Histoire

Jean III de Bourbon, une histoire de la légitimité sous la IIIème république

Le 24 août 1883, décède au château de Frohsdorf  Henri d’Artois , comte de Chambord.  Dernier descendant en ligne masculine de Louis XV et petit-fils du Roi Charles X, ayant très jeune subi les affres d’une révolution qui met à bas le régime de la Restauration, Henri V se battra toute sa vie pour incarner une légitimité naturelle au trône de France  refusant de  transiger à ses principes, même lorsqu’il s’agira de récupérer un trône qu’une assemblée majoritaire s’apprête à lui rendre.

Son mariage avec l’archiduchesse de Modène, Marie-Thérèse de Habsbourg est resté vierge de descendance. Il s’agit désormais pour sa veuve de préparer les funérailles autant que la succession au trône de France. Depuis 1848, la France a perdu sa monarchie, remplacée par une éphémère république à qui on a tenté d’imposer un drapeau rouge, un Second empire puis de nouveau dans les ravages d’une guerre à une nouvelle république qui a cette particularité d’avoir une majorité royaliste au sein de son assemblée nationale. Deux prétendants se disputent le trône. Le Comte de Paris, Philippe VII d’Orléans, petits fils de Louis Philippe Ier, et Henri V de Bourbon.

Devant le cercueil du défunt comte de Chambord, on se dispute déjà la succession. Pour les partisans de la légitimité, il ne fait nul doute que le trône doit échoir au prince Jean de Bourbon.

Né au Palais d’ Aranjuez le 15 mai 1822, Jean Charles Marie Isidore de Bourbon  est le fils cadet de Don Carlos (Charles) d’Espagne, frère du Roi Ferdinand VII. Le sang de l’incarnation légitimiste coule dans ses veines dès sa naissance.  Son père va être le fer de lance du mouvement carliste qui conteste les droits au trône de sa nièce Isabelle II, des droits dont il a été dépossédé par son frère en 1830 après l’abrogation de la loi salique. A 11 ans, le prince vit les soubresauts de la guerre civile et de l’exil. Forcé de partir en Angleterre malgré l’opposition de sa mère Françoise de Bragance, le  prince va pourtant s’habituer au temps changeant britannique, un climat qui sera fatal à sa mère en 1834.

Jean de Bourbon grandit, adolescent, il constate avec amertume les chimères aventures de son père qui s’enferme de plus en plus dans des délires mystiques et qui finit par se faire assigner à résidence à Bourges sur ordre du Roi Louis-Philippe Ier, agacé de voir le prétendant espagnol en France. Il y a peu les partisans de Charles X avaient tenté de créer quelques « petites vendées » ici et là en France pour déstabiliser en vain le régime.  Le prince rejoint alors, avec sa famille, leur père à Trieste qui vient tout juste de se titrer comte de Molina. Jean de Bourbon rêve d’éloignement. La carrière militaire sera son prétexte. Entre  1846 et 1847, il entre au service du Roi de Piémont-Sardaigne comme colonel puis général d’infanterie. Au grand dam de son père qui, de guerre lasse, a décidé désormais de renoncer au trône espagnol.

Jean de Bourbon développe des points de vue libéraux. Les prétentions au trône d’Espagne le laissent indifférent (Don Carlos V est décédé en 1845). Son mariage avec la catholique Marie-Béatrice de Habsbourg-Este le 6 février 1847 sera un échec. Le couple ayant des points de vue diamétralement opposés sur l’éducation de leurs enfants à venir, Charles en 1848 et Alphonse en 1849.

Le prince connaît aussi les affres de la révolution dans le duché de Modène qui subit le vent du printemps du peuple qui souffle dans toute l’Europe. Revenus dans les états de son épouse, le conflit éclate au grand jour entre le prince et la princesse. Jean de Bourbon refusant toute intervention jésuite dans l’éducation de ses enfants. Il quitte le duché, il ne reverra ses enfants qu’épistolairement. Le carlisme s’étiole, la Reine Isabelle II s’engage à indemniser l’Eglise espagnole de ses biens confisqués, le mouvement perd son plus fidèle allié. Le prince a repris sa liberté, s’épanouit dans la photographie bien loin des turpitudes légitimistes françaises et refuse tout autant de voir un mariage de l’un de ses fils avec une des filles d’Isabelle II.

La politique va pourtant le rattraper. D’abord sur le plan carliste. Son frère aîné Charles VI est capturé en 1860 et contraint de renoncer à ses prétentions sur le trône espagnol. En quelques jours le mouvement carliste se retrouve avec deux frères pour un seul trône occupé. Pour peu de temps, Charles VI roi carliste meurt du typhus en janvier 1861 propulsant Jean de Bourbon sur un hypothétique trône.

Le nouveau souverain de jure va décevoir ses partisans. Epuisé par ses multiples aventures, le prince préfère de loin une vie plus bourgeoise. Même une couronne pour le Mexique ne semble pas le tenter malgré l’instance de Napoléon III soucieux de récupérer la mouvance légitimiste à son avantage. Des tensions au sein du mouvement carliste éclatent. La veuve de Carlos V et deuxième épouse, Marie-Thérèse de Bragance appelle les carlistes à reconnaître le fils de Jean de Bourbon comme légitime successeur de Charles VI. Le mariage de son fils aîné Charles avec Marguerite de Parme est l’occasion pour Jean de Bourbon d’aller au château de Frohsdorf.  Il ne supportera pas l’atmosphère bigote qui règne au château.  Pense- t-il alors pouvoir insuffler un vent de libéralisme en Espagne alors qu’une révolution éclate et fait chuter Isabelle II ? Les Cortés ne font pas appel à lui, Jean de Bourbon décide de renoncer à ses droits sur ce trône le 3 octobre 1868.

Lors de la levée du corps du comte de Chambord, chacun des prétendants se dispute la place d’honneur. Le duc Henri d’Aumale, fils du Roi des français exprime le « vif regret des français  » à savoir que la succession puisse revenir à un étranger. La comtesse de Chambord tranche et désigne Jean de Bourbon pour conduire le cortège.  L’article 27 du pacte de famille de la maison Bourbon stipulant que lorsque les deux maisons souveraines ne règnent pas, le droit de préséance disparaît. Le comte de Paris est furieux d’autant que le prince lance une déclaration à la nation française : « Devenu le chef de la Maison de Bourbon par la mort de mon beau-frère et cousin Henri V comte de Chambord, je déclare ne renoncer à aucun des droits au trône de France que je tiens de ma naissance ! ».

Ce n’est pas pour autant que ce Prince souhaite abandonner ses droits sur le trône de France. Le Comte de Paris envoie auprès de son concurrent au trône, M. de Bellomayre (ancien conseiller d’État), afin de le convaincre de signer un acte de renonciation. Jean de Bourbon balaye cette hypothèse rapidement, refuse de recevoir cet émissaire et demande à son fils aîné de transmettre sa réponse : « Jamais je ne signerai cette pièce. Je ne sais pas encore si nous avons des droits à la couronne de France. Si nous n’en avons pas, il est ridicule de signer cette déclaration et si nous en avons, ces droits sont des devoirs ! Ces devoirs, on ne peut les abdiquer ».

La question de la succession avait été posée à Henri V du temps de son vivant qui avait répondu que son successeur serait « celui qui aura le droit.». Le Comte de Chambord ne faisait pas mystère de son aversion pour les Orléans et lors de l’ouverture de son testament, il n’y mentionna pas le Comte de Paris. Il léguait à un Bourbon d’Espagne, le duc de Madrid, ses archives, l’argenterie aux armes de France, les colliers des ordres royaux et les étendards confiés en 1830 à Charles X. Un comte de Paris qui était déjà passé à l’offensive quelques jours avant la mort d’Henri d’Artois.  Le 3 août 1873, lors de sa rencontre avec Philippe d’Orléans déclare ainsi à son cousin : « Je viens en mon nom, et au nom de tous les membres de ma famille, vous présenter mes respectueux hommages, non seulement comme au chef de notre maison mais comme au représentant du principe monarchique en France ». À ces mots, le Comte de Chambord l’embrasse et lui répond : « Croyez, mon cousin, que je trouve tout naturel que vous conserviez les opinions politiques de votre famille, dans lesquelles vous avez été élevé. L’héritier du trône peut avoir ses idées comme le Roi a les siennes ». Quelques jours plus tard le prince déclare à un journaliste « Sachez que, moi mort, M. le comte de Paris, eut-il méconnu l’héritage, est quand même l’héritier. La légitimité l’enserrera et il sera aussi légitime que moi. ». Reconnaissance de fait ? C’est encore le Comte de Chambord qui brouille la réponse à cette question. Sur son lit de mort devant un Duc de Chartres médusé, il déclare : « je ne veux pas que mon cercueil serve d’escabeau aux Orléans ! ».  La succession divise  les Bourbon comme les royalistes.

Pourtant certains fidèles (Blacas, Damas d’Hautefort, Raincourt, Chevigné, Monti de Rézé…) du comte de Chambord dans une lettre publiée par « Le Figaro » en date du 6 septembre 1883 annoncent leur ralliement au Comte de Paris alors que la presse parisienne évoque « un groupe d’intransigeants qui pousserait don Juan à réclamer le trône de France » (ici sont désignés Henri de Cathelineau ou Maurice d’Andigné ou sous le sobriquet de « la petite église de Frohsdorf »).  

Le 28 août 1883, le comte de Paris, accompagné des ducs d’Orléans, de Nemours, d’Alençon et du Prince de Joinville viennent se recueillir devant la dépouille du Comte de Chambord. Et les légitimistes d’apprendre que le Comte de Paris a pris la liberté d’informer les monarchies européennes du décès du prétendant et a fait acte de ses propres prétentions, offusquant au passage l’Empereur François-Joseph Ier. A noter que la phrase  « Le Roi est mort, Vive le Roi » ne sera pas prononcée dans la chambre funéraire comme il était de coutume sous la monarchie. La veuve du comte de Chambord sera furieuse de cette prise de position du comte de Paris.

Le Journal « Le Temps » à  propos de cette querelle dynastique naissante conclu en ces termes le 11 septembre de la même année : « On aura beau faire et beau dire la succession du comte de Chambord n’est pas de celles qui se liquident en un jour ». Le monarchisme français se divise sur les restes du comte de Chambord.

Le parti légitimiste a désormais son prétendant et de 1883 à 1884, « Le droit monarchique » se charge d’assurer les droits légitimes de Jean III de France sur le trône.

Mais qu’en est-il du mouvement monarchiste à la mort du comte de Chambord ? Dans une lettre circulaire datée du 26 août 1883, le marquis de Dreux-Brezé avait ordonné la dissolution de tous les comités royalistes qui « n’existent plus, ni en droit, ni en fait. Ils n’ont plus un motif pour se réunir ». Il entendait les groupes qui se réclamaient du Comte de Chambord. Joseph du Bourg, ancien représentant du comte de Chambord dans la région de Toulouse, ne l’entendra pas ainsi et en octobre 1883 écrit: « Ma conviction personnelle est que la succession légitime du trône de France repose sur les descendants du duc d’Anjou ».  Le prince est pourtant loin des affaires politiques de la France  contrairement au comte de Paris plus visible. Aux élections d’octobre 1885, on ne parle d’ailleurs plus de légitimiste ou d’orléaniste mais de groupe monarchiste avec 73 élus (soit 12.50% des voix). Un nombre d’élus qui va décroitre avec le temps.

Jean III de Bourbon, comte de Montelizon, s’est éloigné de toutes activités politiques. Il meurt des suites d’une angine le 18 novembre 1887, dans son lieu de résidence britannique. Les légitimistes feront célébrer une messe en son honneur et le « Journal de Paris » fera sa une éditoriale sur le décès de ce prétendant qui resta un inconnu toute sa vie tant des carlistes que des légitimistes français.

Frédéric de Natal

Bibliographie : Jacques Bernot, Les princes cachés : Histoire des prétendants légitimistes 1883-1989, Paris, Lanore,‎ 2014,

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