Les fantômes de « Papa Bok », l’ogre de Berengo
Au milieu de la brousse africaine, à 75 Kilomètres de Bangui, capitale de la République centrafricaine, se dresse près du village de Berengo d’imposants bâtiments en ruine et délavés par l’harmattan.
Balayés par la latérite rouge et la poussière de la nostalgie, l’entrée de ce complexe surnommé le « palais » est orné des armoiries de l’ancienne famille impériale, plaque de fonte rouillée qui malgré tout, fait encore ressortir les couleurs de ce qui fut le symbole de l’éphémère empire centrafricain proclamé le 4 décembre 1977.
L’herbe a peu à peu repris possession des environs, le vent rentre à travers les cadres des fenêtres des anciens appartements de l’ancien chef d’état, orphelines de leurs vitres. Des dizaines de graffitis ont remplacé les portraits des nombreux enfants du Maréchal-Président à vie et Empereur Jean-Bedel Bokassa. Un parmi tant d’autres proclame qu’il est « Interdit aux blancs de rentrer sauf aux noirs ». Ironie de l’histoire, le 21 septembre 1979, lorsque la France débutera son « opération Barracuda », c’est dans ce palais que les légionnaires français s’installeront non sans organiser au préalable un certain pillage des tiroirs impériaux. On voit d’ailleurs encore les coffres-forts ci et là ouverts au milieu des pièces vidées de leurs boiseries par les villageois.
C’est encore en 1996, depuis l’ancienne résidence impériale que les français piloteront les opérations de sauvetage du régime du Président Ange-Félix Patassé.
Les sous-sols des bâtiments, véritable labyrinthe de couloirs étroits, où Bokassa se réfugiait, sous l’œil de ses « Abeilles » (son corps de garde personnel qu’il avait baptisé ainsi en l’honneur de Napoléon Ier à qui il vouait un culte) résonnent des cris des centaines de chauves-souris qui ont remplacé ceux des prisonniers politiques torturés pour s’être opposés au régime impérial.
Une piscine verdâtre rappelle encore par sa taille les heures de gloire de la famille Bokassa dont le destin changea le soir de la saint Sylvestre 1965. Alors chef d’état-major du Président David Dacko, le jeune sergent retraité de l’armée française, Jean-Bedel Bokassa (contraction du prénom du saint Jean Baptiste de La Salle) s’empare du pouvoir et instaure un régime au demeurant très populaire à ses débuts.
De sa terrasse, Bokassa pouvait contrôler qui passait sous ses fenêtres à commencer par les futurs acteurs de la vie politique centrafricaine. Car au sein de l’ancienne colonie forestière d’Oubangui-Chari, on fait de la politique uniquement en famille quitte à se renverser mutuellement sans vergogne, … quelques fois avec l’aide de la France, « ces chers cousins » qu’affectionnait l’Empereur. Sur sa table, se trouvait l’effigie du premier président centrafricain, Barthélémy Boganda. Ce chantre du panafricanisme messianique et ancien député au Palais Bourbon n’eut pas le temps d’occuper son poste. Tribun hors pair et prêtre défroqué, il meurt assez mystérieusement le 29 mars 1959 d’un accident d’avion pour lequel, derrière, beaucoup ont vu la main du Général de Gaulle. C’est son cousin David Dacko qui lui succède à la tête de l’état. Instaurant une politique tribaliste répressive à l’égard de ses opposants, il fait du Mouvement pour l’Évolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) un parti unique. Excédé par le rapprochement de Dacko avec la Chine, la République française approuve rapidement le coup d’état de 1965. Le Colonel Jean Bedel Bokassa n’était ni plus ni moins que le cousin de celui qu’il venait de mettre en prison. C’est dans les bagages de l’armée française que Dacko est remis à son poste de Président en 1979 non sans avoir été nommé un temps Conseiller de son tombeur à sa libération 3 ans auparavant. Un siège qu’il ne tient pas longtemps. Le 1er septembre 1981, son chef d’état-major, le Général André Kolingba le renverse. Cet ancien ambassadeur et proche de Bokassa renoue rapidement avec le pouvoir personnel de son ancien mentor. Au terme d’une transition démocratique difficile, c’est encore un membre de la garde rapprochée de l’ex-empereur et accessoirement son ancien premier ministre, Ange Félix Patassé qui accède au pouvoir en 1993. De tentatives de putsch en interventions françaises, c’est finalement en mars 2003 que François Bozizé s’empare du pouvoir alors que Patassé est en visite au Niger. Ancien général de Brigade de Bokassa, il était déjà présent lors de son sacre dispendieux avant d’être nommé un jour ministre de la défense de… David Dacko… Une décennie plus tard, le pays a plongé dans la guerre civile… Les anciens acteurs de la vie politique impériale sont soit décédés (Dacko en 2003, Kolingba en 2010, Patassé en 2011…) soit exilés comme Bozizé.
Pourtant l’ombre de l’ancien monarque autoproclamé est toujours présente en Centrafrique. Accusé de despotisme, d’organiser un régime clientéliste et sanguinaire, les médias français vont à l’époque jusqu’à lui prêter des repas cannibales au sein du Palais de Berengo, désormais devenu un village fantôme et ne se lassaient pas de commenter les 20 millions de dollars dépensés et estimés du coût du couronnement impérial.
Déchu, Bokassa Ier se réfugie en Côte d’Ivoire puis en France dans son château d’Hardricourt, dans les Yvelines. Il rêve d’un retour glorieux. Il pense que les centrafricains ne l’ont pas oublié et c’est sous un faux nom qu’il débarque à Bangui en 1986. Mais en lieu et place d’une garde d’honneur, il est cueilli par la gendarmerie qui l’emmène directement au Camp de Roux où il y restera jusqu’en septembre 1993, enfermé dans une cellule d’à peine 5 mètres carrés.
La France organise alors la transition démocratique de son ancienne colonie. Kolingba qui n’est pas prêt à lâcher son pouvoir amnistie soudainement l’Empereur Bokassa qui sort de sa cellule sous les acclamations. L’opposition craint alors, à tort, que Kolingba ne joue la dernière carte de son jeu de poker en restaurant la dignité impériale. Et elle n’est pas la seule. La France connaît le pouvoir de nuisance de « Papa Bok » que ce soit dans son pays ou bien dans les arcanes du pouvoir de Paris. En pleine campagne présidentielle, Valéry Giscard d’Estaing est pris dans la tourmente de « l’affaire des Diamants ». Le journal « Le Canard enchaîné » publie le 10 octobre 1979 un fac-similé d’une commande de diamants en 1973 par l’Empereur à l’attention du Président français alors ministre des finances à l’époque. Une polémique éclate dont le candidat à sa réélection en fera les frais au détriment de son opposant socialiste François Mitterrand. Lors de son départ vers Bangui en 1986, l’affaire Bokassa devient le prétexte d’une rivalité entre l’Elysée et Matignon. La France vit alors sa première cohabitation. Mitterrand accusant son premier ministre Jacques Chirac d’avoir orchestré volontairement le départ de l’Empereur afin qu’il déstabilise le régime de Kolingba avec l’aide de certains milieux issus des barbouzes de la Françafrique. Le Président André Kolingba, entre les deux tours de la présidentielle, gracie subitement l’Empereur Bokassa, le 1er septembre 1993. 200 personnes se rassemblent pour soutenir celui à qui on donne encore du « Votre majesté » lorsqu’on s’adresse à lui. Le petit mouvement bokassiste est minoritaire, quelques affiches placardées en 1992 réclamant son retour n’avaient eu que peu d’effet sur la population. Installés dans des appartements luxueux au Palais de la Renaissance, l’Empereur déchu reçoit et… reçoit comme aux plus beaux jours de son règne. L’opposition proteste en particulier le challenger de Kolingba, un certain Ange Félix Patassé. Bokassa intrigue autant qu’on le redoute encore malgré une santé chancelante. Kolingba a atteint son but ! Il a jeté les oripeaux de l’Empire au visage de son successeur reconverti dans le rôle du 13ième apôtre du Christ. Et Patassé de devoir supporter les remontrances et tentatives judiciaires de son ancien patron pour récupérer ses biens. Un Bokassa qui entre avril et mai 1966, soit quelques mois avant de mourir la même année, proposait encore ses services à la France pour conduire un gouvernement de réconciliation nationale dans un pays secoué par des multiples crises politiques et militaires.
Traité de « caligula tropical », « de roi Ubuesque violent », « tyran mégalomane », l’Empereur, qui durant son règne alterna entre religion catholique et musulmane, laisse derrière lui pas moins de 39 enfants reconnus et 17 épouses successives.
Ses obsèques nationales sont organisées par l’Etat centrafricain qui rend hommage à son ancien monarque et on retrouve au sein du comité pour l’organisation de ses funérailles des membres de la famille Boganda ou l’ancien chef du protocole à Berengo. Une dizaine d’hectares accueille dans une chaleur étouffante la dépouille de l’ancien souverain dont on a élevé à la hâte une statue géante à son effigie avec une plaque résumant ses décorations et curriculum vitae. Les fresques des murs de la résidence impériale sont toujours ornées des « B » de son nom. Vestiges et témoins immuables de l’Empire.
Avec l’arrivée de François Bozizé au pouvoir en 2003, l’Empereur Bokassa fait l’objet d’une réhabilitation. Le 2 décembre 2010, le Président Bozizé signe un décret réhabilitant « dans tous ses droits» l’ancien empereur du Centrafrique et « effaçait les condamnations pénales, notamment les amendes et les frais de justice, et faisait cesser pour l’avenir toutes les incapacités qui en résultaient». Le porte-parole du gouvernement Fidèle Ngouanjika déclarant même : « Sa réhabilitation est une juste reconnaissance des services qu’il a rendus à la Nation », ajoutant : « Certes, il y a eu des aspects négatifs dans ses dérives mais il a fait de la prison, sachons au moins lui reconnaître les actes positifs qu’il a posés ». Le Président centrafricain venait sans doute de se souvenir qu’il avait occupé un temps le poste de grand chambellan de la cour impériale.
La nostalgie s’empare alors de la capitale comme une solution évidente aux maux du pays.
La famille impériale a depuis fait son retour. Ancien employé de restaurant, le prince Jean-Serge Bokassa, fils de l’ancien Empereur, occupa de 2005 à 2010 les rangs de l’assemblée nationale avant de se voir nommer de 2011 à la chute du gouvernement Bozizé, le poste de ministre de la Jeunesse et des sports. Les membres famille impériale n’ont d’ailleurs jamais véritablement quitté le champ médiatique tant sur le plan judiciaire (le prince -déshérité- Georges fut à diverses reprises condamné par la justice française) que celui du star-système (le prince Jean-Barthelemy Bokassa auteur de divers livres sur son grand-père fait régulièrement l’objet d’articles dans certains magazines people) ou encore littéraire (en 1992, l’ancienne princesse héritière, Evelyn Durieux, a raconté les affres de son mariage dans un livre intitulé « la princesse aux pieds nus » ou encore le livre en 2000 consacré à « Bokassa Ier, un empereur français » par le journaliste de Libération, Stephen Smith).
En avril 2013, les murs de l’ancienne résidence impériale résonnaient encore des bruits de botte. Avec la guerre civile une centaine de miliciens issus de la rébellion de la Séléka se sont réfugiés dans les ruines de la résidence impériale et vivotent toujours dans les anciens appartements décharnés de l’Empereur dont l’ombre, le souffle et l’héritage politique règnent encore en Centrafrique et à jamais dans les ruines de Berengo.
Frédéric de Natal
Quelques liens internet :
http://www.histoire.presse.fr/recherche/bokassa-dernier-empereur-afrique-01-12-2013-77762
http://www.singatioubangui.org/2014/04/16/centrafrique-la-nostalgie-bokassa-de-lempire-fou-au-chaos/