Histoire

[Débat] Faut-il rapatrier les cendres de Charles X ?

Faut-il rapatrier les cendres de Charles X ? Les historiens Daniel de Montplaisir et Philippe Delorme en débattent sur Vexilla Galliae.

Non, il ne faut pas rapatrier les cendres de Charles X !

Voilà trois ans, en juin 2011, que la chance, et l’honneur, me furent donnés d’effectuer, en compagnie de l’écrivain et journaliste anglais Peter Gumbel, ce qu’on appelait autrefois, dans les milieux légitimistes, « le pèlerinage de Göritz ». Il se s’agissait pas pour nous, entre monuments funéraires et chapelles expiatoires,  de céder à la larmoyance aujourd’hui en vogue chez nombre de royalistes, mais d’effectuer quelques recherches sur les derniers jours de Charles X, les séjours d’Henri V et les souvenirs des Bourbons dans cette petite ville tenue sagement à l’écart des grandes marées modernes.

Quelle ne fut pas notre surprise de constater combien l’héritage de nos derniers rois avait marqué la cité et comment celle-ci avait su, très délicatement, se transformer en écrin de leurs dépouilles ! Partout, nous croisions les ombres du vieux roi, de son fils le duc d’Angoulême, de sa belle-fille et de son petit-fils, encore appelé duc de Bordeaux, ainsi que de la future duchesse de Parme et de la comtesse de Chambord. Les résidences qu’ils occupèrent, la cathédrale qui, à six reprises, résonna de leurs funérailles, mais aussi la gare transalpine, les places et les rues ordinaires, évoquaient presque sans relâche, mais sans la moindre mièvrerie, les ultimes  pas des Capétiens du XIXe siècle.

Après la visite des palais Coronini-Cronberg, Strassoldo et Lantiéri, de la villa Boeckmann, des hôtels de la Poste et des Trois-Couronnes, le point d’orgue du pèlerinage se situait bien sûr au monastère de la Castagnavizza (en français la Châtaigneraie).

Perché sur une colline assez abrupte, il est aujourd’hui en territoire slovène. Ici la ville prend le nom de Novo Gorica.

 

Ayant traversé une petite zone pavillonnaire plutôt plaisante, un sentier muletier nous hisse jusqu’au long bâtiment blanc bordé d’un jardin en terrasses et rendu accessible par une esplanade d’où l’on domine toute la ville et la vallée de l’Isonzo. Nous avons rendez-vous avec le frère franciscain David Šrumpf, OFM, un homme de haute taille, à l’abord franc et chaleureux. Il est plus particulièrement employé à la garde des Bourbons et à la bibliothèque. Il nous montre, avant toute chose, la roseraie dont il se montre très fier, nous faisant comparer les parfums de différentes variétés. Comme je lui indique que des rosiéristes d’Angers créèrent, à l’occasion d’anniversaires, une rose « duchesse d’Angoulême » et une rose « comte de Chambord »…

– Mais nous les avons ici, me dit-il. Évidemment ! Et c’est la période de leur pleine floraison.

Un hasard bienheureux. Il nous entraîne dans la partie du jardin d’où la vue est la plus ample, la plus belle :

– Nous ne pouvions les planter ailleurs, n’est-ce pas ?

Quels rois de France ont bénéficié de gardiens aussi attentionnés ? Et aussi érudits. Frère David nous montre les trésors de sa bibliothèque et les ouvrages se rapportant au séjour des Bourbons à Göritz, notamment celui du père Chiaro Vascotti, Storia della Castagnavizza, publié en 1848 sous le patronage du comte de Chambord.

 

Arrive le moment le plus émouvant : la descente à la crypte. Effectuant le même pèlerinage il y a vingt cinq ans, l’historien André Castelot afficha sa déception : banalité et petitesse des lieux, cercueils royaux engoncés dans une sorte de remise dont on peut, doigts tendus, toucher le plafond : « un débarras de rois ». Notre impression est à l’opposé. Sur les parois d’un première salle, carrée et baignée de soleil car elle surplombe la vallée, deux tableaux retracent l’histoire des Bourbons à renfort d’arbres généalogiques, de portraits, de citations : tout est exact, clair et précis. Entre eux s’ouvre un long corridor au fond duquel l’entrée du caveau funèbre baigne dans une douce lumière orangée. La blancheur des murs, la finesse de l’éclairage et l’impeccable propreté de l’ensemble n’induisent aucune note de tristesse. Tout est paisible, serein, résolu. En file indienne, nous empruntons l’étroit couloir, qui s’achève par un encadrement en demi-cintre donnant accès à la salle des tombeaux.

Six sarcophages, dont cinq de marbre et un de cuivre, de taille, de forme et de moulurage identiques, montés sur socle de pierre blanche, alignés trois par trois, se font face dans un espace qu’ils emplissent parfaitement. Les inscriptions taillées dans la masse indiquent les places de chacun. Charles X (1757-1836), au milieu à droite, fait face à son petit-fils (1820-1883), chacun d’eux bénéficiant d’un socle légèrement surélevé. De part et d’autre du premier, les duc (1775-1844) et la duchesse d’Angoulême (1778-1851), de l’autre la comtesse de Chambord (1817-1886) et la duchesse de Parme (1819-1864). Henri repose entre les deux femmes qu’il a le plus chéries, qui n’ont jamais manqué à ses côtés. On peut, bien sûr, regretter l’absence de sa mère, la duchesse de Berry, inhumée à Mureck (Autriche) auprès de son deuxième mari, à deux cents kilomètres de là, en Styrie.

En 1917, l’empereur Charles et l’impératrice Zita, petite nièce du comte de Chambord, décidèrent, en accord avec Don Jaime, chef de la Maison de Bourbon et résidant à Frohsdorf, de mettre les tombeaux à l’abri en les transférant momentanément à Vienne, dans la crypte des Capucins, la nécropole des Habsbourg. Bien leur en prit : la Castagnavizza fut bombardée par l’artillerie italienne et fortement endommagée. En 1919, la ville devint italienne. Le monastère demeura aux mains des Franciscains, qui commencèrent une laborieuse restauration. En 1932, il put accueillir de nouveau les  tombes des Bourbons.

 

Nous redescendons la colline par le chemin qu’empruntaient autrefois les convois funéraires depuis la cathédrale. Le temps est toujours magnifique, les douceurs de l’Isonzo viennent se mêler à cent parfums de fleurs et d’herbes sauvages.  

– Crois-tu, vraiment, me demande Peter, qu’il faille ramener les corps en France ?

– Jusqu’ici, j’y étais plutôt défavorable. Maintenant, j’y suis farouchement opposé.

– Le comte de Chambord a défendu qu’on ramène jamais sa dépouille en France, n’est-ce pas ?

– Exactement. Et comment alors s’aviser d’oser le séparer de Charles X ? Quand on sait tout ce qui les unissait … Cet « art d’être grand-père » que  le vieux roi inspira à Victor Hugo même si  plus tard, ce dernier s’en défendit.

– Donc, le dilemme est sans solution : où l’on rapatrie Charles X seul et l’on commet une monstrueuse faute à l’égard du membre de sa famille qu’il chérissait le plus, ou bien on rapatrie les deux corps et on viole les dernière volontés d’Henri V.

– Parfaitement … Et puis : comment oser aussi spolier ces Franciscains de leur mission ? Ils honorent le souvenir de nos derniers rois mille fois mieux qu’on ne saurait le faire en France. Tu as vu à quoi ressemble Saint-Denis, basilique grisâtre et mal entretenue perdue dans une banlieue encore plus morne ? Elle se voudrait solennelle, elle n’est que sinistre… J’ai visité, il y a quelques mois, la chapelle des princes, en compagnie du prince Louis. Elle est dans un état lamentable. Les cercueils des enfants mort-nés ou morts en bas âge du duc et de la duchesse de Berry sont crevés, pourris, complètement à l’abandon. Il est bien là « le débarras de rois » et non ici.  

– Certains prétendent que le comte de Chambord, en refusant qu’on ramenât son corps en France voulait surtout éviter une cérémonie sous l’égide des Orléans …

– En 1883, le comte de Chambord savait qu’une restauration orléaniste n’avait pas plus de chances qu’une restauration légitime. Son journal est parfaitement clair à ce sujet : il ne doute plus de la pérennité de la république. Et puis, n’exagérons pas : les princes d’Orléans ne l’obsédaient pas à ce point.

En revanche, on comprend pourquoi les orléanistes détestent Göritz. C’est sur le quai de la gare de la ville que l’envoyé du comte de Paris fut sèchement remis à sa place par Don Juan et Don Carlos, à qui il voulait faire signer une nouvelle renonciation au trône de France au lendemain de la mort du comte de Chambord. La réponse fut cinglante : «  nous ne savons pas bien encore si nous avons des droits à la couronne de France ; si nous n’en avons pas, il est ridicule de signer cette déclaration ; et si nous en avons, ces droits sont des devoirs. Les devoirs, on ne peut les abdiquer. »  Du coup, le comte de Paris n’assista pas aux funérailles de son cousin : un vrai comportement de chrétien.

– Et je vois d’ici la cérémonie de rapatriement en France, avec cette république qui nous infligerait ses flonflons, son tricolore et ses prises d’armes de soldats vaincus. Mac Mahon nous voilà ! Sans compter la tentation de regrouper l’opération avec le retour des cendres de Napoléon III : un prix de gros en quelque sorte.

– Le dernier rapatriement solennel fut celui des cendres de l’Aiglon, orchestré par Hitler en décembre 1940.

– Instructif précédent ! Mais, tout de même, on peut défendre l’idée que reposent en France tous les rois de France, non ?

– Bien sûr. Et c’est pourquoi on a rapatrié les cendres de Louis-Philippe et déposé à Saint-Denis le cœur de Louis XVII. Mais eux n’avaient pas défendu qu’on ramenât leurs dépouilles en France.

Au fond, la solution coule de source : lorsque les Français seront las des pitreries républicaines et que la restauration monarchique scellera la véritable réconciliation nationale, il sera alors temps de rapatrier tout le monde, Charles X et Henri V ensemble, sans trahir leurs dernières volontés et même en accomplissant leur destin. En attendant ce jour, qu’on les laisse en paix à la Castagnavizza.

Daniel de Montplaisir


sarcophages de Charles X, Louis-Antoine et son épouse Marie-Thérèse de France

sarcophages de Charles X, Louis-Antoine et son épouse Marie-Thérèse de France

Oui, les cendres de Charles X doivent être rapatriées !

« … le sixième tombeau aujourd’hui visible est encore vide. Et le restera sans doute à jamais, point de suspension rajouté à l’histoire de la monarchie. »

Ainsi se clôturait le paragraphe faisant allusion au triste destin de Charles X, dernier souverain Français portant le titre de « Roi de France et de Navarre »[1] dans un article de l’hebdomadaire Le Point consacré à la Basilique et nécropole royale de Saint-Denis, paru le 1er février 2015[2].

Pour les fondateurs de l’association Pour le retour àSaint-Denis de Charles X et des derniers Bourbons, ce « point de suspension rajouté à l’histoire de la monarchie » sonne davantage comme un maillon manquant de l’Histoire de France, comme une regrettable rupture de la continuité de ses dirigeants actuellement tous inhumés sur le territoire, à l’exception de Charles X et Napoléon III, comme une faille dans l’idée même de réconciliation avec son passé d’un peuple dont la morosité chronique est actuellement soulignée de toutes parts.

S’il est un Roi méconnu dans l’Histoire de France post-révolutionnaire, c’est assurément Charles X. Que retiennent donc l’Histoire et les hommes pour l’avoir ainsi laissé tomber en disgrâce dans l’ingratitude collective ?

L’on a souvent insisté sur le fait que son frère aîné, notre malheureux Roi Louis XVI, n’était initialement pas appelé à régner, ce qui aurait précipité sa chute. Que devrait-on alors penser de Charles X, son cadet, a fortiori avec les bouleversements de société et de mentalités de la fin du XVIIIe siècle que l’on connaît ? Son règne bref, entre 1824 et 1830, définitivement clos par sa chute lors des Trois Glorieuses, est sévèrement jugé par les historiens, quasiment inexistant dans les manuels scolaires, et effacé de la mémoire collective : en effet, le Comte d’Artois, futur Charles X, quatrième fils du Dauphin de France, est né en 1757 sous les ors d’un Versailles insouciant et libertin caractéristique du règne de Louis XV. Sa jeunesse, peu orientée vers des perspectives de règne, se partage entre plaisirs et frivolités, libertinage et désinvolture… et dépenses inconsidérées. Quant à ses idées, elles sont le plus souvent réactionnaires : il est l’un des plus ardents défenseurs des privilèges de la noblesse et du clergé à l’approche de 1789, s’opposant en ce sens au Roi Louis XVI et au comte de Provence – futur Louis XVIII. Son impopularité croissante justifie en partie son départ précipité dès juillet 1789 ; il ne reviendra en France qu’à la faveur de la Restauration.

Discret tout au long du règne de son frère Louis XVIII par absence de charge gouvernementale officiellement attribuée, il se révèle en devenant Roi : le début de son règne est une souple transition avec la fin du règne de son frère aîné. Cependant, avec l’agitation croissante des parlementaires, il adopte quelques mesures qui lui attirent progressivement  l’inimitié de l’opinion publique : réhabilitation de rites ancestraux, restrictions de certaines libertés, indemnités pour les nobles émigrés, faveurs envers les ultraroyalistes. Sa proximité avec le fait religieux ne fait qu’aggraver son cas et attiser les braises d’un anticléricalisme et d’une déchristianisation déjà très manifestes, plus encore dans la capitale que dans les campagnes.

Ne s’étant pas initié aux idées de son temps dans son insouciante jeunesse sous les ors de Versailles, se plier aux règles d’une charte ou d’un gouvernement représentatif lorsqu’il monte sur le trône est relativement périlleux pour Charles X. La pression du jeu parlementaire étant de plus en plus prégnante, littéralement acculé par ses détracteurs, il réagit avec intransigeance et se révèle de plus en plus sourd aux revendications de ses peuples, s’engageant inéluctablement dans un bras de fer qui se solde par l’émeute parisienne des 27, 28 et 29 juillet 1830, les « Trois Glorieuses ». La seule issue possible est désormais l’exil et la double abdication signée le 2 août 1830 à Rambouillet : la sienne, et celle de son fils le duc d’Angoulême, Louis XIX de jure, qui n’aura « régné » qu’une vingtaine de minutes, le temps d’apposer une signature les écartant tous deux définitivement du trône.

Le destin immédiat pour Charles X et les siens, désormais, est inéluctablement l’exil, définitif. Quant à l’hypothétique avenir de la monarchie, il repose entre les mains du lieutenant-général du royaume, Louis-Philippe, héritier de la branche d’Orléans… L’héritier légitime, « lenfant du miracle », fils posthume du duc de Berry, Henri, duc de Bordeaux et comte de Chambord, prend lui aussi la route de l’exil.

François Ier d’Autriche, alors Empereur, met à la disposition de la famille royale déchue le château de Graffenberg, dans le comté de Görz, au Sud de l’Empire austro-hongrois. C’est entre ces murs que le vieux Roi rend son dernier souffle, le 6 novembre 1836, victime de l’épidémie de choléra ayant ravagé une partie du pays. Dans l’attente d’un retour en France, la dalle mortuaire ayant été prévue auprès de ses frères Louis XVI et Louis XVIII en la Basilique de Saint-Denis, il est décidé de l’inhumer selon ses vœux dans l’église du couvent de la Castagnavizza, à Görz.

Ces événements se déroulent entre 1830 et 1848, à l’aube du Printemps des Peuples, témoin des mouvements politiques et artistiques d’indépendance nationale qui émergent aux quatre coins de l’Europe. Les bouleversements géopolitiques incessants qui en découlent jusqu’au milieu du XXe siècle provoquent des mutations et redessinent les frontières.

Et ce qui devait être un lieu de sépulture provisoire devient définitif…

En Autriche, la petite ville de Görz, après avoir appartenu à l’empire austro-hongrois, devient italienne et est rebaptisée Gorizia, nom qu’elle conserve jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les différents traités signés à l’issue de ce dernier conflit séparent par une frontière militaire internationale la petite ville : certains faubourgs demeurent italiens, d’autres – parmi lesquels le couvent franciscain – deviennent yougoslaves, puis, à la fin du XXe siècle, slovènes. Ils prennent alors le nom de Nova Goriča, littéralement « Nouvelle Gorizia ». Le monastère de Castagnavizza, quant à lui, adopte un nom slovène : Kostanjeviča. Actuellement, il est toujours habité par une congrégation de frères franciscains, Slovènes, qui veillent sur les tombes du « Saint-Denis de l’exil » : celle du Roi Charles X, celles de son fils le duc d’Angoulême et de sa bru la duchesse d’Angoulême, Madame Royale, fille de Louis XVI, celle de sa petite-fille Louise de Parme, celle de son petit-fils Henri d’Artois, comte de Chambord et celle de l’épouse de ce dernier, Marie-Thérèse de Modène. À leurs côtés, dans une petite crypte jouxtant les sépultures des Bourbons, repose leur fidèle serviteur, celui qui les avait suivis jusque dans la mort en exil : le duc de Blacas d’Aulps.

Pendant ce temps, en France, la force des mutations politiques en ce XIXe siècle tourmenté, tiraillé entre empires et républiques, entre guerres européennes et querelles internes, entre conservatisme et anticléricalisme, n’offre pas le contexte le plus favorable à un quelconque regain d’intérêt pour le Roi mort en exil.

Ainsi, au tournant du siècle, dans une société marquée par le triomphe de la bourgeoisie industrielle, le souvenir des Capétiens et de la dynastie des Bourbons disparaît progressivement de la mémoire collective. Les idées républicaines progressent, le paysage politique français obéit à de nouveaux schémas, que les décideurs d’alors veulent modernes et pérennes. Priorité est donnée à l’ancrage de ces nouvelles idées, à ce nouveau fonctionnement politique qui occulte soigneusement le millénaire capétien. C’est ainsi que s’amenuisent puis disparaissent des consciences et de la mémoire les espoirs d’une nouvelle restauration d’une royauté qui aurait permis de manière légitime et évidente le retour des cendres de Charles X à la Basilique de Saint-Denis, nécropole immémoriale des Rois de France.

Les derniers feux de la vieille Europe s’éteignent dans les braises de la Première Guerre Mondiale. Dans les flammes de ce conflit sanglant, le « Saint-Denis de l’exil » est rudement mis en péril par les batailles qui sévissent aux portes des Balkans. L’église du couvent de Castagnavizza est détruite au cours de l’une des batailles de l’Isonzo opposant les forces italiennes et l’armée austro-hongroise. François Joseph Ier, Empereur d’Autriche-Hongrie depuis 1848, met un point d’honneur à faire rechercher les tombeaux dans les décombres d’une cité meurtrie et dévastée ; les cercueils sont alors transférés à Vienne, en attendant des jours meilleurs. C’est seulement en 1932, à la veille du nouveau drame européen, que les derniers Bourbons sont replacés dans la crypte du Monastère de Castagnavizza, où ils reposent toujours aujourd’hui.

L’Histoire moderne, occultant soigneusement les aspects positifs du règne de Charles X qui coïncide avec le retour à une France heureuse et prospère, en retient essentiellement le comportement réactionnaire, les velléités de fastes et d’absolutisme ainsi que le souci du retour au Royaume de France sur ses bases pré-révolutionnaires. En somme, rien de très favorable à une quelconque réhabilitation… ce qui explique certainement pourquoi le dernier projet de rapatriement de ses restes à la Basilique de Saint-Denis, en 1987, a échoué, bien qu’il ait bénéficié du soutien du Président de la République François Mitterrand, favorable au retour des cendres de Charles X sur le territoire français.

Or, l’Histoire étant par essence en mouvement, presque deux siècles après la mort de Charles X, la rencontre de deux passionnés d’Histoire permet à l’idée de renaître. Julien Morvan, professeur d’Histoire et Géographie, et Nicolas Doyen, président de l’association Monarchie Patrimoine, décident d’unir leur enthousiasme et leur volonté de voir les cendres des derniers Bourbons retrouver ce qui aurait dû être, en des temps paisibles, leur dernière demeure : la nécropole royale de la Basilique de Saint-Denis.

À leur initiative, l’association Pour le retour àSaint-Denis de Charles X et des derniers Bourbons est créée en octobre 2013 : nous décidons alors, rejoints une année plus tard par Hélène Clap, agrégée de musique, de conjuguer notre passion commune et nos connaissances historiques, afin de solliciter de nombreux appuis et soutiens dans ce projet que nous tenons à revendiquer comme apolitique et affranchi de toute forme de nostalgie surannée. À ce jour, nombre de personnalités issues des familles princières, du monde de l’art et de la culture, de la sphère politique, du cénacle des historiens ont apporté officiellement leur appui ; s’entourer de soutiens de qualité et de renom nous semble en effet l’une des conditions incontournables pour garantir la crédibilité d’un tel projet, dont le retentissement est a minima national.

Cependant, dans cette aventure d’envergure portée avec une foi inébranlable, nous laissons volontiers aux spécialistes de la Restauration le travail de réhabilitation de la vie et du règne de Charles X. L’entreprise est davantage envisagée comme une manifestation nécessaire de « piété historique » fort à-propos dans une actualité brûlante, démarche qui devrait œuvrer dans le sens d’une réconciliation de la France avec son passé. Ce projet ambitieux offre l’opportunité de franchir une nouvelle étape dans l’acceptation de l’Histoire de France avec tout ce qu’elle comporte d’éclat et de zones d’ombre.

La France est riche d’un patrimoine historique et culturel dont chacun doit avoir conscience, puisqu’il est commun à tous les Français ; à ce titre, et en des temps troublés où les repères viennent à manquer, il apparaît plus que jamais nécessaire de mettre en valeur les racines, le patrimoine et le passé de la France. En 1840, au cœur du règne de Louis-Philippe Ier, la dépouille de Napoléon regagnait Saint-Louis des Invalides. Après la Révolution de 1848 et le Second Empire, dans les balbutiements de la IIIe République naissante, ce sont les cendres de Louis-Philippe Ier qui retrouvent la chapelle Saint-Louis du domaine de Dreux en 1876. Plus récemment encore, en 2004, le cœur de Louis XVII rejoint la Basilique de Saint-Denis. Lorsque l’on dresse un continuum des Rois de France, que l’on y adjoint les autres souverains et dirigeants jusqu’à nos jours, deux figures manquent à l’appel : le Roi Charles X et l’empereur Napoléon III. La rupture de cette continuité de figures historiques est un chaînon manquant pour la mémoire et l’identité collective : certes les restes de Charles X et des derniers Bourbons sont choyés là où ils reposent, et l’endroit est bien entretenu, comme le soulignent les différents témoignages des personnalités ayant eu l’opportunité de visiter Castagnavizza, mais l’éloignement géographique de leur terre ancestrale participe à l’absence de repère des jeunes générations face à une Histoire qui, si elle n’est ni contemporaine ni récente, n’est toutefois pas encore trop éloignée de la nôtre.

À l’heure où nous écrivons, le gigantesque chantier de réhabilitation de la Basilique de Saint-Denis, commencé en 2012, devrait aboutir dans le courant de l’année 2015. Ce monument encore récemment sombre et sale, qui ne suscitait que peu l’envie d’y pénétrer, s’est transformé au fil des étapes de la restauration en merveille architecturale révélant la blancheur des pierres, la délicatesse des sculptures, la finesse de la rosace ou encore la magique polychromie de la façade : travée nord, travée centrale, vitraux, tympan, sculptures, statuaire, cénotaphes, chaque élément constitutif du monument abritant la nécropole royale a été rénové pour nous apparaître désormais dans son rayonnement originel. Un projet titanesque, encore inachevé, mais dont l’aboutissement prochain assurerait aux derniers Bourbons, dès leur retour, un repos éternel digne de leur rang, qu’ils aient été membres de la famille royale ou souverains.

Certes, bien que dernier « Roi de France et de Navarre »,  Charles X n’a sans doute pas le charisme de François Ier, de Henri IV ou de Louis XIV, et il n’en a pas non plus la vigueur lors de son accession au trône, faute de jeunesse. Certes, Charles X n’est pas complètement réceptif aux sollicitations nées autour de la Révolution ainsi qu’aux mutations de la société comme l’a été son aîné Louis XVIII. Certes, Charles X n’est pas un bâtisseur au sens où l’entendraient un Hardouin-Mansart ou un Haussmann, et il ne contribue pas davantage au changement d’apparence de la France qu’à sa modernisation.

Cependant, il est le levier indispensable du retour à l’équilibre par certaines finesses diplomatiques qu’il sait mettre en œuvre lorsque son frère Louis XVIII est sur le point de monter sur le trône. À ce titre, si l’on considère le contexte des années 1814-1815, il y a deux siècles exactement, il peut apparaître comme un personnage providentiel dans la France hagarde, épuisée par la succession d’une révolution sanguinaire et de conquêtes napoléoniennes ruineuses. Par sa discrète détermination, il parvient à seconder adroitement Louis XVIII, Roi de réconciliation dans une France littéralement abattue et exsangue. Pour ces raisons, il nous semble que sa place légitime est auprès de ses frères aînés, Louis XVI et Louis XVIII, dans la crypte des Bourbons, en la Basilique de Saint-Denis.

Dans la France contemporaine, en proie à un déni de culture criant et à un illettrisme galopant, nombreux sont ceux qui imaginent que la monarchie est morte avec la prise de la Bastille. C’est approuver et institutionnaliser un oubli : celui des règnes de Louis XVIII et de Charles X, qui, après l’ère napoléonienne, permettent au parlementarisme de prendre ses marques dans un pays jusqu’alors rétif. S’efforcer de se pencher sur cette période complexe de l’Histoire en se l’appropriant comme sujet d’actualité nous permet par ailleurs de poser un regard plus distancié sur les troubles que nous traversons : les remous européens, les jeux d’alliances, la montée des nationalismes, n’est-ce pas un sujet éminemment contemporain ? C’est aussi le monde dans lequel évolue notre Roi poussé à l’exil. A ce titre, le condamner à une disgrâce éternelle est une injustice historique et une aberration politique.

Ainsi, rejeter l’idée d’un rapatriement des cendres de Charles X et des derniers Bourbons, c’est refuser à la France six années de son Histoire à une période charnière du point de vue politique, économique et sociétal. C’est adopter une posture plus bornée et radicale encore que celle que l’on reproche communément au dernier des Rois de France et de Navarre. C’est remettre en question l’évolution teintée de cohésion dans l’exercice du pouvoir d’une dynastie qui a apporté prestige et rayonnement par-delà l’Oural et les Océans. C’est manquer d’humilité face aux difficultés économiques et sociales auxquelles se sont heurtés les différents souverains pendant la montée des tensions conduisant à la Révolution de 1789 et pendant la longue période de reconstruction post-napoléonienne permettant le retour à un équilibre nécessaire. C’est enfin refuser une marque de réconciliation salvatrice avec une très longue Histoire dont les deux derniers siècles ont été par de trop nombreux aspects tumultueux, déstabilisants et mortifères.

Philippe Delorme

NB :Philippe Delorme est vice-président de l’association « Pour le retour à Saint-Denis de Charles X et des derniers Bourbons ». Vous pouvez consulter le site de l’association sur ce lien : Le retour de Charles X


[1] Expression en usage pour désigner le souverain issu de la branche aînée des Bourbons.

[2] Lorrain (François-Guillaume), « Les lieux qui font la France : Saint-Denis, la reine des basiliques », Le Point, 01/02/2015

http://www.lepoint.fr/histoire/les-lieux-qui-font-la-france-saint-denis-la-reine-des-basiliques-2-01-02-2015-1901432_1615.php, consulté le 30/03/2015

Ndlr : Article initialement publié le 18 mai 2015

Durant le mois d’août, et comme chaque année, nous proposons à la lecture quelques articles sélectionnés par la rédaction de Vexilla Galliae et déjà publiés en 2015 sur le site. Toute la rédaction de Vexilla Galliae vous souhaite un excellent été.  

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