Raphaël Debailiac : Gustave Thibon. La leçon du silence
Il y a quelque chose de dérangeant dans ce livre, qui heurte dès les premières pages : il est bien écrit, et la lecture est douce comme du miel, fluide comme de l’armagnac. Pourtant, son auteur est un jeune chercheur en Sorbonne, mais il se démarque avec talent des tous ces pontes grisonnants qui tendent à compenser leur médiocrité par un ennui forcé, comme si la platitude et la monotonie pouvaient combler inanité et vanité.
L’avant-propos de Philippe Barthelet nous introduit brillamment à la personnalité et à l’univers intellectuel d’un Gustave Thibon, peut-être écrivain avant d’être philosophe, qui se reconnaît dans une certaine éternité et intemporalité de la pensée, se sentant plus proche d’un Marc Aurèle que de certains de ses voisins et contemporains. En effet, le dénominateur commun de toutes les époques de l’histoire, c’est bien Dieu, phare du penseur.
« Gustave Thibon sent le soufre. C’est généralement bon signe en une époque où toute pensée vigoureuse est suspecte[1]. » Prôner une vie simple et rurale, ne pas avoir sa carte au Parti communiste ou au Parti socialiste, autant de handicaps pouvant mettre à néant les chances d’un « intellectuel » de passer à la postérité. Raphaël Debailiac est l’un de ces admirateurs qui ne veulent pas laisser un maître à penser tomber dans l’oubli. Il mêle savamment la biographie chronologie (pour commencer) à l’étude thématique de la pensée de Thibon, ne nous ennuyant jamais et nous permettant de bien enregistrer les principes et éléments principaux de la philosophie du solitaire d’Ardèche.
Bien qu’accusé d’avoir soutenu des opinions gnostiques (comme Simone Weil qu’il fréquenta quelque temps), Thibon faisait du Christ le pilier central de sa vie, sans écarter une certaine dose de mysticisme qui le conduisit à devenir oblat du Carmel. Cette foi priante lui faisait relativiser les questions politiques, économiques et sociales de ce monde, inférieures aux questions existentielles, bien qu’il fût un royaliste se définissant « anarchiste conservateur ». On lui en a longtemps voulu d’avoir accepté la France de Vichy et de Pétain (il cacha pourtant des proscrits en 1944), d’avoir comparé les brigandages de la Résistance à ceux de la Milice, d’avoir été trop bienveillant à l’égard de l’Algérie française, d’être le chantre d’une France rurale et profonde adversaire du progrès, du bonheur et de la liberté. Mais le vrai progrès, c’est de marcher vers le Ciel ; le vrai bonheur, c’est de vivre en Dieu ; la vraie liberté, c’est de servir l’Amour du Christ.
Chaque chapitre de cet ouvrage correspond à un ou plusieurs thèmes. La réponse de Thibon apportée à chaque question évoquée est digne d’intérêt, brillante. Nous découvrons ainsi ce qu’il reproche à l’État-providence[2], l’importance de la vertu de force, la contradiction entre l’égalité chrétienne et l’égalité moderne, les limites de la démocratie, l’exaltation de la jeunesse, sa conception de la sexualité, les joies de la poésie, la nécessité du sacrifice, les tristesses du péché, les délices du silence, la symbolique de la mort et bien d’autres choses encore.
La conclusion est un peu rapide, mais nous avons beaucoup aimé ce livre. L’auteur y expose fidèlement et avec brio la pensée de Gustave Thibon. On ne trouvera pas meilleure approche de ce philosophe pour les néophytes.
Jean de Fréville
[1]DEBAILIAC (Raphaël), Gustave Thibon. La leçon du silence, Paris, Desclée de Brouwer, 2014, p. 11.
[2] « Trop de sécurité menace d’affadir l’homme et de tuer en lui les promesses du ciel ». Ibid., p. 35.