Editoriaux

Des livres !

Qui n’a pas en mémoire quelques ouvrages dont l’argumentation sans faille emporte l’adhésion. Je pense, pour ma part, au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau, ou encore, au Manifeste du parti communiste de Karl Marx. D’autres, que je n’ai pas encore lus, comme Mein Kampf, Le Petit Livre rouge, de ces livres qui ont contribué à la mise en mouvement d’importantes masses humaines, et dont à présent nous connaissons toutes les évolutions et tous les « bienfaits » qu’ils ont apportés à l’humanité.

Il y a, c’est sûr, d’autres petits livres de couleur, d’autres manifestes, et là, mon incurie est grande de toute évidence. Toutefois, n’a-t-on pas, il y a peu, entendu parler d’un petit livre vert ? Qui sait, peut-être arrive-t-il parfois que des livres de couleur soient générateurs de bien, pour les peuples concernés ? Eh bien non ! Le Livre vert de Muʿammar Abū Minyar ʿAbd al-Salām al-Qaḏḏāfī n’a pas non plus porté bonheur, ni à son auteur, ni au peuple de Libye. Grâce à la volonté sans faille de ce grand philosophe et humaniste, que nous connaissons, le chef d’État libyen est apparu enfin sur les écrans, le visage sanguinolent. Et depuis lors, le pays tout entier n’en finit pas d’être ensanglanté.

Conviendrait-il alors de modérer les pulsions humanitaires des philosophes du Tout-Paris, de les éloigner de la capitale ? Paris serait-il Paris s’il était éclairé en effet par des milliers de lampadaires, mais sans les lumières des philosophes, ceux du siècle, mais aussi, les nouveaux ? Non, bien sûr que non ! Et cela ne saurait remettre en cause les livres, les livres de couleur, les livres des philosophes, ni encore moins la clairvoyance relative d’un philosophe contemporain, à l’allure ô combien chevaleresque, chemise blanche et cheveux dans le vent.

Et surtout, il ne faudrait jamais, comme Joseph Goebbels, brûler des livres. La chose serait ingérable, chacun voulant brûler les livres de son choix. Les émissions de CO2 ne feraient qu’agrandir le trou dans la couche d’ozone, et augmentation de la température sur terre, et réduction de la superficie de la France par la montée du niveau des océans, et arrivée massive de « réfugiés climatiques », etc.

Je n’ose imaginer ces belles dames du gouvernement, allant de feu en feu à travers la capitale, avec leur élégante jupe serrée, leur tee-shirt « Je suis Charlie », et leur petit arrosoir d’appartement. Armées de cette volonté férocement républicaine de faire cesser les atteintes à la liberté d’expression et d’impression ; en évitant d’abord les feux de livres de droite, elles attiseraient les minuscules flammèches des quelques ouvrages de Léon Bloy et de Charles Maurras et demanderaient à monsieur le ministre de l’Intérieur d’envoyer les Canadairs pour éteindre les importants foyers des bons livres de gauche. Non vraiment, je n’ose l’imaginer. Sans compter que l’état d’urgence au long cours risquerait d’envoyer au cachot, ou même aux oubliettes de la république, du simple livreur de pizza jusqu’au général quatre étoiles passant par là ; embarquant même peut-être involontairement, quelques-uns de ces nombreux indigents, venant des quatre coins du monde, que nous accueillons chaleureusement sur notre vieille terre de France.

Certes non, il ne faut pas brûler les livres, les livres « livresques », notamment ceux directement issus de la brillance de l’esprit de l’homme, et qui ont occasionné barbarie et génocides.

Cependant, de temps en temps, il arrive peut-être qu’un éditeur ne soit pas atteint par le syndrome de la pensée unique que nous savons. Qu’il s’intéresse à des ouvrages écrits par des cerveaux moins exceptionnels, des livres donc, rédigés par des hommes « plus simples, plus empiriques », qui seraient à la fois « la tête et les jambes », selon l’expression familière.

Nous en avons quand même des exemples, à l’image de Pierre Rabhi, cet homme venu d’Afrique du Nord, converti au catholicisme dont il dit s’être éloigné. Nul ne peut contester, qu’arrivé sur la terre de France, avec rien d’autre que ses bras, il y ait acheté, à la sueur de son front, une ferme et des terres rocailleuses dont, manifestement plus grand monde ne voulait. Notons aussi qu’il y a élevé une famille, qu’il a écrit quelques livres, qu’il remplit quantité de salles de conférences, et que nombre de gens, grands ou petits, se recommandent de lui. Chose plus importante à mes yeux, l’homme ne peut cacher son allégresse, quand il dit assez régulièrement semble-t-il : « Je suis milliardaire. De chez moi, je vois dix-sept clochers. »

Un homme remarquable, peut-être, singulier sûrement.

Mais comme souvent, il y a toujours des petits pour essayer de rabaisser les grands. Et notre ami Pierre, grand ami de la terre et de la terre de France, d’être « dans le collimateur » de Bruxelles. C’est qu’il y en a là-bas, des gens bien, tous diplômés de toutes les meilleures écoles de tous les pays de la toute puissante machine à sécréter des crétins ; tous super autosuffisants, tant ils ont réussi à mettre en orbite leur machine, à des années-lumière de la terre. De la terre, des poules, des lapins, des cochons, des vaches, des carottes et des pommes de terre. Et leur appareil de pointer du doigt du moindre traumatisme jusqu’au génocide dont serait victime l’espèce humaine en tout lieu, mais également toutes les atteintes à la faune et la flore.

Et là, le bât blesse, c’est le moins qu’on puisse dire. Pierre est mis en cause dans une affaire de génocide de pieds de tomates biologiques, généralement des pieds uniques de balcon. Ça dure depuis plusieurs années et c’est inqualifiable de cruauté. Les pieds sont retrouvés desséchés au retour des vacances, morts dans d’atroces souffrances. Les gens, mentalement embrigadés par les livres et les conférences du prédicateur, ne sauraient être tenus pour responsables. L’homme est, disons-le, potentiellement condamné.

Laissons-là notre ami qui, je l’espère, ne sera pas fâché de cette plaisanterie.

N’est-ce pas également cela ce qui fait la grandeur de la France ; de faire dire à des gens comme Pierre Rabhi, Alain Finkielkraut ou Éric Zemmour, qui ne sont pas vraiment des Francs ou des Gaulois, de leur faire dire ce que nous ne serions pas en mesure de dire, ou qui ne serait pas entendu avec autant d’échos, si Rabhi s’appelait Ducrocq et produisait du blé en Beauce, et si les deux autres écrivains s’appelaient d’Ormesson et de Rochechouart, par exemple.

Comme si de nos abandons et de nos errements, nous n’étions pas à même d’en disserter nous-mêmes. Comme s’il fallait une sorte de tierce personne pour tourner le couteau dans la plaie, afin que nous ne puissions être suspectés, soit de révisionnisme, soit d’autoflagellation, ou encore d’excès d’enthousiasme.

Oui, il y a bien quelque chose de cassé dans ce pays. Quelque chose dans notre rapport à son passé, à ses racines, à la nature réelle des choses, mais aussi à la hiérarchie sociale et à l’autorité.

Quand le pouvoir est entre les mains de personnes sans talent, quand il est en permanence changeant, la raison voudrait que ces gens fassent fi de leur suffisance, qu’ils regardent assurément vers l’avenir, mais en prenant toujours en compte les leçons du passé.

Il n’en est rien. Les imbéciles et leur optimisme, si chers à Bernanos, restent là plantés, toujours à épier un hypothétique sursaut de la croissance, et cela nous le voyons chaque jour un peu plus depuis bien des années.

Je ne parle même pas de toutes les pitreries qui nous ont été servies dernièrement, restes de libertarisme cuisinés à la sauce populaire, et qui lui en font perdre tout son charme. Réformes qui mettent à mal les fondamentaux de notre culture. Grandes fumigations collectives et médiatiques antianxiogènes, à propos de ces libertés virtuelles qu’ils mettent au plus haut, et qui autorisent leurs défenseurs à repartir aussitôt dans la ville, anesthésiés, en attendant une nouvelle rafale ou un viol collectif.

Tout cela ayant eu quand même l’avantage de réveiller ce qu’il reste de français, et de leur faire prendre conscience du délabrement dans lequel nous nous trouvons.

Des livres donc, car le premier lieu du livre reste l’école. Si l’école de la république a eu ses belles heures et compte encore de bons maîtres, elle a toujours instruit à charge l’Ancien Régime et le christianisme, tous deux intimement liés. Si le Moyen Âge a été depuis peu réhabilité, notamment par le travail de Jacques Le Goff, longtemps, des caricatures grossières ont été enseignées et des pans entiers de notre histoire sont encore aujourd’hui laissés de côté. Il faut aussi reconnaître que la base du corps enseignant, depuis les quarante dernières années, est constituée d’individus, pour qui le commencement de l’histoire de France doit se situer à mi-chemin entre les congés payés du Front populaire et la commercialisation des premiers camping-cars. C’est qu’ils furent nombreux ces énergumènes, qu’ils le sont encore, et qu’ils ont été terriblement dévastateurs auprès des jeunes Français. Toujours prompts à mettre sur un piédestal, les Mandela, Martin Luther King, Gandhi et autre Dalaï-lama. Pourquoi pas ! Mais n’y aurait-il rien d’honorable à mettre en avant chez nous, en France et en Europe ? Le chant grégorien ne vaudrait-il pas les incantations des moines tibétains ?

Encore une fois, non, l’on ne saurait se passer des livres quels qu’ils soient, et bien plus en France qu’ailleurs. La France, pays des droits de l’homme, mais bien avant cela, qualifiée de « mère des arts, des armes et des lois ».

Et pour n’en garder qu’un, nous prendrons celui qui, pour nous Français et chrétiens, restera le premier et le dernier livre, comme le premier et le dernier grain. Celui sans lequel il n’y aurait pas eu de baptême de Clovis, et pas non plus ces multiples églises et chapelles au clocher s’élevant vers le ciel.

En deux mots donc, la Bible.

Jean de Baulhoo

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