[CEH] Le duc de Lavauguyon, ambassadeur à Madrid de 1784 à 1791, par Jacques Dubois de Lavauguyon
Le duc de Lavauguyon, ambassadeur à Madrid de 1784 à 1791
Par Jacques Dubois de Lavauguyon
Paul-François de Quélen de Stuer de Caussade, duc de Lavauguyon, pair de France, né le 30 juillet 1746, porta, du vivant de son père Antoine-Paul-Jacques, le titre de marquis puis duc de Saint-Mégrin.
Il appartenait à la noblesse d’épée et ses ancêtres furent présents sur tous les champs de bataille depuis les croisades jusqu’à la bataille de Fontenoy où s’illustra son père Antoine-Paul-Jacques (1706-1772) pour la défense de la monarchie et de la religion catholique à laquelle sa famille fut indéfectiblement attachée au cours des siècles.
Entré au service en 1758 à l’âge de 12 ans, il servit dans les gardes du corps du roi puis au Régiment Dauphin dont il deviendra colonel en 1770. Il fit les dernières campagnes de la guerre de sept ans. Pourvu ensuite du gouvernement de Cognac, il succéda à la prairie de son père le 4 février 1772.
Attaché jusqu’alors à la cour comme l’un des menins du Dauphin, futur Louis XVI, il devint brigadier d’infanterie le 5 décembre 1781, puis maréchal de camp le 9 mars 1788.
Doué d’un caractère sérieux, ennemi de la dissipation, le duc de Lavauguyon plaisait singulièrement à Louis XVI, mais surtout au comte de Provence (futur Louis XVIII) comme lui livré à de graves études. Déjà, en 1768, il avait publié, dans les Éphémérides du Citoyen, Les Doutes éclaircis, ou Réponses aux objections de l’abbé de Mably sur l’ordre naturel des sociétés politiques. Cet écrit, en forme de lettre, a été tiré à part à un petit nombre d’exemplaires et n’est pas moins rare que la première édition du portrait du Dauphin.
Il avait épousé le 11 octobre 1766 Marie-Antoinette de Rosalie de Pons, fille du vicomte de Pons, comte de Roquefort, apparenté aux Breteuil.
Ministre plénipotentiaire près les états-généraux des Pays-Bas.
Ces antécédents engagèrent le comte de Vergennes à désigner en 1776 le duc de Lavauguyon au choix de Louis XVI pour être ministre près les États-Généraux des Provinces-Unies. Le nouvel ambassadeur prouva dès son début qu’il possédait le tact et la capacité qui pouvait amener à bonne fin une négociation difficile. L’objet de sa mission était d’affaiblir la prépondérance de l’Angleterre sur la Hollande, gouvernée par un stahouder tout dévoué à cette puissance. Lavauguyon avait, pour la réussite de ses instruction, compté sur les débris d’un parti français qui avait autrefois une influence notable sur les délibérations des États.
Il s’occupa d’abord de s’assurer une majorité parmi les membres de la Régence d’Amsterdam, et successivement dans celle de toutes les villes qui constituaient les États-Généraux. Cette tactique eut un plein succès.
À son arrivée en Hollande, les États-Généraux étaient en quelque sorte sous l’empire du gouvernement britannique. À cet égard, tout était changé quand Lavauguyon quitta ce pays. Une députation solennelle le remercia, au nom des États, « du zèle constant et éclairé qu’il n’avait cessé de montrer pour les intérêts communs de la France et de la République, le priant d’être auprès de son souverain l’organe de leur reconnaissance et d’en obtenir l’honneur d’une alliance défensive ».
Ambassadeur en Espagne (1794-1791).
Le 1er janvier 1784 il fut créé chevalier de l’ordre du Saint-Esprit et nommé à l’ambassade d’Espagne. Cette nouvelle mission ne fut ni moins heureuse ni moins utile à la France que la première. Lavauguyon sut gagner la confiance et l’affection du duc de Florida Blanca, qui dirigeait alors le cabinet de Madrid. Tous deux concertèrent les moyens de resserrer les liens qui unissaient les deux royaumes et de créer une véritable coopération entre les royaumes du « Pacte de famille », notamment en développant entre eux les échanges économiques.
En février 1789, le roi d’Espagne, Charles IV, lui donna une marque éclatante de son estime en le nommant chevalier de la Toison d’Or.
Ministre des Affaires Étrangères.
Quelques temps après, Lavauguyon fut rappelé en France par Louis XVI pour prendre possession du ministère des Affaires Étrangères.
On peut s’interroger sur les raisons de cette décision : Lavauguyon ne pouvait être d’un grand secours à Louis XVI dans les circonstances difficiles qu’il traversait. Son ambassadeur en Espagne n’avait que peu de relations et d’influence à Paris et il était assez éloigné des milieux politiques parisiens. Peut-être Louis XVI pensait-il trouver un recours dans un rapprochement avec les Bourbons d’Espagne auprès desquels il pourrait aussi trouver refuge. Dans cette hypothèse les excellentes relations que Lavauguyon entretenait avec la monarchie espagnole pourraient être d’un grand secours.
Ce « ministère de Cinq jours », comme on l’appela, constitué autour de Breteuil, comprenait notamment Messieurs de Breteuil, de Broglie, Barentin, Foulon (assassiné peu après), etc. Il était destiné à reprendre la situation en mains, à réprimer les débuts d’insurrection parisienne, à bloquer les initiatives anarchiques des États-Généraux, contrer l’activité factieuse du duc d’Orléans exilé en Angleterre.
Necker reçu effectivement l’ordre de quitter Paris sans délai mais eut le temps de prévenir le duc d’Orléans qui mit en action ses réseaux d’agitateurs parisiens et la défection des Gardes Françaises empêcha le déroulement et le succès de ce plan.
Après la prise de la Bastille, Louis XVI révoque le ministère de Breteuil et rappelle Necker. La conséquence en est, le 16 juillet, une première vague d’émigration des membres de la cour avec à sa tête le comte d’Artois et sa famille partis pour Turin.
Voyant que ses conseils énergiques n’étaient pas écoutés par le monarque, et que d’un autre côté il était attaqué par les partisans de la révolution à cause de son attachement au pouvoir monarchique, il se retira dès le 16 juillet. Lavauguyon, selon les expressions même du Moniteur, « craignant de payer de sa tête le court et funeste honneur d’un ministère de cinq jours », se déguisa en négociant, prit un passeport sous le nom de Chevalier puis, accompagné de son fils aîné, le prince de Carency, se rendit au Havre avec le projet de passer en Angleterre. Les réponses dites par son fils, qui n’était point compris dans le passeport, ayant paru suspectes, tous deux furent arrêtés par la municipalité du Havre. L’affaire fut déférée à l’Assemblée nationale qui, dans sa séance du 1er août, sans prendre aucune décision, la renvoya au comte de Montmorin[1], ministre des Affaires Étrangères qui avait succédé à Lavauguyon dans cette fonction. Mais des difficultés s’élevèrent et, quelques jours après (6 août), le comité des rapports en référa de nouveau à l’Assemblée. Une discussion des plus vives s’engagea. Le député Desmeuniers insista pour que la détention de Lavauguyon — qui, dit-il, « avait été ministre alors que toute la cour trempait dans la conjuration la plus atroce » — fût prolongée jusqu’à la preuve authentique de son innocence. Mais, sur la motion de l’évêque de Langres, La Lucerne, appuyée par Sieyès et Mirabeau, la municipalité du Havre reçut ordre de le remettre en liberté.
Après cette tentative d’émigration avortée, Lavauguyon avait effectivement gagné l’Angleterre, sa famille s’étant installée au palais du Luxembourg sous la protection du comte de Provence qui y demeurait depuis les événements d’octobre 1789 et le retour forcé de la famille royale à Paris. Il ne put donc assister au mariage, célébré le 13 septembre 1789, de son fils aîné Paul Maximilien, prince de Carency, avec Mademoiselle de Rochechouart.
Retour à Madrid.
Louis XVI, pour le mettre à l’abri de nouvelles menaces des « enragés », le rappelle à Paris et le renvoie à Madrid comme ministre plénipotentiaire. Il reprend alors ses fonctions d’ambassadeur. Le 16 mai 1790, les girondins qui dirigent, en réalité, la politique étrangère du royaume, se plaignant que des négociations importantes soient dans les mains du duc de Lavauguyon, notamment au sujet des différends qui s’étaient élevés entre l’Angleterre et l’Espagne, sur la pression du ministère britannique, Lavauguyon est rappelé à Paris le 1er juin 1790 par Monsieur de Montmorin, ministre des Relations Extérieures. Il refuse d’obtempérer et demeure à Madrid avec l’appui de Florida Blanca qui n’eut alors de cesse d’encourager Charles IV dans sa volonté d’aider son « cousin malheureux », notamment en proposant un arbitrage entre la France et les grandes puissances qui se coalisent contre elle.
Plus tard, après la 10 août 1792, Charles IV se demandait comment sauver la vie du roi et sa famille sans entrer dans la guerre. Il ne cessait de prier pour ses cousins et de répéter que, s’il leur arrivait malheur, il ne saurait se le pardonner. Il fut le seul souverain d’Europe à déployer des efforts continus et dépourvus d’arrière-pensées pour sauver la vie de Louis XVI (cf. Daniel de Montplaisir : Louis XX, petit-fils du roi Soleil).
Le roi d’Espagne donne également l’hospitalité à Lavauguyon et à sa famille et met à sa disposition des subsides pour lui permettre d’aider des émigrés français réfugiés à Madrid. -C’est ainsi qu’il prit en charge la famille de Bauffremont dont un fils épousa une fille Lavauguyon. Il place son fils, le jeune Yves Bernard de Lavauguyon (1778-1837), futur général et pair de France, dans ses armées.
Ministre de Louis XVIII.
En 1795, le comte de Provence, devenu Louis XVIII à la suite de la mort du jeune dauphin à la prison du temple, appelle Paul François de Quélen de Lavauguyon à Vérone pour être un de ses quatre ministres qui composent son Conseil d’État. Le duc suit le prince à Blackembbourg. Son ministère se termine en février 1797 quand, par suite d’intrigues dans l’entourage du prétendant, il tombe en disgrâce et est remplacé par le comte de Saint-Priest.
Lavauguyon s’installe à Hambourg où de nombreux émigrés français s’étaient réfugiés puis il revient à Madrid.
Il ne reprit aucune fonction publique sous le Consulat ou l’Empire. Il rentra à Paris en 1804 complètement ruiné et spolié.
À la restauration en 1814, il est promu lieutenant-général et nommé pair de France à titre héréditaire le 4 juin. D’opinions modérées, il publia plusieurs ouvrages de droit constitutionnel et s’attacha au développement de l’enseignement.
Il mourut à Paris le 14 mars 1828 et fut inhumé au cimetière de Picpus aux côté de son épouse Marie-Antoinette Rosalie de Pons de Roquefort, dame d’honneur de la comtesse de Provence, décédée en 1824 et de son fils Paul Yves Bernard, duc et pair de France décédé en 1837.
Jacques Dubois de Lavauguyon
Docteur d’État en droit
[1] Montmorin Armand-Marc de (1745-1792) fut attaché comme page à la personne de Louis XVI qui le nomma ambassadeur à Madrid en 1778, Gouverneur de Bretagne en 1784. Cet admirateur de Necker devint en sous-main l’homme de Mirabeau. Accusé d’avoir approuvé la déclaration de Pilinitz, il dut se démettre de ses fonctions en octobre 1791. Soupçonné de collusion avec l’Autriche, il fut arrêté en juillet 1792 et incarcéré à l’Abbaye. Il fut, avec son épouse et plusieurs de ses enfants, victime des massacres de septembre.
Publication originale : Jacques Dubois de Lavauguyon, « Le duc de Lavauguyon, ambassadeur à Madrid de 1784 à 1791 », dans Collectif, Actes de la XIXe session du Centre d’Études Historiques (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne, CEH, Neuves-Maisons, 2013, p. 233-239.
Consulter les autres articles de l’ouvrage :
► Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5).
► Avant-propos. Le vingtième anniversaire du Centre d’Études Historiques, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).
► De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret (p. 37-41).
► Le baron de Vuorden. De la cour d’Espagne à la cour de France, par Odile Bordaz (p. 43-55).
► La rivalité franco-espagnole aux XVIe-XVIIe siècles, par Laurent Chéron (p. 73-92) :
- Partie 1 : Les représentations d’une rivalité
- Partie 2 : L’empire des Habsbourg d’Espagne sur la défensive
- Partie 3 : Un siècle et demi de compromis ambigus / Conclusion
► Les mariages franco-espagnols de 1615 et de 1660 ou le deuil éclatant du bonheur, par Joëlle Chevé (p. 93-114) :
- Partie 1 : Le trône met une âme au-dessus des tendresses
- Partie 2 : L’orgueil de la naissance a bien des tyrannies
- Partie 3 : Il faut que le pouvoir s’unisse à la tendresse
► L’Espagne vue par l’Émigration française à Hambourg, par Florence de Baudus.
► L’Affaire de Parme ou la mise en œuvre du pacte de famille face à la papauté (1768-1774), par Ségolène de Dainville-Barbiche (p. 135-150).
- Partie 1 : Parme
- Partie 2 : Les acteurs / Partie 3 : Le déroulement de l’affaire
- Partie 4 : Le dénouement de l’affaire
► « Carlistes espagnols et légitimistes français », par Daniel de Montplaisir (p. 151-177).
► « Blanche de Castille et les sacres de Reims », par Patrick Demouy (p. 179-192).
► « Les Français de Philippe V : un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne, 1700-1724 », par Catherine Désos (p. 193-231) :
- Partie 1 : Constitution et développement de la maison française du roi d’Espagne
- Partie 2 : L’influence de l’entourage français auprès du premier Bourbon d’Espagne
- Partie 3 : Les causes du déclin de l’influence française
► « Le duc de Lavauguyon, ambassadeur à Madrid de 1784 à 1791 », par Jacques Dubois de Lavauguyon (p. 233-239).
Consulter les articles des sessions précédemment publiées :
► Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV
► Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle
Petites rectifications:
1/ l’épouse de Paul-François de Quélen de Stuer de Caussade, duc de Lavauguyon, était Marie-Antoinette, Rosalie de Pons (et non pas DE ROSALIE DE PONS), fille de Charles-Armand vicomte de Pons (de la branche cadette de Roquefort des sires de Pons – Saintonge -) et de Rosalie Le Tonnelier de Breteuil
2/ c’est donc par sa mère que l’épouse du duc de la Vauguyon était apparentée aux Breteuil et non pas par son père.
Merci pour ces corrections et précisions !