Histoire

Il y a cent ans, Nicolas II remportait la bataille de la Marne

Du 6 au 12 septembre 1914, Nicolas II remportait la bataille de la Marne

En 1918, revenant sur la bataille de la Marne, le maréchal Joffre aurait lucidement déclaré : « cette bataille, je ne sais pas qui l’a gagnée mais je sais très bien qui l’aurait perdue ». » La première partie de la phrase constitue, au mieux, une erreur, au pire un mensonge. L’ancien général en chef des forces armées françaises du nord et de l’est ne pouvait ignorer que notre pays devait la victoire de la Marne, sinon bien sûr exclusivement, mais quand même essentiellement, au tsar Nicolas II. La plupart des histoires de la guerre de 1914 passent cette réalité sous silence, de même que la plupart des histoires de la IIIe république oublient de mentionner la demande d’asile, pour lui-même et, à défaut, pour sa famille, que l’empereur de Russie, persuadé de leur prochain assassinat, demanda à la France en 1917.

Dans la longue série des évènements que l’histoire républicaine officielle a cachés sous le tapis de nos turpitudes, voici deux exemples particulièrement frappants que le centenaire de la première guerre mondiale nous incite à mettre enfin en lumière.

L’entrée en guerre, dans les premiers jours d’août 1914 révéla très vite l’incroyable impréparation de l’armée française. Voilà un tiers de siècle qu’elle prétendait à la revanche et, le moment venu, elle s’avérait hors d’état de faire face à un ennemi qui, contrairement à une idée reçue, n’était pas supérieur en nombre : la France alignait au combat 1 900 000 hommes, contre 1 800 000 dans le camp allemand. Contrairement à une autre idée reçue, les théâtres d’opérations étaient a priori beaucoup plus favorables à la France qui, disposant d’un puissant réseau de forteresses, dont l’Allemagne était démunie, obligeait celle-ci à porter son offensive en Belgique et à se heurter à une armée, certes modeste – 120 000 hommes tout de même – mais très combative et bien organisée sous l’autorité d’un vrai chef, le roi Albert Ier.

C’est justement cette organisation qui manquait à la nôtre : de ridicules pantalons rouges, l’absence de casques, un bardas du combattant beaucoup trop lourd en raison d’une intendance famélique, une foi stupide dans l’assaut à la baïonnette, une artillerie déficiente et des fusils obsolètes, des chefs prétentieux et incapables, aussi bien coupés de leurs hommes que des réalités de la guerre moderne. Ils croyaient refaire celle de 1870, d’où plus tard cette réputation qui collerait à la république française : toujours en retard d’une guerre.

En août 1914, sur le plan stratégique, l’armée française en était à son dix-septième plan des opérations, contesté par de nombreux officiers généraux, dont le général Charles Lanrezac, commandant de la cinquième armée et répétant : « attaquons … comme la lune ! » Quand, de son côté l’Allemagne appliquait rigoureusement le plan Schlieffen, arrêté depuis 1897 et peu modifié depuis lors. Celui-ci prévoyait d’écraser la défense française en six semaines puis de se retourner contre la Russie. L’Allemagne redoutait en effet par dessus tout d’avoir à combattre simultanément sur deux fronts. Mais elle tablait sur une très lente mobilisation russe qui lui permettrait d’éviter cet écueil.

Aussi bien, malgré la remarquable résistance de la Belgique, il apparut vite évident que les forces françaises n’étaient pas de taille à se mesurer à leur adversaire. «  Les conceptions tant stratégiques que tactiques du haut commandement, a écrit l’historien Jacques Chastenet, pourtant très indulgent envers la république, étaient radicalement fausses. »

Le gouvernement français, alors saisi de panique, demanda au président de la république, Raymond Poincaré, d’intervenir auprès du tsar afin de le supplier de déclencher sans plus attendre les hostilités en Prusse orientale.  Nicolas II était un homme d’honneur, c’est-à-dire un homme de cœur et de parole. Bien que n’ignorant rien des insuffisances techniques de son armée, il fit lancer l’offensive à l’Est dès le 15 août. Offensive malheureuse, qui se brisa, deux jours plus tard devant Königsberg, sur la seule armée allemande en charge de la frontière orientale.  

L’état-major allemand réalisa cependant que ce coup d’arrêt risquait de n’être que momentané, les Russes continuant d’envoyer des renforts qui finiraient par submerger de leur nombre les lignes de défense de la Prusse. Le 23 août, les troupes russes, réparties en deux armées, comptaient en effet 800 000 combattants, contre moins de 200 000 soldats allemands. De surcroît, c’était la partie la plus noble de l’empire allemand qui se trouvait ainsi menacée, la terre historique des chevaliers teutoniques. C’est pourquoi, ne pouvant admettre une telle éventualité, le généralissime allemand, Helmuth von Moltke, défera à l’ordre du kaiser de renforcer d’urgence le front de l’Est. Pour cela, il lui fallait renoncer partiellement au plan Schlieffen en dégarnissant le front Ouest. Déjà, 150 000 hommes avaient été distraits de la campagne de France pour assiéger le camp retranché de l’armée belge à Anvers. Maintenant, on prélevait encore deux corps d’armée, soit 80 000 hommes, que l’on transportait à toute allure en train à travers l’Allemagne. Ne pouvant en embarquer davantage, Moltke choisit de compenser l’insuffisance numérique en recourant à des régiments d’élite. Sous les ordres des généraux Hindenburg et Ludendorff ceux-ci infligèrent, le 30 août à Tannenberg, une défaite spectaculaire à l’armée russe. La Prusse orientale était sauvée … la France aussi.

Car c’est évidemment l’absence de ces deux corps d’armée allemands qui permit le succès la contre-attaque française sur la Marne. Sans cela, le siège aurait été mis devant Paris dès le 6 septembre. La suite appartient évidemment aux hypothèses et on ne réécrit pas l’Histoire. Mais il est hautement probable  que sans le sacrifice, tout à fait conscient, que Nicolas II fit de ses soldats, venant s’ajouter à la résistance d’Albert Ier, la guerre de 1914 se serait, pour la France, achevée dès le mois de septembre ou d’octobre de la même année. La république devait son salut à deux monarchies.

Le gouvernement français, alors en fuite vers Bordeaux, n’adressa pas le moindre message de gratitude au tsar, non plus qu’au roi des Belges. Joffre et Gallieni, gouverneur militaire de Paris, s’attribuèrent la totalité du mérite d’avoir stoppé l’offensive allemande.

Trois ans plus tard, Nicolas II, n’ayant obtenu ni des soviets l’autorisation de résider en Crimée comme simple citoyen, ni de son cousin le roi Georges V, celui de se réfugier en Angleterre, se tourna vers la France. La lettre qu’il écrivit à Raymond Poincaré ne reçut pas de réponse et fut, depuis lors, mystérieusement « égarée » par les archives nationales. De même qu’après l’assassinat des Romanov, le 16 juillet 1918 à Iekaterinbourg, la villa Ipatiev fut entièrement détruite, caves et fondations inclues.

Il est ainsi des traces de leur lâcheté ou de leur forfaiture que les républiques, socialistes comme radicales socialistes, n’aiment guère laisser derrière elles.

Daniel de Montplaisir

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