Vie des royalistes

Communiqué du Groupement universitaire pour l’étude des institutions publiques de la Monarchie française

 

C’est avec une surprise attristée que le Groupement universitaire pour l’étude des institutions publiques de la Monarchie française* a pris connaissance d’un communiqué émanant du « Secrétariat politique de Mgr Sixte-Henri de Bourbon-Parme » daté du 17 septembre 2015 et adressé  « à ses proches ». Ledit communiqué annonçait que le prince Sixte-Henri ne se rendrait pas à une invitation faite à l’ensemble des Bourbons pour une réunion familiale à l’abbatiale de Souvigny et à un dîner.

Mgr Sixte-Henri de Bourbon-Parme est un prince cadet de la branche des Bourbon-Parme (dont son neveu est le chef), qui vient elle-même, dans l’arbre  généalogique des Bourbons issus de Philippe V d’Espagne, après la branche aînée (France, Espagne, Séville) et la branche des Deux-Siciles. Il fait grand cas, à juste titre, d’appartenir, par Louise, duchesse de Parme, à la lignée du roi Charles X. Son oncle et homonyme, le prince Sixte de Bourbon-Parme, s’est fait remarquer notamment par une thèse intéressante (Le traité d’Utrecht et les lois fondamentales du royaume), qui montre que les princes issus de Philippe V ont conservé leurs droits dynastiques français. Cette thèse repose notamment sur le principe traditionnel qui veut que la couronne de France soit dévolue de mâle en mâle par ordre de primogéniture aux descendants d’Hugues Capet.

Pour en revenir au communiqué, dont la rédaction est parfois hasardeuse, le Secrétariat de Mgr Sixte-Henri prétend  réagir contre « une « invitation scandaleuse adressée à un personnage pratiquant l’imposture des titres d’apanage. » L’on ne commentera pas aujourd’hui l’aspect discourtois  d’une telle appellation pour désigner, sans oser le dire directement –mais  on le devine aisément et l’on aimerait pouvoir être démenti-, le chef de la maison de Bourbon, Mgr Louis, duc d’Anjou et de Bourbon, connu dans les médias, et de droit, comme « Louis XX. »

Ceci dit, au-delà du caractère choquant de la démarche, la terminologie employée : « titre d’apanage (cad provinces) » n’est pas juridiquement appropriée en l’espèce. Il y a lieu de supposer que le Secrétariat  désigne ainsi l’appellation que prenaient les princes cadets sous l’Ancien Régime, et qui était liée au principal territoire soustrait au domaine royal qui leur était remis pour leur subsistance (« ad panem. ») et pour tenir leur rang.  Il faut aussi rappeler que les membres de la maison royale n’avaient et n’ont pas de nom patronymique : sous l’Ancien Régime, les princes portaient effectivement des noms tirés de leurs apanages ; le roi lui-même était désigné par son prénom (c’est pour combler cette lacune sans rappeler son titre royal que les révolutionnaires ont affublé Louis XVI du nom de « Capet  .») En revanche, en émigration ou en exil, les Bourbons  du XIXe siècle, souverains ou chef de maison, ont fréquemment porté des noms tirés de leurs domaines et choisis par eux à volonté : Louis XVIII a été le comte de Lille[1], et Henri V le comte de Chambord (domaine reçu en cadeau personnel mais non apanage). Ils auraient pu, tout aussi bien, prendre des noms de provinces.

Il n’y a plus d’apanages depuis la Révolution française. Les princes qui en avaient eu un  -comme le Comte d’Artois, futur Charles X et ses fils- pouvaient continuer d’en utiliser le nom sous la Restauration et les régimes de fait qui se sont succédé depuis 1789. Néanmoins, à notre époque, il n’y a guère que les princes d’Orléans qui pourraient s’en prévaloir (ce qui ne font pas, préférant s’appeler « de France », ce qui manque de précision et occulte leur qualité de cadets). Les différents dynastes de la maison royale issue de Philippe V, petit-fils de Louis XIV et roi d’Espagne, absents de France depuis le XVIIIe siècle, n’ont pas eu d’apanage français. Quant à l’aîné, roi de France ou chef de la maison, il n’a jamais été assimilé à un titulaire d’apanage, ou de « titre d’apanage », ayant vocation à gouverner tout le royaume et éventuellement à conférer les apanages.

C’est donc tout à fait improprement que le communiqué sous examen parle de « titre d’apanage »  à propos du duc d’Anjou. Cela est d’ailleurs vrai à un autre point de vue : contrairement à une opinion  courante, le futur Philippe V d’Espagne, second petit-fils de Louis XIV, n’a pas reçu l’Anjou en apanage. Il n’a porté ce titre que par droit d’usage conféré par son aïeul Louis XIV. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, L’Anjou n’a été conféré en apanage qu’une seule fois, en 1771, au profit du futur Louis XVIII , et érigé pour l’occasion en duché-pairie, avant de faire retour à la couronne.

Ce n’est qu’après 1883, date de la mort d’Henri V, comte de Chambord (dernier héritier de la branche issue du duc de Bourgogne, aîné des  petit-fils de Louis XIV), que le titre de duc d’Anjou,  alors vacant, a été relevé et porté par plusieurs princes issus de Philippe V (princes de la branche carliste, puis après la disparition de celle-ci, princes de la branche « alphonsine »), dans le but de souligner qu’ils étaient désormais les aînés de la maison de Bourbon. De ce fait, il leur était loisible de prendre, comme titre d’incognito, d’attente ou de courtoisie (mais non d’apanage) ce titre, comme d’ailleurs n’importe quel autre : le chef de maison est maître potentiel de toutes les parties du royaume.

Cet usage a d’ailleurs été consacré par les tribunaux de la République –régime de fait, mais qui détient le pouvoir effectif–lors du « procès du millénaire » intenté par Henri d’Orléans, depuis connu sous la titulature orléaniste de « comte de Paris », contre la branche aînée. À cette occasion le Tribunal de Grande Instance de Paris, en  1988 , puis la Cour d’Appel de Paris, en 1989, ont reconnu que les princes aînés étaient en droit, en vertu d’un usage bien attesté, de porter le titre de duc d’Anjou est les pleines armes de France.  Mgr Sixte de Bourbon-Parme était d’ailleurs partie à cette décision puisque, s’étant imprudemment joint au comte de Paris, il a partagé un débouté avec celui-ci.

Le communiqué du Secrétariat de Mgr Sixte-Henri fait ensuite état d’une «  branche usurpatrice vassale de l’Angleterre qui a usurpé le pouvoir contre les lois fondamentales du royaume espagnol. » Avec ce passage, l’on franchit les Pyrénées et l’on revient aux controverses espagnoles. Le texte vise probablement la suppression de la loi salique en Espagne, qui a entraîné les guerres carlistes. Bienheureuse Espagne si elle avait connu des « lois fondamentales » invariables ! L’Angleterre – mais aussi la France de Louis-Philippe–a sans doute approuvé que, à la faveur de ce changement des règles de dévolution,  la branche aînée des Bourbons d’Espagne, présumée absolutiste, fût écartée du trône ibérique au profit de la branche cadette, présumée libérale. S’il est vrai que les partisans de la cause carliste ont prétendu s’opposer à cette modification au nom de la tradition espagnole, cela ne change rien à l’aspect dynastique français. Est-il dès lors nécessaire de rouvrir les plaies de l’Espagne et de rappeler les exactions de guerre ? C’est aussi oublier qu’une réconciliation est intervenue entre l’avant-dernier prince carliste, Jacques de Bourbon, et son cousin Alphonse XIII, roi détrôné d’Espagne, le premier étant conscient du fait que l’extinction prochaine de sa branche sans descendant mâle ferait inéluctablement du second l’aîné des Bourbons, et donc le roi de France de droit. Le fait que le vieil oncle et éphémère successeur de Jacques, Alphonse-Charles, ait créé une régence du carlisme espagnol et l’ait confiée à un prince de Bourbon-Parme, ne pouvait influencer d’aucune manière la transmission dynastique française.

Il est également inutilement inélégant, de la part du Secrétariat de Mgr Sixte-Henri, d’affirmer que le grand-père du «  personnage  » susvisé a « été obligé de renoncer à ses propres titres et prédicats pour lui-même et tous ses descendants. » Le docteur en droit Sixte de Bourbon-Parme savait ce que vaut l’aune des renonciations diverses. Au surplus le titre d’aîné, avec ses conséquences – à commencer par le droit à la couronne de France – n’est pas susceptible de renonciation, et tous les descendants de Philippe V d’Espagne doivent défendre ce principe s’ils ne veulent pas « scier la branche sur laquelle ils sont tous assis. »

L’auteur de ces lignes connaît bien certains familiers de Mgr Sixte-Henri, et a même rencontré ce  Prince dans le passé. Il regrette d’avoir dû, pour suivre  la trace des légistes qui, depuis des siècles, défendent la couronne, faire porter sa critique sur un texte émané du Secrétariat d’un prince des fleurs de lys un moment égaré. Néanmoins le Groupement qu’il préside, composé d’universitaires des Facultés de Droit désireux de faire connaître et apprécier les sages lois fondamentales qui ont assuré la pérennité de la royauté française, est décidé à maintenir sa vigilance pour empêcher que des interprétations faussées ou des querelles personnelles tentent d’affaiblir le respect dû par tous à la maison de Bourbon et à son chef, héritier des quarante rois qui en mille ans firent la France.

Pour le groupement,

Franck Bouscau
Professeur des Facultés de Droit, Université Rennes I

 

[1] Ou plus exactement « comte de l’Isle » (Jourdain) en Armagnac ; la déformation « comte de Lille » est due à  Napoléon.

Le Groupement universitaire pour l’étude des institutions publiques de la Monarchie française est une association apolitique qui regroupe, autour de l’objet défini par son intitulé, et dans une perspective scientifique, des universitaires, Professeurs et Maîtres de Conférences des Facultés de Droit, ainsi que des juristes et  étudiants en Droit et des personnes intéressées par l’histoire des Institutions

Adresse : 12, rue Coypel – 75013- Paris

Ndlr : vous pouvez aussi retrouver sur ce lien l’article de Franz de Burgos publié le mercredi 23 septembre 2015 suite au communiqué du prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme : Sixte-Henri de Bourbon-Parme : Un bien triste sire…

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