Histoire

Il y a 330 ans, l’édit de Postdam ripostait à celui de Fontainebleau

Le 8 novembre 1685, l’édit de Postdam ripostait à celui de Fontainebleau

    Bien des fautes commises dans l’histoire de France sont aussi graves que l’édit de Fontainebleau. Aucune ne l’est davantage. Car ses incidences produisirent longtemps, et peut-être même jusqu’à nos jours, leur effet négatif sur le développement de notre pays.

    Ce jour là, 18 octobre 1685, Louis XIV signait en grandes pompes – celles qui conviennent aux erreurs politiques les plus lourdes – la révocation de l’édit de Nantes, octroyé par Henri IV en 1598 afin de mettre un terme définitif à l’une de ces ruineuses guerres civiles dont le royaume de France, puis la république, eurent et auraient longtemps le secret. Son texte, fruit d’un long labeur de légistes et de négociateurs de tous genres, se résumait pourtant en un mot : liberté. Liberté de pensée, de conscience, de prière, accordée à son prochain comme à soi-même, dans la droite ligne des Évangiles et des enseignements des pères de l’Église, depuis Paul jusqu’à Augustin. En d’autres termes, le respect mutuel entre communautés, clé des réussites anglaise et allemande, à la condition, bien sûr, qu’aucun groupe n’attente aux intérêts généraux et à l’intégrité du royaume.

    Et c’est justement là que la France souffrait éternellement d’un point de côté. Nous avons récemment évoqué le conflit entre Armagnacs et Bourguignons. Un siècle ne s’était pas écoulé que le pays se trouvait de nouveau déchiré, cette fois par les guerres de religion, que l’édit de Nantes n’apaisa qu’en surface. Dès la mort d’Henri IV, un « parti protestant », sous la houlette du duc Henri II de Rohan voulut se mêler des affaires de la Cour, jouer l’un contre l’autre, intriguer auprès de la régente Marie de Médicis, qui adorait ça, empêcher le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche… bref exaspérer les catholiques majoritaires.

    En ce temps là, les notions de territoire géographique, religieux et politique se confondaient. Ainsi les protestants considéraient-ils comme leur propriété certaines parties du Royaume, dont le Béarn, où ils refusaient aux catholiques le libre exercice de leur religion, pourtant prévu par l’édit de Nantes. Louis XIII voulut donc l’imposer par un nouvel édit, enregistré à Toulouse le 4 décembre 1617 mais non appliqué, et consécutivement par les armes. La résistance des huguenots prit des proportions inattendues, débouchant sur une nouvelle guerre civile, qui dura de 1620 à 1629, enflammant une bonne partie du sud-ouest et du sud-est de la France, une guerre aujourd’hui largement oubliée si ce n’est grâce au fameux tableau d’Henri-Paul Motte peint en 1881 et représentant Richelieu au siège de La Rochelle.

    Après quoi, vainqueur et magnanime, Louis XIII consentit, par l’édit de Grâce du 28 juin 1629, dit aussi « paix d’Alès », dernière place huguenote soumise au roi, à réaffirmer le principe de tolérance religieuse pour tous, tout en supprimant aux protestants leurs privilèges politiques (l’existence d’assemblées parlementaires) comme militaires (celle de 38 places de sûreté), l’ensemble formant un véritable « État dans l’État », selon la formule utilisée par les huguenots eux-mêmes. L’édit de Grâce, si on l’examine de près, constitue le premier pas du long cheminement qui conduirait à la séparation de l’Église et de l’État : la première s’abstenant d’intervenir dans la vie politique, le deuxième garantissant la liberté religieuse sans se mêler de la vie interne des églises.

    Le bons sens exigeait qu’on s’arrêtât à la sagesse de Louis XIII, qui avait compris la différence entre le roi de France, « très chrétien » et le roi d’Espagne, seulement « catholique ». Globalement, catholiques et protestants cohabitèrent dans une relative bonne entente durant un bon tiers de siècle.

   C’était compter sans les contresens dont Louis XIV allait émailler son règne et les impasses dans lesquelles il se plairait à engager régulièrement le royaume. Complètement étranger à la notion de liberté comme à celle de différence et de respect des autres, profondément marqué par la Fronde et influencé par le totalitarisme florentin d’un Mazarin, le jeune roi redoutait les factions et, les confondant avec les minorités, détestait celles-ci. Incapable de constater que, depuis la disparition du « parti protestant », les ressortissants de la religion réformée se comportaient en loyaux sujets ; aveugle au fait que beaucoup d’entre eux, particulièrement éduqués et avisés, étaient des entrepreneurs, des financiers, des commerçants créatifs et dynamiques ; inapte enfin à considérer l’économie autrement que sous l’angle administratif de Colbert et des mercantilistes, il se fourvoya dans une politique aussi injuste que grossière, bien peu digne d’un « roi soleil », de persécution d’une minorité pacifique. Ainsi se comporterait le gouvernement turc à l’égard des Arméniens entre 1915 et 1917.

Pendant près de vingt-cinq ans, entre 1661 et 1685, une succession d’édits vint réduire les droits des protestants, civils comme religieux, un peu comme le régime de Vichy le ferait avec les juifs. Seules les guerres étrangères au cours desquelles, sans vergogne, Louis XIV s’alliait avec des puissances protestantes, ralentirent le rythme des humiliations et des exactions, dont les tristement célèbres dragonnades instituées par l’ordonnance du 11 avril 1681, prétextes à viols et pillages dignes de hordes mongoles. 

Enfin le coup de grâce intervint, quatre ans et demi plus tard, avec la révocation de l’édit de Nantes, depuis longtemps déjà vidé de sa substance. Contrairement à une idée reçue, la marquise de Maintenon n’était nullement favorable à une telle mesure, due largement à des motifs de politique internationale. Un peu honteux, lui qui avait l’épée facile, de ne pas être intervenu aux côtés de l’Autriche attaquée par l’empire ottoman en 1683, souhaitant aussi, en écoutant Bossuet, asseoir son absolutisme sur le gallicanisme, Louis XIV se devait d’offrir une compensation spectaculaire, mais non coûteuse, au pape Innocent XI.

Non coûteuse : ce fut, ici encore, une considérable erreur d’appréciation de la part du roi de France. Les protestants qui ne s’étaient pas encore convertis sous la menace ou la contrainte et qui, pour la plupart, demeuraient donc des esprits libres composant une substantielle partie des élites économiques et intellectuelles du royaume, furent ainsi incités à l’exil. Devant cette première « fuite des cerveaux » de l’Histoire, Louis XIV réagit comme réagirait le gouvernement de François Mitterrand devant la fuite des capitaux en 1981 : il fit fermer les frontières, autrement dit essayer de retenir de l’eau avec ses doigts. C’est alors que, non sans ironie à l’égard du grand monarque si peu visionnaire, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume Ier, riposta à l’édit de Fontainebleau, qui avait déjà choqué la plupart des nations européennes,  par l’édit de Postdam, signé le 8 novembre 1685, soit seulement trois semaines après le premier et bien avant que le gouvernement de Versailles tentât de réagir à l’hémorragie qu’il avait provoquée : toujours les Prussiens prendraient les Français de vitesse, cela semble une fatalité.

   Le texte encourageait les huguenots opprimés à venir s’installer en Prusse et à y bénéficier des nombreux avantages servis généreusement à un peuple malheureux contraint d’abandonner sa patrie. Larmes de crocodile bien sûr mais ô combien habiles et efficaces. Sur les 150 000 protestants qui quittèrent la France entre 1685 et 1715, seulement 20 000 firent souche dans le Brandebourg, spécialement à Berlin. Mais surtout, il s’agissait d’un levain, fait de gens instruits et entreprenants qui, pendant  plus de deux siècles, allaient, par leur industrie et, aussi, un certain esprit de revanche, contribuer à élever la Prusse au rang de première nation d’Europe.

La France n’en finit pas de devoir manifester sa reconnaissance à Louis le Grand.

Daniel de Montplaisir

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