort en 1423, la succession d’Avignon ne s’éteint pas pour autant. Jean Carrier, archidiacre de Rodez et chapelain du comte Jean IV d’Armagnac, devient lors d’un conclave unique pape sous le nom de Benoît XIV (décédé en 1437). Il a des partisans, il est reconnu par une minorité mais ne reçoit pas le soutien du Roi d’Aragon. Son élection se termine dans la tragédie, il est arrêté par le Comte de Foix et exécuté, son corps enseveli sous le roc. Ses partisans brûlés (dit de lÉglise du Viaur) en place publique de Rodez comme le prophète et  forgeron Jean Tranier… Les successeurs de Benoît XIV se réfugient dans le silence et le dernier pape d’Avignon connu, Benoît XVI, meurt quasiment inconnu en 1499.

Plus de papes répertoriés peu après, aucun écrit officiel… On parle juste de ces papes imaginaires qui parcourent la lande, abrités par quelques survivantistes. L’histoire du Vatican voit approcher sa prochaine crise institutionnelle, le bruit des armes est proche. On est désormais loin des convoitises du trône de Saint Pierre. Protestants et catholiques vont s’affronter, les Papes d’Avignon oubliés !

Oubliés !? Pas si sûr que cela car la succession d’Avignon a bel et bien perduré.  Un scoop ? La fin d’un mystère, une énigme résolue… non la vérité est plus simple que cela. L’Eglise Catholique Apostolique Avignonnaise, car tel est son nom, vit au sein d’un monastère bénédictin vallombrosain, près de Zurich en Suisse. A sa tête, un souverain pontife qui porte les titres « d’Evêque d’Avignon, Vicaire de Jésus-Christ, successeur du Prince des Apôtres, Pontife Suprême de l’Église universelle, Patriarche d’Occident, Primat de France, Archevêque et Métropolitain de la Province Avignonnaise, humblement régnant ». Douze cardinaux régissent ce petit Vatican, portant un anneau d’aigue-marine (et non d’améthyste, comme les évêques romains) au doigt… Hommage au Pape Benoît XIII, le Pape au-delà de la mer. Ils sont une dizaine de milliers  de catholiques répartis entre la France méridionale, la péninsule ibérique, en Autriche et quelques-uns en Amérique du Sud.

Qui sont –ils ? Qui est ce fameux pontife inconnu ? Les cardinaux refusent de donner son nom. Un serment de ne pas révéler leur nouvelle confession est exigée. Tout au plus la hiérarchie avignonnaise accepte-t-elle de parler de ce que certains journalistes appellent «  la petite Église de France » ? Ils prétendent que le Vatican est informé de leur existence et qu’à chaque élection de part et d’autres, une correspondance a lieu entre les secrétariats des Princes de l’Église apostolique. Des liens qui auraient été établis sous le règne du Pape Pie IX (1792-1878) puis sous celui de Léon XIII (1810-1903) soucieux d’unifier les Églises dissidentes.

Pape imaginaire ? On peut toujours en douter bien que cette Eglise dit d’Avignon n’est pas une inconnue au sein de l’Eglise apostolique romaine. Tout au long de la première moitié du XXe siècle, certaines affaires secouent l’épiscopat français et certains évêques, comme le cardinal Baudrillart qui menaça Benoit XV (1854-1914) de remettre un pape en Avignon.  Et que dire de l’élection de l’anti-pape Français Clément XV (décédé en 1974) que certaines mauvaises langues accusèrent d’être un de ces fameux papes avignonnais secrets et qui restaura le… royaume de France.

Le roman de Jean Raspail nous évoque pas moins de 29 papes qui se seraient succédés depuis 1499, tous sous le nom de Benoît. On connaît le sérieux littéraire de ce romancier et historien de talent. On peut donc s’amuser à compter les Benoît afin de trouver celui qui « règnerait » en ce moment sur ce « petit Avignon ».

Se pose alors la question de la légitimité du pape François dont certains catholiques critiquent le modernisme prononcé, contrairement à son prédécesseur Benoît XVI plus populaire chez les traditionnalistes. La guerre ouverte actuellement entre le pape François et la Curie romaine (notamment venue d’Amérique et d’Afrique) peut encore poser la question d’un nouveau schisme au sein du Vatican. Mais de là à penser qu’un Pape pourrait revenir à Avignon, il n’y a qu’un pas que certains peuvent aisément imaginer aujourd’hui.

La succession d’Avignon, réalité ou fantasme de survivantistes mystiques ?

Frédéric de Natal


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