Histoire

Il y a 70 ans, Hirohito « renonçait » à son ascendance divine

Le 1er janvier 1946, Hirohito « renonçait » à son ascendance divine

     « Avec stupeur et tremblements » : cette formule, popularisée par la romancière Amélie Nothomb en 1999, exprimait la façon dont tout sujet japonais devait exécuter sa révérence en se présentant devant l’empereur. Et ce jusqu’au 31 décembre 1945. Le lendemain, Hirohito s’adressait directement à son peuple – évènement rarissime – dans une allocution radiodiffusée pour exposer qu’il abandonnait (traduction approximative de misuteru) son arahitogami, qui peut se traduire par « divinité à forme humaine » ou encore « ascendance divine », ainsi que le protocole qui allait avec.

    En effet, selon la tradition japonaise, l’empereur descendait directement d’Amaterasu, la déesse du soleil. C’est elle qui figure encore symboliquement  sur le drapeau national. La religion shinto voulait que, selon le kojiki, équivalent de la Bible des chrétiens, et qui relate la formation antique de l’archipel, la fille unique du dieu Izanagi lui succédât en prenant en charge le soleil. Après quoi, elle aurait envoyé sur terre son fils unique, Ninigi, afin de prendre en main le gouvernement des hommes, trop fous pour se gouverner eux-mêmes. De ce dernier, seraient donc descendus tous les empereurs du Japon, dont le tout premier, Jinmu, en 660 av. J.C.

    L’établissement d’un lien entre le monarque héréditaire et la sphère divine se retrouve dans presque toutes les monarchies du monde. Et si, en France, pays de royauté dès le début fondée sur le droit, on n’a jamais vraiment tenter de donner une origine matériellement divine à nos princes, certaines théories providentialistes, comme celle que porta longtemps le marquis de La Franquerie, s’en approchèrent, notamment en soutenant soit l’ascendance davidique des rois de France soit en défendant la thèse des sources troyennes du royaume des Francs, elles mêmes issues des divinités antiques, particulièrement de la déesse Isis.

    Voici trois ou quatre ans, il me fut ainsi donné de rencontrer à Paris une universitaire américaine qui recherchait dans la capitale des Francs toutes les traces de la déesse, nombreuses selon elle et cachées par les autorités républicaines qui, d’après la doctoresse de Harvard, « en seraient épouvantées. » Ainsi, par exemple, camoufla-t-on la découverte d’un sanctuaire d’Isis à Issy-les-Moulineaux.

    Au Japon, bien au contraire, la divinité de l’empereur fut, de tout temps, consubstantielle à son autorité. Jusqu’à ce que la folle guerre menée contre les États-Unis et la première défaite du Soleil-Levant de toute son histoire remirent fondamentalement en cause le mythe rassembleur. Alors Hirohito chercha moins à sauver son trône que l’honneur et les traditions du Japon auprès d’un peuple qui les associait étroitement. C’est pourquoi, dans son discours du 1er janvier 1946, dit «  de la déclaration d’humanité » (ningensengen) l’empereur exposa avec beaucoup de sagesse que le lien tissé entre son peuple et lui-même avait toujours était basé sur la confiance et l’affection, bien plus que sur les mythes, les légendes ou les illusions. Toutes choses égales par ailleurs, l’empereur du Japon faisait ainsi sienne la théorie française du contrat entre le peuple et le monarque.

    Deux critiques ont été apportées à la révolution consentie par Hirohito.

    D’une part, les politiciens rationalistes ont considéré que cette déclaration solennelle ne constituait qu’un paravent du renoncement total à tout pouvoir politique, une sorte d’introduction à la nouvelle Constitution japonaise, qui entrerait en vigueur le 3 mai 1947 et réduirait l’empereur à une place – même pas une fonction – purement symbolique. La Constitution de 1889 avait déjà sensiblement réduit le poids de l’empereur dans le gouvernement.

   D’autre part, et en sens inverse, certains traditionalistes, dont Yukio Mishima, qui n’avait alors que vingt ans et n’avait encore rien publié, mais qui ressentait le geste de l’empereur comme une abdication déguisée, non seulement du pouvoir mais de toute la tradition japonaise, regrettaient vivement sa démarche.

   En vérité, le commandant suprême des forces alliées, le général américain Douglas Mac Arthur, avait mis le marché entre les mains d’Hirohito le 27 septembre 1945 : s’il collaborait, on éviterait bien des morts, lui-même pourrait conserver son trône et éviter d’être trainé devant un tribunal comme celui de Nuremberg. Les Américains ont-ils alors médité l’erreur de Clemenceau en 1916, acharné au delà de toute raison à tordre le cou à l’empire des Habsbourg ? Toujours est-il qu’on permit au japonais de sauver la face et qu’on évita d’humilier son pays. Sage décision.

     Hirohito mourut en 1989 (à quatre-vingt huit ans) ; lui succéda son fils, Akihito, né en 1933.

     Un petit mouvement politique, le Nippon Kaigi, ainsi que quelques groupes plus marginaux, appelés Uyoku Dentai, dénoncent le « masochisme historique » du Japon consécutif à la défaite de 1945 et réclament, depuis 1997, un relatif rétablissement de l’empereur dans certaines prérogatives d’État. Mais sans revenir pour autant sur la renonciation à l’origine divine : une légende morte ne peut ressusciter. Le divinisme ne serait-il, au fond, qu’une maladie infantile du royalisme comme, pour Lénine, le gauchisme était celle du communisme ?

Daniel de Montplaisir

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