L’égalitarisme enragé vu par le Professeur Brancourt
La semaine dernière, le prince Charles-Emmanuel terminait son éditorial* par une anecdote parfaitement révélatrice de l’absolue bêtise des terroristes de 1793. La “novlangue” révolutionnaire les séduisit tant qu’ils osèrent tout, jusqu’à la tentative – toujours en marche forcée aujourd’hui – d’oblitérer l’identité des hommes et des femmes. Il en fut de même pour l’identité des villes, bourgs et autres villages, comme le Professeur Jean-Pierre Brancourt* le rappelait savoureusement dans La Légitimité numéro 25 de janvier-mars 1981. Avec l’accord de l’auteur que nous remercions chaleureusement, nous avons le plaisir de reproduire, dans son intégralité et pour la première fois sur la toile, son article paru dans la rubrique Les exploits de l’âne de Camaret.
Alphée Prisme
“La rage de l’égalité ne peut rien épargner. C’est ainsi que la Convention s’avisa, un beau jour, de mettre un terme à un odieux vestige du Despotisme : la survivance du mot “ville”, impliquant une idée de supériorité à l’égard des “bourgs”, les offensait gravement, et, tout bien pesé, les bourgs eux-mêmes insultaient les simples “villages”… Le 5 novembre 1793, un décret supprima les dénominations de “ville”, “bourg” et “village”, et leur substitua celle de “commune”.
A quelque temps de là, le citoyen Dansse de Villoison, géographe réputé, membre de la feue académie des Belles-Lettres, réclama une carte de sûreté : en l’entendant décliner son identité, l’employé de l’état-civil s’indigna : “Villoison? Il n’y a plus de villes, il n’y a plus que des communes.” Et aussitôt ce bon républicain d’écrire gravement sur la carte : “Dansse-Commune-Oison.”
L’exigence hautement morale qui contraignait la Convention à modifier la terminologie administrative la porta à remanier la géographie de la France : le 25 octobre 1792, l’Assemblée décréta que le comité de Législation changerait tous les noms de lieux publics évoquant l’Ancien Régime : Saint-Malo devint ainsi Port-Malo, Grenoble, Gre-Libre; Montigny-le-Roi, Montigny-Source-Meuse; Saint-Brieux, Port-Brieuc; Château-Chinon, Chinon-la-Montagne; Château-Thierry, Egalité-sur-Marne, Saint-Cloud, Pont-la-Montagne; Toulon, Ville-Plate, puis Port-la-Montagne, Dunkerque, Dune-Libre (1), Rocroy, Roc-Libre; Vitry-le-François (2), Vitry-sur-Marne, etc… La multiplication, toute patriotique, des changements de nom entraîna quelques difficultés subalternes – et postales. La Convention elle-même ne savait plus très bien à quels mots recourir. Le 10 messidor an II, le Comité de Salut Public dut prendre un arrêté : “Plusieurs communes ayant changé de noms et ne se trouvant pas, sous ces nouvelles dénominations dans les dictionnaires géographiques ni sur les cartes, et d’autres communes portant des noms semblables, il arrive quelquefois que le Comité ne sait d’où on lui écrit ni à qui il doit répondre, d’où il résulte des entraves préjudiciables dans le gouvernement. Pour faire cesser ces inconvénients, le Comité de Salut Public invite toutes les administrations, les sociétés populaires, les fonctionnaires publics et, en général tous les citoyens qui lui écriront à ajouter au nom actuel de leur commune celui qu’elle portait précédemment, et en outre le nom du district et du département où elle se trouve” (3).
L’âne républicain se mord parfois la queue.”
Jean-Pierre Brancourt
*« Les c*** ça ose tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît ! »
*Professeur émérite, agrégé des facultés de droit.
(1) Le mot flamand Dunkerque signifiait “Eglise des Dunes”
(2) L’adjectif “français” rappelait fâcheusement l’ancienne France…
(3) Moniteur, 28 juin 1794, 10 messidor an II