Un Légitimiste à Son Excellence la Duchesse d’Albe
Ce 20 novembre 2014, Son Excellence Dona Cayetana Fitz-James Stuart y Silva, XVIIIème duchesse d’Albe, située par ses titres au premier rang de la noblesse espagnole, juste en-dessous de la Famille Royale, est décédée dans sa 89ème année (1926-2014). La presse a suffisamment relayé son fabuleux mariage (1), sa vie mouvementée ainsi que ses mariages successifs très décriés (2). Je m’attacherai, quant à moi, à vous traduire toute la considération qu’un royaliste français doit avoir pour cette famille de la branche Fitz-James Stuart des ducs d’Albe. Au titre de leur sang d’abord, mais surtout à celui de l’action militaire déterminante qu’ils eurent au profit de nos rois.
En premier lieu, honneur au sang :
La duchesse d’Albe était la femme la plus titrée au monde : Quatorze fois Grande d’Espagne, cinq fois duchesse, dix-huit fois marquise, vingt fois comtesse, …accumulation prodigieuse bien connue. Ce qui se sait moins, c’est qu’en elle, coulait le sang des Bourbon, des Médicis, des Stuart, des Churchill et des Colomb !
Son aïeul direct est en effet Jacques Fitz-James Stuart, Ier duc de Berwick, fils de Jacques II, Roi d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse (1633-1701 ; règne : 1685-1688) et d’Arabella Churchill, et petit-fils d’Henriette de France (1609-1669), fille d’Henri IV et de Marie de Médicis et tante de Louis XIV, qui épousa, en 1625, Charles Ier Stuart, Roi d’Ecosse, puis d’Angleterre et d’Irlande. Il sera le père de Jacques Fitz-James Stuart, IIème duc de Berwick qui épousera Catalina Ventura Colon de Portugal y Ayala Toledo, IXème duchesse de Veragua et IXème marquise de Jamaïque (3).
Et c’est par la XIIIème duchesse d’Albe (4), qui fut la muse et peut-être l’amante de Francisco de Goya y Lucientes, qui la peignit à plusieurs reprises dans ces grands portraits en pied, en robe blanche ou noire, mondialement connus, que les Fitz-James Stuart devinrent ducs d’Albe. En effet, en 1802, cette dernière meurt de tuberculose à quarante ans, sans enfant, et l’héritage et les titres échoient à son cousin Carlos Miguel Fitz-James Stuart (1794-1835) (5), VIIème duc de Berwick qui devient le XIVème duc d’Albe.
Notons aussi, pour l’anecdote, qu’à la génération suivante, l’épouse du XVème duc d’Albe, Maria Francesca, XIIème duchesse de Penaranda del Duero, était la sœur aînée d’Eugénie de Montijo, Impératrice des Français.
Le résultat de cette politique matrimoniale exceptionnelle et séculaire est que la duchesse d’Albe concentrait en ses veines le sang des plus puissantes familles d’Europe ou d’Espagne de ces quatre derniers siècles ! Puis, plus prosaïquement, comme chaque épouse apportait en dot un duché, un marquisat ou un comté à la famille d’Albe, Dona Cayetana régnait sur un domaine de plus de trente-mille hectares du nord au sud de l’Espagne et sur une fortune évaluée par certains entre six-cents millions et trois milliards et demi d’euros. Ses palais, châteaux et manoirs sont les écrins de collections fabuleuses où des Greco voisinent avec des Velasquez, des Murillo, des Goya, des Rembrandt, des Dürer, … collections accumulées au cours des siècles par des ancêtres grands amateurs d’art ; liste presqu’inépuisable de trésors mondiaux qui constituent une bonne part de l’immense patrimoine des Albe.
Mais surtout, honneur à l’action militaire stratégique des Fitz-James Stuart pour le Sang de France :
Pour cela, il me faut revenir sur l’origine de son nom de consonance très peu espagnole. Il lui vient de son ancêtre direct, Jacques Fitz-James Stuart, Ier duc de Berwick (1670-1734), qui était le fils naturel de Jacques II Stuart, Roi d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse et d’Arabella Churchill, sœur aînée de John Churchill, Ier duc de Malborough (6).
Né en France en 1670 à Moulins, de confession Catholique romaine, élevé au collège de Juilly (Oratoriens), à celui du Plessis (actuel Lycée Louis-le-Grand) et au collège Henri IV de la Flèche (Jésuites), lorsqu’éclate la guerre de Succession d’Espagne (1702-1714) (7), Jacques Fitz-James Stuart, Ier duc de Berwick combat contre l’Angleterre, pour le Roi de France (8). Naturalisé Français en 1703 (le droit du sol n’existait pas), il gagne une première victoire contre Nice en 1706. A cette occasion, Louis XIV le fait maréchal de France. Mais c’est le 25 avril 1707 qu’il remporte la grande et décisive victoire d’Almanza qui défait l’armée anglo-luso-hollandaise. Cette victoire est stratégique car elle fait basculer l’équilibre des forces en faveur de l’armée franco-espagnole et permet l’accession au Trône d’Espagne de Philippe V. Ce dernier le remercie en le créant duc de Liria et Jerica, avec Grandesse de Ière classe et en le nommant Lieutenant d’Aragon. Louis XIV, reconnaissant, le nomme Gouverneur du Limousin en 1708 et le crée duc de Fitz-James avec paierie en 1710. De surcroît, ayant réussi à tenir les frontières Sud-Est de la France entre 1709 et 1711, permettant à l’armée de Louis XIV de concentrer ses forces sur celles du Nord-Est pour résister à l’ennemi, c’est encore Berwick qui convainc le Roi, lors du Traité d’Utrecht en 1713, de négocier le rattachement de la vallée de l’Ubaye à la France (s’étant rendu compte qu’il s’agissait d’un carrefour militaire stratégique entre l’Italie, la Haute-Provence, le Queyras et le Verdon). C’est enfin lui qui mène la dernière grande action de cette guerre : la prise de Barcelone après un long siège, le 11 septembre 1714, qui parachève la montée de Philippe V sur le Trône d’Espagne. Philippe V le fait alors chevalier de la Toison d’Or. Stratège militaire exceptionnel comblé d’honneurs, il profite quelques années de la période de paix qui s’établit alors, mais est rappelé au service de la France par Louis XV, lors de la Guerre de Succession de Pologne (1733 – 1738) (9) et reçoit le commandement de l’Armée du Rhin. Au cours d’une inspection pendant le siège de Phillipsburg, il meurt, la tête emportée par un boulet de canon en 1734, tandis que son fils, Jacques Fitz-James Stuart, IIème duc de Berwick, conquiert pour Philippe V les royaumes de Naples et de Sicile…
Or, à cette accession de Philippe de Bourbon, duc d’Anjou, au Trône d’Espagne, nous devons aujourd’hui bien sûr que la Famille Royale d’Espagne soit du Sang de France (dont la branche aînée, en la personne de Louis XX, est réservée à la Couronne de France et redevient Bourbon de France). Mais c’est également le cas de la famille princière des ducs de Parme, par héritage des droits d’Elisabeth Farnèse, seconde épouse de Philippe V, à leurs fils Charles Ier, puis Philippe Ier de Parme. Ainsi que de la famille royale des Deux-Siciles par la conquête des royaumes de Naples en 1734 et de Sicile en 1735 au profit de Ferdinand Ier des Deux-Siciles, petit-fils de Philippe V. Enfin, plus récemment, de la famille grand-ducale de Luxembourg par l’alliance de la Grande-duchesse Charlotte de Luxembourg avec le prince Félix de Bourbon de Parme en 1919.
Les Bourbon de France, Bourbon d’Espagne, Bourbon de Parme, Bourbon des Deux-Siciles, Bourbon-Luxembourg sont ainsi les enfants d’Almanza !
Voilà pourquoi tout royaliste légitimiste, fidèle et heureux sujet de Sa Majesté Louis de Bourbon, vingtième du nom, actuel Roi de France car chef de l’ancienne branche cadette des Bourbon d’Espagne devenue branche aînée à la mort d’Henri V, comte de Chambord, en 1883, éprouve naturellement une grande considération empreinte de reconnaissance pour les membres de la prestigieuse maison Fitz-James Stuart des ducs d’Albe ! Ces égards sont le tribut que nous devons à l’Histoire.
Votre Excellence, Madame, que Dieu vous ait, ainsi que vos valeureux ancêtres, en Sa Sainte Garde ! Et longue vie à votre fils, Son Excellence Don Carlos Fitz-James Stuart y Martinez de Ijuro, XIXème duc d’Albe !
Franz de Burgos
(1) Elle épouse, en 1947, en la cathédrale de Séville, Luiz Martinez de Irujo y Artazcoz, fils du duc de Sotomayor, Grand d’Espagne. Ce mariage aurait coûté douze millions de pesetas de l’époque, ce qui en faisait le mariage le plus cher du monde, selon la presse. Elle aura six enfants de cette union, dont le XIXème duc d’Albe actuel, Son Excellence Don Carlos Fitz-James Stuart y Martinez de Irujo (1948).
(2) Veuve en 1972, elle se remarie en 1978 avec Jesus Aguirre y Ortiz de Zarate (1937-2001), ancien jésuite. Ce mariage émeut la société espagnole. Veuve à nouveau en 2001, elle se remarie en 2011, à 85 ans, avec Alfonso Diez Carabantes (1950), agent administratif de vingt-cinq ans son cadet. Ce mariage fait scandale.
(3) Elle était fille de Pedro Manuel Colon de Portugal, (successivement vice-roi de Valence, de Sicile et de Sardaigne) et petite-fille de Pedro Nuno Colon de Portugal (Amiral et Gouverneur des Indes et premier vice-roi de Nouvelle Espagne), descendants directs de Diego Colomb, Ier duc de Veragua et Ier marquis de Jamaïque, fils aîné de Christophe Colomb.
(4) Dona Maria del Pilar Teresa Cayetana de Silva y Alvarez de Toledo (1762-1802), qui succède à son grand-père, le XIIème duc d’Albe.
(5) Arrière-petit-fils de Maria Teresa de Silva y Alvarez de Toledo, sœur du XIIème duc d’Albe.
(6) C’est ainsi qu’en exil à Londres, pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) et la seconde guerre mondiale (1939-1945), elle rendait régulièrement visite à son lointain cousin, sir Winston Churchill, en son palais de Blenheim.
(7) Qui éclate en 1702 suite au choix en 1700 de Charles II de Habsbourg, Roi d’Espagne sans enfant, de nommer comme successeur Philippe de Bourbon, duc d’Anjou, petit-fils de sa sœur aînée Marie-Thérèse et de Louis XIV.
(8) Son père, Jacques II, cousin germain de Louis XIV, ayant été détrôné lors de la « Glorieuse Révolution » de 1688, s’était réfugié en France et habitait le château royal de Saint-Germain-en-Laye.
(9) La Guerre de Succession de Pologne s’ouvre en 1733, à la mort d’Auguste II de Pologne (famille de Saxe), lorsque Louis XV tente de rétablir son beau-père Stanislas Ier Leszczynski, déchu en 1709, contre Auguste III, le fils du défunt.