Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, Contes cruels
La littérature légitimiste est riche, et elle est particulièrement enviable. Outre le célèbre avant-propos d’Honoré de Balzac à sa Comédie humaine (1832), plaçant toute la série sous une bienheureuse aura, de nombreux autres auteurs ont fait état de leur sympathie royale. Je vous propose aujourd’hui de faire un petit tour dans l’univers de Villiers de L’Isle-Adam, constamment réédité même si les élèves du commun ne le lisent jamais et qu’ils n’y voient qu’une espèce de ville d’Île-de-France…
Né en 1838, ami de Stéphane Mallarmé, Joris-Karl Huysmans et Léon Bloy, Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, portant un nom qui lui interdit ipso facto toute entrée sérieuse en politique sous l’occupation républicaine, a été candidat malheureux aux élections municipales de Paris en 1881. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.
Le chef-d’œuvre de Villiers, ce sont ses Contes cruels, souvent cités et évoqués, mais rarement lus. Il s’agit, comme le titre l’indique, d’un recueil de contes, de petites histoires que le lecteur saura apprécier ou, le cas échéant, chacun ayant ses goûts, survoler avec peu de concentration… L’humour, d’une manière générale, est sarcastique, un peu sombre, cynique. Le tout parfaitement moqueur.
Nous avons spécialement apprécié le conte « Deux augures » mettant en scène un jeune étudiant qui souhaite entrer dans la rédaction d’un grand journal parisien, en tant que pigiste. Il parvient à rencontrer le directeur du canard, et la scène nous est racontée avec force ironie et comique. Un vrai bijou. Les faits sont pris sur un mode de contre-pied : le ponte du journalisme donnerait sa vie pour trouver, enfin… le journaliste sans aucun talent. Il trouve prometteur l’« inconnu » (il se prétend tel, donc celui-ci se vante déjà ce faisant !) qui paraît devant lui. Les répliques sont remarquables. Nous retiendrons quelques menus conseils : « La seule devise qu’un homme de lettres sérieux doive adopter de nos jours est celle-ci : Sois médiocre ! » ou encore, le plus sérieusement du monde : « — Monsieur, on ne traite pas, comme cela, d’hommes de génie des gens qui ne vous ont rien fait […] Vous pouviez refuser mon article, mais non le déprécier en le déclarant entaché de génie ». Nous avons également beaucoup aimé « La machine à gloire » qui se propose, au spectacle, de remplacer la claque en fournissant mécaniquement des applaudissements, des « Oua-Ouaou », des « brao » et autres « Brâ-oua-ouaou ». L’auteur nous parle même d’une adaptation de cette machine pour le Parlement ! N’oublions pas le conte peut-être le plus connu, et le plus noir : « Le convive des dernières fêtes » où de jeunes fêtards insouciants se trouvent à passer la nuit avec un baron tudesque… qui n’est autre qu’un aristocrate sadique devenu bourreau à travers la planète tout entière, allant jusqu’à payer les gouvernements pour remplacer les bourreaux officiels… Et, au petit matin, il s’éclipse pour remplir son office…
Pour finir, nous ne pouvons résister au plaisir de citer quelques passages « politiquement incorrects », par trop royalistes : « Non, poète ! Aujourd’hui la mode n’est pas au génie ! — Les rois, tout ennuyeux qu’ils soient, approuvent et honorent Shakespeare, Molière, Wagner, Hugo, etc. ; les républicains bannissent Eschyle, proscrivent le Dante, décapitent André Chénier. En république, voyez-vous, on a bien autre chose à faire que d’avoir du génie ! »
Jean de Fréville