Histoire

Au nom du peuple, par Marion Sigaut. Contribution au Symposium international de Tokyo sur la Révolution (13-14 juillet 2019)

La Révolution qu’on dit française marque, dit-on, l’irruption du peuple dans l’Histoire. À preuve, les Déclarations des Droits de l’Homme votées par l’Assemblée nationale le 26 août 1789, puis le 29 mai 1793. Ratifiée le 5 octobre 1789 par Louis XVI, la première sert de préambule à la première Constitution de la Révolution française, adoptée en 1791. Elle servira de modèle aux autres déclarations reprises dans le monde.

Cette Déclaration est faite au nom du peuple français par ses représentants. Le peuple est donc, dès 1789, considéré comme autorité suprême. Comme il ne peut s’exprimer que par ses représentants, ceux-là sont donc autorisés à parler à sa place. Tout ce qu’ils feront sera fait « au nom du peuple ».

La déclaration rappelle les droits naturels et œuvre au bonheur de tous sous les auspices de « l’Être suprême ». On ne parle plus de Dieu

Le premier article dit que les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Le 23 mai 1793, après quatre ans de violences et le renversement de la royauté, une nouvelle déclaration réitère ce droit de résister à l’oppression en ces termes :

Article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

La résistance à l’oppression n’est plus seulement un droit, mais un devoir. Quelle fut  donc l’attitude des nouvelles autorités face à l’expression populaire ?

Renverser le Roi au nom du peuple

Le 20 juin 1792, des factieux venus des faubourgs de Paris, le plus souvent stipendiés par les hommes du duc d’Orléans, investissent le château des Tuileries pour obtenir du roi, « l’odieux tyran », qu’il retire son véto.

Le roi avait opposé son véto à deux décisions essentielles. Premièrement, la déportation des prêtres réfractaires, c’est-à-dire qui refusent, en conscience, de prêter serment. Deuxièmement, de laisser s’installer autour de Paris 20 000 fédérés.

Le véto du roi était son droit constitutionnel. Son refus était légitime et d’ordre public. Il défendait la liberté religieuse qu’on mettait à mal, et défendait Paris. Il est maintenant désarmé, on lui a retiré sa garde constitutionnelle. C’est un coup de force parfaitement illégitime.

Était-ce le vœu du peuple ?

Voici la lettre que le Roi écrit le 22 juin 1792 :

« Le roi n’a opposé aux menaces et aux insultes des factieux que sa conscience et son amour pour le bien public. Le roi ignore quel sera le terme où ils voudront s’arrêter ; mais il a besoin de dire à la nation française que la violence, à quelque excès qu’on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un consentement à tout ce qu’il croira contraire à l’intérêt public.
Comme représentant héréditaire de la nation française, il a des devoirs sévères à remplir ; et, s’il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs.
Dans l’état de crise où elles se trouvent, le roi donnera, jusqu’au dernier moment, à toutes les autorités constituées, l’exemple du courage et de la fermeté. En conséquence, il ordonne à tous les corps administratifs et municipalités de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. »

Le roi reçoit alors des soutiens de province, et une pétition de 16 000 Parisiens fut déposée chez 16 notaires. Le peuple s’exprimait donc face à l’événement, et entendait résister à la violence. Deux mois plus tard, tous les signataires sont privés de leurs droits civiques, et déclarés incapables de remplir aucunes fonctions pour avoir exprimé leur indignation. La voix du peuple n’est donc audible que quand elle va dans le sens des révolutionnaires.

Le peuple parisien s’exprime dans les sections. Paris en a 48 sections, en général dans des églises. Chacune est une assemblée avec président, vice-président et secrétaires. Quelle est donc la place de l’expression populaire ? Lors des sessions, quelqu’un apporte une motion. On la vote à grands cris et on nomme un commissaire pour la porter aux sections voisines qui font pareil. Partie à 8h le soir, la motion fait le tour de Paris à minuit et le lendemain elle arrive à l’Assemblée comme « émanant du peuple de Paris en ses 48 sections ». C’est ainsi que se prennent les décisions « au nom du peuple ». Le 15 juillet, on instaure la permanence des sections. Celles-ci délibèrent et votent à l’heure où les gens normaux travaillent ou dorment.

On prépare l’insurrection qui renversera le roi. Le 4 août, la section de Mauconseil (qui se réunit dans l’église Saint-Jacques de l’hôpital) écrit :

« Réunie au nombre de plus de six cents citoyens, délibérant sur les dangers de la patrie ; considérant que Louis XVI a perdu la confiance de la nation ; que les pouvoirs constitués n’ont de force que par l’opinion, et qu’alors la manifestation de cette opinion est un devoir rigoureux et sacré pour tous les citoyens.

[…] Unissons-nous tous pour prononcer la déchéance de ce roi cruel. »

La section annonce que si le 9 août la déchéance n’est pas prononcée, les « patriotes » des deux quartiers sonneront le tocsin et marcheront sur le château.  Quelqu’un dit que cet arrêté est anticonstitutionnel. Il est cassé. Un citoyen de la section Mauconseil, indigné, vient dire qu’on a fraudé scandaleusement en  signant pour les absents. On le fait taire également. C’est la tyrannie du vote « populaire » qui fait dire ce qu’on veut du moment que c’est « populaire ». On triche sans scrupule. On fait parler les absents. Cela passe, puisque c’est au nom du peuple

Le 10 août 1792, l’émeute renverse le roi. La dictature de la Commune de Paris (gouvernement de Paris) s’instaure.

Le 10 février 1638, Louis XIII avait consacré le royaume de France à Notre-Dame. Le 10 août au matin, « le sieur Roland, grenadier du bataillon des Minimes, écrit à l’Assemblée pour lui demander la suppression de la procession ordonnée par le vœu de Louis XIII. »  L’Assemblée nationale décrète que l’édit de Louis XIII, qui ordonnait la procession du 15 août, est révoqué. Sur la demande d’un citoyen. On appelle cela la volonté du peuple.

La commune insurrectionnelle, qui a pris le pouvoir par le meurtre et l’émeute, est devenue la voix du peuple. La nation, c’est elle, et elle uniquement.

Dès le 11 août, commence le remplissage des prisons. Le 2 septembre, les prisons sont bondées, le massacre commence. 1 500 civils captifs, dont des enfants à Bicêtre et des femmes de la Salpêtrière, sont massacrés à l’arme blanche à quelques mètres de la garde nationale qui a ordre de ne rien faire. Les massacreurs sont payés par la Commune de Paris. Tous les appels à faire cesser le massacre sont restés lettre morte : le 3 septembre, le sectionnaire Mandar et le journaliste Prudhomme tentent en vain d’infléchir Robespierre ou Danton, qui refusent. Le 5 septembre, 5 coupe-têtes dégouttant de sang viennent demander au maire Pétion et au ministre Brissot ce qu’ils doivent faire de 80 prisonniers qui restent encore à La Force. Réponse de Pétion : faites au mieux. Et il leur donne à boire. Les massacres ont été faits au nom du peuple. Pour Robespierre :

« C’était un mouvement populaire, et non, comme on l’a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables »

C’est faux. On a leurs noms, le salaire qu’ils ont perçu et les signatures sur les quittances.

Selon Marat, « l’événement désastreux des 2 et 3 septembre a été uniquement provoqué par  l’indignation du peuple, qui a craint de se voir esclave de tous les traitres qui ont si longtemps causé ses désastres et ses malheurs ». « Qui de vous, Messieurs, eût osé me faire un crime d’avoir appelé sur les têtes coupables des scélérats la hache des vengeances populaires ? Le peuple, sans obéir à ma voix, a eu le bon sens de sentir que c’était effectivement là toute sa ressource ; il l’a employée plusieurs fois pour s’empêcher de périr. »

La version assurant que c’est le peuple qui a perpétré ces massacres est si admise qu’il faut chercher pour trouver la vérité. En réalité le peuple était tétanisé de terreur, le sang coulait dans les rues. On a les noms, les professions, les adresses, les signatures des massacreurs sur les quittances qu’ils ont signées de leurs salaires reçus de la Commune de Paris !

La République proclamée au nom du peuple

On élit une  nouvelle assemblée constituante : la Convention. Sa convocation de la Convention date du 10 août : tout Français âgé de 21 ans vivant du produit de son travail et non domestique. Il n’y a plus de citoyen actif ou passif. Ça se rapproche du suffrage universel (masculin). Mais c’est un suffrage indirect : les assemblées primaires nommeront des électeurs et les électeurs nomment des députés.

Ces élections se déroulent dans un climat de terreur. Paris est fermée et il faut des passeports pour sortir. L’Assemblée des électeurs à Paris se déroule dans la salle des Jacobins, haut lieu de la franc-maçonnerie, le vote s’effectue à voix haute, par appel nominal et en présence du public. Le peuple n’a pas droit au vote anonyme. Toutes les garanties de l’intimidation son présentes. Les massacres de septembre se déroulent entre la nomination des électeurs et la nomination des députés. On vote en plein climat de Terreur. Et ce ne sont pas des mots, le sang coule à flots dans les rues.

Qui représente qui à l’Assemblée ? L’abstention est de 90 % alors que le mode de scrutin est élargi : sur 7 millions de votants potentiels (pas de femmes), seuls 700 000 se déplacent. Il y aura en tout 749 députés : ils représentent donc 10 % de la moitié de la population, soit 5 %.

Le 20 septembre, on annonce que les armées de Dumouriez remportent la victoire contre Brunswick, à Valmy. On avance que c’est la victoire du peuple sans-culotte contre les armées royales. En réalité, Dumouriez (pour la France) et Brunswick (pour la coalition étrangère) ne sont pas seulement tous deux francs-maçons, ils appartiennent tous deux à l’Ordre des Frères de Saint-Jean l’Évangéliste d’Asie et d’Europe, une secte satanique issue du sabbataïsme et du frankisme qui prône l’ordre nouveau par le chaos et le mal pour le mal. De plus, la bataille de Valmy n’a pas eu lieu. Brunswick s’est retiré. C’est donc un faux prétexte, un mensonge pour proclamer la République.

La république est proclamée le 21 septembre à l’unanimité, or les députés ne sont que 200, les plus de 500 autres ne sont pas encore arrivés. Ces 200 personnes représentent un quart de 10 % de la moitié de la population, soit 0,01% de la population française en âge de voter. Cette proclamation est illégale. 200 individus, sous influence et sous une pression de terreur, abolissent douze siècles de monarchie… au nom du peuple.

On ne pourra pas tout dire, on fera l’impasse sur l’inique procès fait au roi… au nom du peuple. Rappelons malgré tout, pour mémoire, que le roi a fait appel au peuple, et que cet appel  lui a été refusé. C’était l’occasion de faire parler le peuple sans ses représentants. On ne l’a pas fait.

La destruction de Lyon au nom du peuple

En 1792, Lyon est une ville de 150 000 habitants. À sa tête, se trouve Joseph Chalier, ami du ministre Roland et grand admirateur de Marat, qu’il imitera. Le 9 septembre 1792, il tente de perpétrer à Lyon les mêmes massacres qu’à Paris : une liste de 200 « aristocrates » est dressée. Mais la garde nationale intervient et en sauve la grande majorité. Elle ne sauvera pas trois officiers et quatre prêtres tirés du lit, lapidés dans la rue et massacrés. Les massacreurs paradent dans la ville avec les têtes qu’ils viennent agiter dans les cafés où ils leur offrent à boire et vont ensuite les exhiber au théâtre où ils défilent sur la scène.

Lors du procès du roi, les Chaliers (ainsi nomme-t-on ses partisans) tentent de faire signer par la force une pétition en faveur de l’exécution du roi. Des Lyonnais réagissent violemment. Le 6 février 1793, Chalier préconise l’installation de la guillotine sur un pont pour que les têtes tombent directement dans le Rhône. La violence verbale a atteint son comble.

Le 9 mars 1793, on élit une nouvelle municipalité. L’abstention est record, mais les Chaliers l’emportent à la majorité absolue. Ils restent au pouvoir pendant 80 jours, et s’appuient sur les Jacobins lyonnais. Leur programme est le suivant : la répression de tous les opposants et l’imposition des riches pour financer l’armée révolutionnaire. Il s’agit de tout niveler par le bas.

Le 29 mai 1793, à  Paris, la Convention décrète la nouvelle Déclaration des Droits de l’Homme.

Article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Le même jour, des sections se lèvent contre Chalier et ses partisans. On chasse les buveurs de sang. On veut le retour à une municipalité vraiment lyonnaise, défendant les intérêts des Lyonnais, et non une municipalité envoyée par Paris. On veut la fin de la tyrannie des clubs. Ces sections arrêtent Chalier et, le 15 juin il est jugé et condamné dans une ambiance hystérique. Or la Convention, malgré le devoir d’insurrection qu’elle vient de graver dans le marbre, considère que Lyon a trahi : il faut sévir ! Marat et Robespierre font décréter la destitution de tous les administrateurs et fonctionnaires de Lyon, « traîtres à la patrie et rebelles ». Le 12 juillet, la Convention déclare Lyon en rébellion contre la République. Le 16 juillet, Chalier est exécuté à Lyon et un royaliste est nommé à la tête de l’armée lyonnaise. C’est l’union des Lyonnais pour la défense de leur ville.

Le 7 août 1793, Kellermann assiège Lyon. Le 8 août, les délégués de la Convention Dubois-Crancé et Gauthier déclarent la guerre à Lyon et la somment de se rendre :

« Lyonnais ! Nous sommes devant vos portes, parce qu’un décret de la Convention nous ordonne de rétablir l’ordre républicain dans Lyon. Et nous y sommes avec des  troupes fidèles à la République, qui ont juré la mort des tyrans. Nous sommes vos libérateurs; nous venons arracher les patriotes d’entre les mains des aristocrates qui les ont emprisonnés après le 29 mai. N’imitez pas les rebelles de la Vendée… »

N’y a-t-il pas une contradiction avec la déclaration du 29 mai ? Le premier coup de canon est tiré contre Lyon le 10 août. On tirera 16 200 impacts par jour pendant 40 jours.

Dans une lettre de Ronsin, commandant de l’armée révolutionnaire à Lyon, l’on peut lire :

« Une population de 120 000 âmes… Il n’y a pas dans tout cela, non pas même 1 500 patriotes, mais 1 500 personnes que l’on puisse épargner. »

On revendique donc d’éradiquer 99 % de la population au nom du peuple qui a le devoir d’insurrection. Le 24 août, le bombardement dure de 16 h à 8h du matin. Les Lyonnais résistent. Furieux, Dubois-Crancé ordonne de laisser les morts sur place pour qu’ils empestent et provoquent une épidémie. On ne fait aucun prisonnier : on fusille sur place. Dans la nuit du 7 au 8 septembre, et celle qui suivit, 500 bombes et 1 000 boulets rouges tombent sur la ville. Du 9 au  21 septembre, le bombardement ne cesse pratiquement pas et, fin septembre, les Lyonnais n’ont plus à manger. Ils font cuire des herbes dans de la graisse de parfumerie. C’est la famine. Lyon capitule le 8 octobre 1793 et la répression commence.

Le 9 octobre 1793, la répression est lancée contre cette ville rebelle. On rafle tous les biens saisis au détriment de familles chassées de leurs domiciles. On pille, on tue, on guillotine, on viole. Officiellement, 1 682 exécutions, mais un affidé de Robespierre, lui, en avoue 6 000. Il y en aura en fait beaucoup plus.

Le 10 octobre 1793, Saint-Just ordonne :

« Vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle » ;

« Entre le peuple et ses ennemis il n’y a rien de commun que le glaive ; il faut gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice » ;

« La République ne sera fondée que le jour où les sans-culottes, seuls représentants de la nation, seuls citoyens, régneront par droit de conquête ».

D’après le décret du 12 octobre 1793 :

« Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République ; la réunion des maisons conservées portera désormais le nom de Ville-Affranchie. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne…, avec cette inscription ; Lyon fit la guerre à la liberté. Lyon n’est plus ».

Lyon est rebaptisée Commune-Affranchie : « il n’y restera que la maison du pauvre et les bâtiments consacrés à l’humanité et à l’instruction publique ». On loge la troupe révolutionnaire chez l’habitant, où l’on guillotine le mari et où l’on se sert de la femme et des filles comme on peut le deviner. On démarre la destruction  des plus belles maisons de la place Bellecour. Dans les étages les habitants évacuent éperdument leurs biens alors les démolisseurs sont déjà à l’œuvre et défoncent les toits. Leurs biens tombent des fenêtres en même temps que les gravats des démolisseurs aux cris de  « Vive la République ! » Les démolitions dureront six mois et seront accompagnées de pillages par des bandes de voyous. On utilisera 20 000 démolisseurs et on usera du canon pour aller plus vite et abattre des immeubles en enfilade.

Le 4 décembre, 209 jeunes gens sont fusillés sur la plaine des Brotteaux et achevés à l’arme blanche. La veille, épouses, mères et sœurs en voiles de deuil se rendaient à l’hôtel de ville, où siégeait le tribunal révolutionnaire, et se jetèrent aux pieds de Collot-d’Herbois et Fouché, qui les firent chasser sans ménagement. Une fois dehors, on les menaça du canon. Dorénavant, tout rassemblement de femmes est interdit à Lyon. Deux femmes ayant manifesté malgré l’interdit sont condamnées à être attachées six heures durant aux deux montants de la guillotine dégoulinante du sang des exécutions de la journée. On comptera en tout 17 000 exécutions dont des enfants de 4 à 7 ans et un chien, et on entendra un perroquet comme témoin.

Lyon passe de 150 000 habitants à moins de 80 000… au nom du peuple.

La dépopulation vendéenne au nom du peuple

La répression se décide en même temps qu’à Lyon. Le 1er août 1793, Barrère de Vieuzac déclare :

« Ici, le Comité, d’après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repères, à incendier leurs forêts, à couper leurs récoltes et à les combattre autant par des ouvriers et des pionniers que par des soldats…
L’humanité ne se plaindra pas ; les vieillards, les femmes et les enfants seront traités avec les égards exigés par la nature. L’humanité ne se plaindra pas ; c’est faire son bien que d’extirper le mal ; c’est être bienfaisant pour la patrie que de punir les rebelles.
[…] L’autorité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires portera l’effroi dans les repaires de brigands et dans les demeures des royalistes. »

Or le peuple français est encore royaliste.

La Convention décrète le même jour :

« Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts. »

« Les forêts seront abattues ; les repaires des rebelles seront détruits ; les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers, pour être portées sur les derrières de l’armée et les bestiaux seront saisis. »

« Les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l’humanité. »

Conduits à l’intérieur de quoi et nourris avec quoi ?

Le 1er octobre 1793 :

« Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre. Le salut de la patrie l’exige, l‘impatience du peuple français le commande, son courage doit l’accomplir. »

« L’impatience du peuple » : c’est donc le peuple qui demande l’extermination des Vendéens ? Et que signifie « brigands » ? C’est tout le monde, bleus et blancs confondus, autrement dit : le peuple vendéen.

La loi du 1er octobre 1793, telle que présentée par Barrère, dit :

« Cette armée catholique royale, qu’on a portée longtemps à quinze, à vingt-cinq, à trente mille, est aujourd’hui, par le rapport des représentants du peuple près les côtes de Brest, d’environ cent mille Brigands. On constate donc un soulèvement populaire.

Il fallait brûler la première ville, le premier bourg, le premier village qui avait fomenté la révolte. »

Certes, mais le droit à l’insurrection, le devoir d’insurrection, qu’en fait-il ?

 « C’est à la Vendée que se reportent les vœux coupables de Marseille, la vénalité honteuse de Toulon, les cris rebelles des Lyonnais, les mouvements de l’Ardèche, les troubles de la Lozère, les conspirations de l’Eure et du Calvados, les espérances de la Sarthe et de la Mayenne, le mauvais esprit d’Angers et les sourdes agitations de quelques départements de l’ancienne Bretagne. »

Toute la France, non ? En fait, Barrère nous explique ici que toute la France est en insurrection contre la Convention et qu’il faut donc exterminer les Vendéens pour servir d’exemple aux autres. Au nom du peuple !

Le 26 octobre 1793, nouveau décret :

« Toute ville de la République qui recevra dans son sein les brigands ou qui leur donnera des secours sera punie comme ville rebelle. En conséquence, elle sera rasée et les biens des habitants seront confisqués au profit de la république »

Quelle est donc la justification de toutes ces horreurs ? Le bonheur du peuple !

Joachim Vilate, jeune homme de 26 ans, a vécu dans l’intimité des chefs du comité de salut public. Le 17 octobre 1793 (procès de la reine le 16), il dîne avec Barrère, Saint-Just et  Robespierre, qui s’inquiètent du grand nombre d’ennemis de la révolution. Durant le repas, les trois révolutionnaires expliquent leur plan :

Ils veulent une révolution agrarienne : donner à chaque famille française une portion de terre, au milieu de laquelle s’élèverait une baraque couverte de chaume. Saint-Just dit : « chacun retiré au milieu de son arpent avec sa charrue passerait doucement sa vie à le cultiver : le retour de l’âge d’or ». Barrère : « les propriétaires sont les oppresseurs chargés de crimes et de forfaits. La vertu est dans la classe journalière et travaillante  qui doit mener la guerre contre le surplus du peuple ». Ce « surplus du peuple » sera les victimes des massacres.

Selon Gracchus Babeuf, pour régénérer la France il faut une distribution nouvelle du territoire et des hommes. C’est une référence à Jean-Jacques Rousseau : « il faut que tous les citoyens aient assez et qu’aucun d’eux n’ait trop ».

Quelle est la solution ? Le gouvernement doit s’approprier toutes les propriétés. Il faut immoler (= massacrer) les riches avec une telle terreur que les autres s’exécuteront de bonne grâce. Il faut dépeupler car un calcul montre que la population excède les ressources du sol. Il faudra donc aussi immoler des sans-culottes.

Les preuves de ce plan, nous dit Gracchus Babeuf, sont visibles par la saisie des subsistances et le maximum des prix ; par le premier acte de la prise de possession des propriétés par le gouvernement, par les saisies des propriétés des riches et toutes les confiscations (émigrés, etc.) ; par les mises à mort par noyade, canonnades ou guillotines, par la guerre à outrance en Vendée où républicains et royalistes sont immolés pareillement : rebelles et fidèles, tout est bon à détruire. C’est la dépopulation. C’est le fameux génocide vendéen. Au nom du peuple !

Quelles sont les autres preuves sur le terrain ?

Le 23 décembre 1793, Westermann déclare au Comité de salut public :

« Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Plus de Vendée, citoyens républicains, je viens de l’enterrer dans les marais et dans les bois de Savenay, suivants les ordres que vous m’avez donnés […]. J’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé. »

Le 4 mars 1794, Carrier ajoute à la Convention :

« Je puis vous affirmer qu’il n’est pas resté un seul patriote dans la Vendée. Tous les habitants de cette contrée ont pris une part plus ou moins active dans cette guerre ».

Fin décembre 1793, la Vendée est écrasée et l’ennemi est repoussé aux frontières : on va pourtant continuer. Pourquoi ? Il faut « réduire à 700 habitants par lieue carrée au lieu de mille qu’on y comptait ». C’est-à-dire diminuer la population de 30 %. Les riches n’aimeront jamais les sans-culottes donc il faut niveler la population, sans quoi l’ordre et la stabilité ne s’établiront jamais, sans quoi il ne peut exister de République. La république a donc besoin de tuer 1/3 de sa population.

Robespierre déclare le 5 février 1794 à la Convention :

« La tempête gronde, et l’état de révolution où vous êtes, vous impose une autre tâche… Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la république, ou périr avec elle ; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être que l’on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur. »

On extermine le peuple… pour le bien du peuple !

Conclusion

De terreur en massacres, les révolutionnaires qui ont, par deux fois, proclamé la souveraineté du peuple et son droit à résister à l’oppression, n’ont cessé de tenter de se débarrasser de tous les opposants qui résistaient à leurs vues. Tous leurs crimes commis contre le peuple l’ont été au nom du peuple. Il faudrait songer à redéfinir ce qu’on entend par démocratie.

Marion Sigaut


Les autres contributions du symposium international de Tokyo sur la Révolution paraîtront prochainement :

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