Tribunes

L’homme de droite, le girondin de la république

Ces dernières semaines, l’opposition au mariage homosexuel agite le microcosme médiatique. Les journalistes de gauche (j’aurais pu écrire « journalistes » tout court, tant l’expression tend au pléonasme) se fascinent pour ce mouvement archaïque de provinciaux consanguins qui osent encore parler de famille traditionnelle, avec un papa, une maman, et des enfants. L’existence de cette espèce autochtone des plaines de France était inconnue, même des bobos les plus voyageurs des beaux quartiers de Paris, qui ont pourtant fait Bornéo, le désert du Kalahari et l’île de Pâques.

La droite républicaine, de l’UMP au FN, a défilé en tête de cortège, et les dirigeants, peut-être en échange d’avoir profité d’une manifestation qu’ils n’ont pas organisé directement, représentent fièrement les manifestants sur les plateaux de télévision. La droite s’oppose au mariage homosexuel.

Le mariage homosexuel, sujet « sociétal » (curieuse terminologie censée, paraît-il, nous éviter de manquer la Messe un dimanche matin pour cause de référendum, merci au gouvernement), fait suite à un certain nombre d’avancées de la société sur les chemins qui seront merveilleux de l’égalité et de l’amour universel, chemin qui sera d’ailleurs bientôt ceint d’un arc-en-ciel.

Rappelons-nous 1974. La loi Veil légalisant l’avortement fut présentée comme une solution de dernier recours pour donner une solution simple, légale et sécurisée pour la santé des femmes qui recouraient à l’avortement à l’étranger. La gauche bataillait pour obtenir ce nouveau droit, la droite était contre. Le texte a été adopté, et aujourd’hui, 39 ans plus tard, 200  000 avortements sont pratiqués en France chaque année, et tout le monde est favorable à l’IVG*1. La droite s’est rangée à ce nouveau « droit », la gauche peut être fière que « l’histoire lui ait donnée raison »

Rappelons-nous 1999. La Pacte civil de solidarité, mariage « light » permettant à des couples homos ou hétéros de s’engager mais pas trop, était adopté. Soutenu par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, la France était encore une fois divisée entre les promoteurs de gauche et les détracteurs de droite. Promotion qui, d’ailleurs, se vantait d’éviter le mariage et l’adoption homosexuels (dixit Élisabeth Guigou) et qui remportait la victoire. Aujourd’hui, la gauche est fière d’avoir eu raison et la droite est dans ses petits souliers. Cette expérience a d’ailleurs émaillé d’hésitations le comportement des personnalités politiques de droite au moment de parler de la marche suivante, le mariage homosexuel.

Aujourd’hui, 2013, le gouvernement de gauche souhaite faire adopter une loi ouvrant le droit aux homosexuels de se marier et d’adopter des enfants. La gauche est pour. La droite est contre.

Il semble évident qu’au vu du coût politique que le retrait du projet induirait, le pouvoir de gauche ne suivra pas la décision sage de François Mitterrand en 1984. La loi passera et, dans quelques décennies en calendrier médiatique (ce qui correspond à quelques mois en calendrier solaire), la droite aura encore une fois honte de sa position archaïque et tout le monde sera d’accord.

Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, fait une remarque très juste en fustigeant la droite française, « toujours en retard ».

Car aux trois exemples actuels et passés que j’ai cités, on peut ajouter tous les symboles du chemin de l’égalité et de l’amour universel, avec des papillons qui chevauchent des poneys sur la plage. La laïcité en 1905, la libération sexuelle de 1968, etc.*2

Ces « avancées » sont inhérentes à la république, car elles se situent dans l’inertie de la révolution. C’est dans l’ordre des choses révolutionnaires que de détruire les repères naturels et essentiels de la Chrétienté que sont le mariage, la famille, la place de l’Église dans la société, la défense de la vie de la conception à la mort naturelle. La violence de ces mesures oblige la révolution à prendre ses précautions pour mener à bien ces menées subversives.

Tout d’abord, y aller par étapes. Les sacro-saintes « valeurs républicaines » sont fonction des envies gouvernementales du moment et ne sont pas du tout comparables d’une génération à l’autre. Il aurait été impossible de légaliser l’avortement en 1789, ou le mariage homosexuel en 1999 (Élisabeth Guigou l’a d’ailleurs très bien compris).

Et puis créer une illusion d’opposition. Ce sont les girondins. Cette droite qui a commencé par faire preuve de mesure quant au sort à réserver à Louis XVI, a été systématiquement bernée par le système révolutionnaire. Quand Lénine disait « deux pas en avant, un pas en arrière », il faisait état de la méthode aujourd’hui largement bicentenaire de la république. La gauche révolutionnaire tire la corde, lâche parfois un peu de lest à la droite qui essaie de freiner, mais va toujours dans le même sens.

D’où la ringardise absolue du conservatisme. L’homme de droite est à la fois modéré dans la révolution et répugne à sortir du mécanisme révolutionnaire (auquel cas il n’aurait pas le droit de cité décerné par la gauche régnante). Il supplie l’homme de gauche pour exister et ne pas être exécuté par les nouvelles colonnes infernales que sont les campagnes médiatiques, obtient cette existence du fait de son apparence prudente et de l’illusion de pluralisme qu’il produit et se fait toujours avoir par une gauche, qui commence à le regarder s’opposer aux avancées de la société en freinant des quatre fers avant de se rallier aux nouvelles « valeurs de la république », auxquelles il adhérera, en conservateur à boutons de manchettes.

Cette position incohérente et ridicule est intrinsèque à la droite depuis le début de son existence. Elle sert à représenter le bon sens populaire pour faire passer la révolution en douceur. La gauche s’en sort vivifiée, portée bien souvent par une jeunesse qui a bien raison d’en avoir soupé des conservateurs poussiéreux, sans idéal, sans but, juste conservateurs.

Julien Ferréol

 

*1: Notons l’importance de la Novlangue dans ces mesures. « Interruption Volontaire de Grossesse » choque moins qu’avortement, « Mariage pour tous » coule mieux que mariage et adoption homosexuelles, « Procréation Médicalement Assistée » fait plus cosy que fécondation in vitro, etc. Doit-on considérer les expressions récentes de « Gestation Pour Autrui » et d  « Accélération de la Survenue de la Mort » comme présage médiatique à une « dépénalisation » des mères porteuses et de l’euthanasie ?

*2: On soustrait le droit de vote des femmes, car si cette loi a été adoptée si tard (1944), c’est par la grâce de la gauche qui craignait le vote féminin, bien plus catholique et royaliste que le vote du chef de famille. Clémenceau parlait ainsi du droit de vote des femmes comme d’un « retour au Moyen Âge ».

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