Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Créer un monde du travail
Comme cela a pu être vu dans de précédents articles, d’une part la question de l’enracinement territorial et de l’organisation de l’économie sont liés, mais d’autre part, le fonctionnement actuel des métiers place les travailleurs dans une situation d’isolement, où ils sont avant tout un employé face à son employeur, ou un employeur face à son employé, la communauté de travail étant réduite à son minimum, faute d’une institution englobante propre au métier et qui en réunirait les différentes composantes dans une même association protectrice. La suspicion, les cloisonnements sectoriels et hiérarchiques, la vieille lutte des classes demeurent très répandus, et la faible représentativité des syndicats, spécialement en France, n’est pas faite pour apaiser ce phénomène.
L’objectif le plus raisonnable semble être de recréer une communauté de travail pour enraciner les hommes dans l’esprit et le cadre de leur métier, mais aussi pour créer un univers protecteur où la règle est la recherche du bien commun de l’entreprise dans le consensus. En effet, puisque c’est cette communauté qui fut détruite par le passé, avec les conséquences désastreuses que nous avons vu pour la vie des travailleurs, il est sage de chercher à la recréer.
Premièrement, donc, pour qu’il y ait vraiment un esprit communautaire, il convient de promouvoir des syndicats par entreprises ou par branches professionnelles, regroupant employeurs et employés dans une même structure. L’objectif de ces syndicats doit être de défendre les intérêts de tous les membres de l’entreprise, donc de trouver des voies de progression qui ne portent pas préjudice aux uns pour avantager les autres, et surtout demeurent respectueuses de l’entreprise qui est la maison de travail commune de tous ces hommes. Il s’agit de trouver des voies de consensus, non pas par la seule négociation, mais par l’habitude de partager la même structure représentative.
Pour intéresser les membres de l’entreprise à l’adhésion syndicale, une solution responsable est d’en accroître les pouvoirs, en lui confiant le bien commun des travailleurs, donc la gestion des avantages sociaux propres à l’entreprise, mais aussi des salaires, y compris le salaire minimum, décidé par convention collective. Enfin, il lui reviendrait l’organisation des relations avec des caisses de mutuelles prenant en charge l’assurance maladie, l’assurance accident du travail et maladie professionnelle, l’assurance chômage et les retraites, les allocations familiales demeurant à l’État car l’accueil de l’enfant ne concerne pas que le monde professionnel mais toute la nation, et l’universalité du coût d’un enfant nécessite une universalité d’assurance sociale qui serait forcément variable si répartie par entreprises.
En somme, la centrale syndicale de l’entreprise serait chargée de trouver la mutuelle, ou de créer elle-même la mutuelle s’occupant de la gestion des assurances sociales en lieu et place de l’actuelle sécurité sociale. Cette décentralisation au niveau entrepreneurial est plus respectueuse du principe de subsidiarité, et donc des libertés fondamentales des citoyens, en considérant qu’ils sont les mieux à même de savoir quel est le taux le plus supportable de prélèvements sociaux ou le taux le plus adéquat de remboursements ou de protection sociale, en fonction de leurs salaires et de la santé de leur entreprise ou secteur d’activité, ce qui nécessite de déléguer à la centrale syndicale de l’entreprise, par le biais du vote des travailleurs, cette charge.
Ce renforcement considérable de la démocratie dans le monde du travail rendrait nécessaire, pour les travailleurs, de se syndiquer. Mécaniquement, en généralisant l’adhésion syndicale, en plaçant les syndicats face à l’immense responsabilité de gérer les assurances sociales de leurs adhérents, en obligeant employés, cadres et employeurs à vivre autour de la même table, on supprimerait d’un coup l’esprit malsain de la lutte des classes et on accroîtrait considérablement le sentiment d’appartenance des travailleurs à une communauté stable de travail. En outre, en amenant à leur niveau la gestion des assurances sociales on rend ce coût considérable beaucoup plus souple et adaptable aux aléas de la conjoncture, tout en invitant les travailleurs à prendre leurs responsabilités.
Evidemment, de nombreuses questions pratiques se posent. La première est celle de la responsabilité. Il est évident qu’un tel système, pour fonctionner, doit être responsable, c’est-à-dire que les règles de sincérité du vote par le bulletin secret, ou d’égalité des débats dans les réunions syndicales, doivent s’appliquer sans pressions mafieuses de certains groupes professionnels. En outre, les dirigeants syndicaux doivent être pénalement responsables de leurs caisses, et considérant l’enjeu de cette gestion pour la vie normale des hommes, le régime des peines prévues doit être considérablement renforcé. La responsabilité doit également s’étendre aux mutuelles d’assurances.
La deuxième question pratique est celle de l’harmonisation nationale de ce qui deviendrait un méandre de statuts. Toujours selon le principe de subsidiarité, si les entreprises séparément sont les mieux à même, avec leurs travailleurs, de faire vivre leurs caisses, la communauté nationale dans son aspect laborieux, ne peut être maîtrisée que par un acteur national, c’est-à-dire l’État. En somme ce serait à l’État et lui seul, pas à des syndicats, pour des raisons évidentes d’ampleur de vue et d’indépendance des décisions, de fixer les fourchettes de taux de rémunération du capital que les mutuelles seraient habilitées à pratiquer, de même que le genre d’investissements qu’elles pourraient faire ou non, afin de limiter les risques de banqueroutes avec l’argent des travailleurs. Ce serait à lui, également, de veiller à la prise en charge des risques sociaux dans leur totalité, notamment les maladies longues ou rares. Ce serait encore à l’État d’harmoniser les conduites de ces mutuelles, sans pour autant détruire leur autonomie, gage de la liberté de choix des centrales syndicales entre plusieurs mutuelles. Ce serait à l’État, enfin et surtout, d’instituer les corps d’inspection nécessaires pour veiller au bon fonctionnement de cette structure, et de mettre en place l’administration commune chargée des transferts de comptes et de dossiers pour les travailleurs changeant de métier ou d’entreprise, ou bien quittant définitivement l’emploi.
La question qui se pose, ici, est celle des personnes n’ayant jamais travaillé et ne bénéficiant donc, dans ce système, d’aucune protection sociale. Puisqu’elles sont hors du monde du travail, on peut les considérer comme sous la protection de l’État et non des syndicats, dans le domaine des assurances sociales. Ce serait donc à lui de prévoir les secours minimaux dont elles bénéficieraient, financés soit par l’impôt, soit par un prélèvement symbolique effectué sur toutes les caisses de mutuelles privées.
On le voit, ce système, outre qu’il responsabiliserait les acteurs professionnels, accroîtrait également considérablement leur enracinement dans une communauté de travail, cherchant le bien commun de l’entreprise au nom des hommes qui y œuvrent.
A suivre…
Gabriel Privat
Du même auteur :
– Publié le jeudi 17 septembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. La Famille
– Publié le vendredi 16 octobre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. L’enracinement territorial
– Publié le 18 novembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Le lien professionnel
– Publié le 28 décembre 2015 : Anthropologie politique. Une-société anti humaine. Promouvoir une famille humaine
– Publié le 27 janvier 2016 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Promouvoir un enracinement territorial.