Editoriaux

Que reste-t-il de la politique étrangère de la France ?

S’il y a bien un domaine régalien, c’est-à-dire ne relevant que du souverain, c’est celui de la diplomatie, dont les règles n’appartiennent pas au jeu démocratique et dont l’intérêt recouvre pourtant la vie même de toute la nation. En somme, seul le prince, en l’occurrence le Président de la République, peut assumer la politique étrangère du pays.

Malgré les alternances politiques, la France s’est caractérisée, dans le siècle écoulé, par une grande continuité de cette diplomatie ; privilégiant la souveraineté nationale, ou le non-alignement sur les blocs majeurs de puissance et suivant une voie spécifique, appuyée d’abord sur l’empire, puis sur son héritage. Dans le monde arabe, nous étions étonnement les alliés d’Israël, de la Syrie et du Liban. En Afrique nous soutenions des dictateurs comme Omar Bongo et défendions le droit des minorités. Dans la guerre froide, nous étions fidèles aux Etats-Unis mais visitions les Russes. Dans l’Union européenne, nous étions d’actifs moteurs de la construction politique, tout en restant indéfectiblement alliés du Royaume-Uni, partisan, lui, d’un simple espace de libre-échange.

Au risque de surprendre le monde entier, notre France suivait sa route de grande puissance, ancienne puissance impériale, selon ses intérêts. Bien sûr, il lui arrivait parfois de devoir les mettre dans sa poche, mais pour l’ensemble, elle faisait primer ce qu’elle jugeait bon par elle-même, et non ce que lui dictaient d’autres puissances tutélaires…

Les choses semblent avoir changé, progressivement, depuis un quart de siècle et la fin de la guerre froide. Peu à peu, notre politique étrangère est devenue brouillonne, mêlant ses intérêts à ceux d’autres puissances, soit dominantes, comme les Etats-Unis, soit de sa clientèle comme les émirats du Golfe. Une forme d’incohérence en est sortie, avec des interrogations majeures sur notre action dans le monde.

– Nous n’avons jamais autant parlé de développement dans les pays pauvres du monde, mais nous vidons ce monde pauvre de ses jeunes cadres, immigrant chez nous par millions. Pendant ce temps nous nous payons de mots, nous repentons du passé colonial qui nous a pourtant liés à ces peuples et oublions que jadis, nos administrateurs construisirent en Afrique et au Proche-Orient des écoles, des ports, des voies de chemin de fer, des hôpitaux, des routes. N’est-il pas temps de rebâtir là-bas, et de toute urgence, pour aider au développement et couper à la source la déferlante migratoire ?

– Mais justement, en Afrique, et plus encore au Proche-Orient, où nous avons un rôle à jouer, les frontières ont été découpées, à l’époque coloniale, à la règle, sans tenir compte des ethnies ou des confessions religieuses, engendrant nombre de conflits actuels. Ne serait-il pas temps de revoir cette intangibilité des frontières, avec les dirigeants locaux et les peuples ? Pourquoi retarder ce qui  arrivera tôt ou tard par la force, alors que nous pouvons le faire dans la paix ?

– Depuis vingt-cinq ans nous nous sommes progressivement alignés sur la diplomatie américaine, qui correspond à ses intérêts, non obligatoirement aux nôtres. Nous avons rejoint le commandement intégré de l’OTAN. Nous participons aux mêmes opérations qu’eux dans le monde musulman. Ils ont liquidé Saddam Hussein. Nous avons liquidé Kadhafi. Nous ne parlons plus que de réserver le même sort à Bachar el Assad. Mais qui profitera du désordre né de ces mutations politiques ?

– De nouvelles forces se lèvent en Orient, hostiles à l’Occident, nous y avons pris notre part, hélas, et maintenant que déferlent des centaines de milliers de réfugiés fuyant les combats, notre diplomatie ne nous dit pas qui paie à ces milliers de pauvres un voyage extrêmement coûteux, ni qui leur fournit ces embarcations parfois flambant neuves. Pourquoi ce silence, à l’heure où nous devons connaître le vrai pour agir au mieux dans l’intérêt des réfugiés, des pays en guerre et de la France ?

– Face à cette catastrophe humaine en cours, l’Europe est incapable de présenter un front uni. C’est le sauve qui peut des égoïsmes particuliers et on se demande si, face à un mal commun, il n’est pas temps d’engager une réponse politique commune forte, incluant toutes les puissances du continent, y compris la Russie ?

– Cette Russie a été mise au ban de l’Europe durant la guerre froide par sa propre faute. Mais la fin du communisme n’a que faiblement atténué cet ostracisme. La Russie est pourtant un pays européen, plaque centrale de l’Eurasie, grand producteur d’énergies fossiles, puissance militaire incontournable du monde occidental, vaste territoire en mutation et espace d’investissements. N’est-il pas temps de cesser cette mise à l’écart et de chercher à faire coïncider nos intérêts, alors qu’il est évident qu’en Europe même et au Proche-Orient, nous avons besoin des Russes ?

Toutes ces questions, nous pourrions les poser au ministre des affaires étrangères et au Président de la République, en en ajoutant une, sous forme accusatoire : Messieurs, qu’êtes-vous en train de faire de la souveraineté de la France et de l’indépendance de l’Europe ?

Charles

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