Histoire

L’étrange mort du dernier Prince de Condé

Le matin du 27 août 1830, est découvert, en sa chambre du château de Saint-Leu, le corps sans vie du prince Louis VI Henri de Bourbon-Condé, 9ème -et dernier- Prince de Condé. Agé de 74 ans, pieusement endormi dans les draps de son lit, l’on se serait naturellement soumis à la volonté de Dieu qui rappelle les grands et les petits à l’heure arrêtée par Lui. Mais le prince est retrouvé pendu par deux mouchoirs reliés par un nœud. Le premier serrant le cou, le second attaché à l’espagnolette de la fenêtre de sa chambre. La maisonnée est stupéfaite car, rien dans le comportement du prince, qui s’était couché normalement la veille, n’annonçait une telle fin ! Son confesseur, l’abbé Pellier de Lacroix, est abasourdi et, connaissant l’âme du prince mieux qu’aucun de ses proches sur cette terre, affirme immédiatement et publiquement à qui veut l’entendre : «  Monseigneur le Prince de Condé est innocent de sa mort ! », il ne s’est pas suicidé ! D’ailleurs, comment l’aurait-il pu ? Le « pendu » avait les pieds qui touchaient le sol ! L’espagnolette étant banalement placée à portée de main afin de permettre l’ouverture de la fenêtre. Les menuisiers sont des gens sans imagination. Placer l’espagnolette un mètre plus haut rendrait l’ouverture de la fenêtre accessible avec un escabeau, mais aurait l’incomparable avantage de servir de potence le jour opportun ! Qu’à cela ne tienne, le prince fit contre mauvaise potence, bonne pendaison ! C’est en tous cas ce que la Cour Royale de « Louis-Philippe Ier des Français » conclura, un an plus tard, en classant le dossier sans suite……

Pourtant, la mise en scène précipitée d’assassins en herbe ou d’occasion, était si flagrante que les « Légitimistes » crièrent tout de suite à l’assassinat. Quelques jours après la  macabre découverte, le prince Jules Armand Louis de Rohan-Guéméné, cousin du défunt, demande officiellement un supplément d’enquête au tribunal de Pontoise, qui nomme le juge d’instruction de la Huproie. Son enquête commence et qu’apprend-il ?

Il apprend que le prince Louis VI Henri de Bourbon-Condé, est l’oncle de Louis-Philippe par feue son épouse Bathilde d’Orléans (1750-1822). Qu’à ce titre, il avait accepté d’être le parrain d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, son petit-neveu et cinquième fils de Louis-Philippe. Qu’enfin, sans postérité, Napoléon ayant fait enlever et fusiller dans les fossés de Vincennes son fils unique, Louis Antoine de Bourbon-Condé (1772-1804), le si jeune et insolemment « Ancien Régime » duc d’Enghien, le 21 mars 1804, le Prince de Condé avait testé, l’année précédente, au profit de son filleul Aumale, qui devenait l’héritier inespéré de la colossale fortune des Condé, comprenant le château de Chantilly et toutes les collections, mais aussi la première fortune foncière de France. Fortune évaluée alors à 66 millions de livres !

Il apprend ensuite que ce testament est le résultat magistral d’une double intrigue « nouée », si j’ose dire, par Madame de Feuchères, en mal de reconnaissance et de fortune. Mais il me faut revenir un instant sur la formidable capacité de nuisance de cette intrigante anglaise. Sophie Dawes (1790-1840), fille d’un contrebandier d’alcool de l’île de Wight, entra dans la vie du duc de Bourbon (titre du fils aîné, chez les Condé) en 1810, alors qu’elle était « serveuse » d’une maison close de Londres et le duc, un « consommateur » en exil. Immédiatement, le duc, âgé de cinquante-cinq ans, tombe sous l’influence, sans doute irrésistible, de cette aventurière de vingt ans. Il l’installe dans une maison de Gloucester Street et lui fait donner des cours de bonnes manières, de musique et de Français.

En 1815, « l’Ogre » est terrassé et les Bourbon rentrent en France. Le duc de Bourbon revient en son Palais Bourbon de Paris, suivi de Mademoiselle Dawes. Et pour éviter tout commérage et pouvoir la faire paraître à la Cour, il la présente comme sa fille naturelle et lui fait épouser son aide de Camp, Adrien Feuchères, qu’il fait titrer baron. Mais le vent tourne. En 1822, le baron de Feuchères découvre les réelles relations unissant son épouse au Prince de Condé, s’en émeut et, nouveau marquis de Montespan, refuse la coiffe dont l’a couvert son maître : il quitte sa femme, lui rend sa dot et lui impose une séparation officielle en 1824. Le scandale n’est pas dans les faits, dont Tout-Paris se régalait sous cape, mais dans leur officialisation ! Tout s’écroule, elle se voit interdire de paraître à la Cour, au Palais-Royal et dans tous les salons mondains. Tout lui échappe, même son emprise sur le Prince de Condé qui s’accommode trop bien, à son gré, de son infortune. Alors, l’amante devient la Mante (Religieuse), et naît en elle une vengeance à double détente qui lui assurera la fortune et perdra son bienfaiteur.

Possédant l’intelligence de l’intrigue des grandes ambitieuses, elle signale, en avril 1827, aux hôtes du Palais-Royal, qu’elle se propose de servir d’intermédiaire entre eux et le prince pour négocier un testament qui attribuerait la totalité de l’héritage colossal des Condé à son filleul Henri d’Orléans, duc d’Aumale, réserve faite du patrimoine que son cher prince lui lèguerait à elle, cela va sans dire… Premier tir, qui portera le 29 août 1829, lors de la signature du Testament : le duc d’Aumale devient le plus riche héritier de France et elle, n’est pas oubliée : elle se voit pourvue d’un capital de deux millions de livres, du château de Saint-Leu et son parc, du château et domaine de Taverny, du château et domaine d’Enghien, de la forêt de Montmorency, du domaine de Mortefontaine, du pavillon qu’elle occupait au Palais Bourbon et du château d’Ecouen ! Elle s’assure, de surcroît, l’indéfectible appui de la Maison d’Orléans !

Puis, connaissant les soupçons que le prince avait sur la responsabilité du prince de Bénévent dans la mort de son fils, le duc d’Enghien, elle fit savoir à l’intéressé, le 13 juin 1827, qu’elle serait heureuse de laver l’honneur des Talleyrand-Périgord dans l’esprit du père inconsolable. Sa proposition est la suivante : la réconciliation, qu’elle se fait fort d’obtenir, serait scellée brillamment par le mariage du marquis de Chabannes-La Palice, neveu de Talleyrand, avec l’une de ses nièces, Mathilde Dawes, qu’en signe de bénédiction, le Prince de Condé doterait d’un million de livres ! Pour elle, elle ne demande rien… que l’assurance que le prince de Bénévent intervienne auprès du Roi pour lever l’interdit qui la meurtrit bien injustement…. Second tir parfaitement ajusté : Mathilde devient la nouvelle marquise de Chabannes-La Palice et elle, s’attache le soutien du plus influent ministre de la Restauration !

En affaires (et celle de l’héritage Condé est prodigieuse), les Orléans sont honnêtes contractants et s’acquittent de leurs promesses. Secondés de Talleyrand, ils multiplient les démarches pour obtenir le retour en grâce de l’ex-baronne. C’est chose faite en janvier 1830, lorsque le Roi Charles X l’autorise à paraître de nouveau à la Cour. A cette occasion, la Dauphine, Marie-Thérèse de France, vivante relique de quatre martyrs, aurait soupiré : « Après tout… nous recevons tant de canailles… »  

C’est alors qu’arrive l’impensable à force d’avoir été espéré : les « Trois Glorieuses » des 27, 28 et 29 juillet 1830. Enfin ! La porte du Royaume s’ouvre à deux battants ! La porte de basse-fosse de l’usurpation, certes, mais qu’importe l’huis, tant qu’il mène au Trône ! Le grand-oncle Gaston d’Orléans (1608-1660) doit jubiler : le voilà payé, par procuration, d’une vie d’intrigues et de félonies infructueuses ! Puis, l’ombre paternelle de Philippe-Egalité est vengée ! Car, tout de même, la Révolution, c’est Egalité qui l’a financée avec le larron-héréditaire Anglais ! Le Roi, cet aîné exécré, c’est Egalité qui lui a consciencieusement placé la tête sous le couperet….. Pour y laisser la sienne, finalement ! Quelle négligence, si près du but ! Mais ce mauvais sang ne saurait le céder en perfidie ! Louis-Philippe, bon fils, relève la tête perdue par le père, comme l’on relève le gant de l’offense, et usurpe le Trône !

Cependant, pourquoi faudrait-il être payé par une catastrophe d’un triomphe ? Car le Prince de Condé considère d’un tout autre œil cette accession au Trône… La Maison Capétienne est une mécanique d’horlogerie qui égrène les siècles parce qu’elle a su, malgré toutes les tentatives, ne jamais forcer la hiérarchie immuable des engrenages… L’usurpation d’Orléans, c’est la rouelle d’échappement que l’on dispose à la place de la grande roue d’entrainement ! La fine mécanique se disloque, l’ordre monarchique se grippe et pourrait bien s’arrêter. Il ne peut suivre cette transgression ! Il ne peut favoriser la félonie alors que la Légitimité s’exile ! L’ordre monarchique, maintenant, c’est le duc de Bordeaux ! La fortune des Condé doit lui revenir ! Son entourage le comprend, et comprend instinctivement que la Maison d’Orléans, au nez si subtil en matière d’héritage, a senti la même effluve de réprobation menacer la fortune de l’un de ses enfants. Dès lors, le Prince est en danger ! On le presse d’émigrer afin de se mettre à l’abri…….

La meilleure défense est l’attaque ! Le 20 août, la « reine Marie-Amélie » arrive en personne à Saint-Leu pour rassurer son très cher oncle, parrain de son fils, le convaincre que cette usurpation est de circonstance, destinée à garder le Trône occupé en attendant que les esprits s’apaisent ; en fait, en mission de reconnaissance de l’ennemi. Qu’aura-t-elle senti ? La réserve du discrédit ? Qu’aura-t-elle vu ? Le sourire pincé de la résolution ?…Le 27 août, le prince est mort, son testament inchangé chez bon notaire !

Le juge de la Huproie apprend enfin que les enquêteurs dépêchés sur place se rendirent compte que le prince ne possédait plus de doigts à la main droite et que son bras gauche était invalide (suite à des blessures de guerre). Les faits sont têtus, mais la physique aussi : le prince est bien trouvé « pendu », mais comment réaliser des nœuds sans doigts ? Et se passer la corde au cou sans bras ? Ils concluent donc sur le caractère hautement improbable d’un suicide et le signalent dans leur rapport.

En janvier 1831, au vu de toutes ces constatations, le juge d’instruction conclut à un crime maquillé en suicide et soupçonne Madame de Feuchères d’en être l’instigatrice. Mais le tribunal de Pontoise passe outre et rend une ordonnance de non-lieu, en se bornant à constater que le Prince est bien mort « étranglé »… selon les conclusions de l’autopsie. Seulement, l’incriminée, ancienne « bonne amie » du prince, est désormais la protégée des nouveaux souverains et crie à l’infamie. Aussitôt, le juge de la Huproie, décidément trop perspicace, est convaincu de « légitimisme » (qui est crime de Lèse-Usurpation, en 1831), et « d’instruction à charge » et est mis à la retraite d’office le 4 juin 1831. Un de moins !

       Et ces tribunaux qui font tout à moitié ! Ce tribunal de Pontoise qui rend une ordonnance de non-lieu en constatant la mort du Prince par
 « étranglement » ! Mais cela ne dit pas qui en est l’auteur ! Cela laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses « anti-orléanistes » ! Décidément, ces corps intermédiaires sont une plaie ! Le 21 juin 1831, la Cour Royale de Paris dessaisit le tribunal de Pontoise et conclut à un suicide, ce qui clôt la procédure ! Le compte est bon et l’héritage est sauvegardé !

Seulement, l’œil d’Abel regardait Caïn : l’héritage mal acquis échut à Aumale, mais ne lui profita pas : ses deux fils le précédèrent dans la tombe et la « branche du pendu » fut un rameau sec…

Franz de Burgos

Une réflexion sur “L’étrange mort du dernier Prince de Condé

  • Le dernier des Condé a sans doute été assassiné par sa maîtresse, qui voyait avec angoisse son amant s’éloigner d’elle. Avec la complicité d’un membre du personnel du château. Et il est vrai que le gouvernement de Louis-Philippe fit tout pour étouffer le scandale. Cela dit, Sophie Dawes ne put profiter longtemps de son héritage en France car elle fut rapidement forcée de s’expatrier, étant persona non grata en France. De là à supposer que le crime fut l’oeuvre des Orléans, il y a un abîme qu’aucun indice ni vraisemblance ne permet de franchir.

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