Il y a deux cents ans, Louis XVIII faisait appel au duc de Richelieu
Le 24 septembre 1815, Louis XVIII faisait appel au duc de Richelieu
Après les Cent-Jours, la France, au bord de la ruine, du dépeçage et de la guerre civile, s’acheminait vers le chaos. Sentant son trône branlant, Louis XVIII s’était résolu à faire appel aux deux politiciens les plus roués de l’époque : Fouché et Talleyrand, « le vice appuyé sur le bras du crime » selon la célèbre « vision d’horreur » de Chateaubriand. Ce fut un échec. Il fallait désormais trouver un homme neuf, et cependant expérimenté, loyal et désintéressé, royaliste sans être ultra, patriote tout en aimant l’Europe, compétent et respecté par les Alliés. Un conseiller du comte d’Artois souffla au roi le nom du duc de Richelieu.
Alors âgé de quarante-huit ans, l’arrière-arrière-arrière petit-neveu du grand cardinal avait passé en Russie auprès du tsar, dont il était devenu un des meilleurs amis, les vingt-cinq dernières années de sa vie, ayant notamment occupé la charge de gouverneur de la Nouvelle-Russie et fondé Odessa.
Sa mission, de principal ministre et de ministre des affaires étrangères, tenait en une phrase : réparer les immenses dégâts commis par Napoléon.
Pendant trois ans et trois mois, au prix d’un labeur acharné, d’une constance à toute épreuve et d’une intelligence jamais prise en défaut, il allait hisser la France du précipice où elle roulait au seuil d’une nouvelle ère de son développement : quelque chose de comparable au « miracle allemand » qui suivit la fin de la deuxième guerre mondiale. Et cela presque seul, au milieu de la méfiance des uns, des chausse-trappes des autres, du scepticisme de tous. En face de trois montagnes à soulever : la paix, l’ordre, la libération du territoire.
Dans la négociation d’un nouveau traité de paix, confronté aux exigences draconiennes des Alliés, Richelieu s’accrocha avec opiniâtreté, discutant pied à pied, utilisant tous les moyens à sa disposition : des séances de travail interminables et convoquées à tout moment qui épuisaient les ambassadeurs russe, prussien, anglais et autrichien, l’alimentation des divergences entre eux et avec les puissances moyennes, le chantage à la démission et les maladies diplomatiques (c’est de là que vient l’expression). Ainsi fut conclu le traité de Paris du 20 novembre 1815. Les concessions arrachées par Richelieu limitaient les dégâts : la France conservait ses places fortes dans les Flandres et dans les Ardennes, évitait l’occupation de Strasbourg et gardait les Antilles ; au total elle ne perdait que 1% de son sol et 1,5% de sa population ; l’indemnité de guerre, ramenée à 700 millions de francs (les Alliés réclamaient initialement un milliard et demi, soit environ 12 milliard de nos euros), s’étalerait sur cinq ans. Enfin, l’occupation militaire se réduisait à trois ans si les Alliés constataient que le comportement de la France l’autorisait : des conditions sévères mais inespérées.
La paix faite avec l’Europe, il faut aussi la faire avec la France, en proie à d’extrêmes désordres et, dans certaines régions, sur le fil de la guerre civile. La Terreur blanche, principalement dans l’Ouest et le Midi, s’attaquait aux bonapartistes, aux protestants et aux républicains. Richelieu reprit fermement l’administration en mains et décréta que l’épuration se limiterait aux têtes : réconciliation et rassemblement, tels étaient les deux mots d’ordre. Le général de Gaulle saurait s’en inspirer en 1944….
La libération du territoire et le rétablissement de la France parmi les grandes puissances constituaient le troisième grand objectif de Richelieu. Pour cela, il fallait solder les comptes, rétablir la confiance, retrouver la maîtrise du sol national. Richelieu joua la franchise et mit cartes sur table. L’occupation militaire, expliqua-t-il aux Alliés, devait cesser au plus vite sinon il ne répondrait plus de la tranquillité du pays. Pour cela, il fallait payer au plus vite l’indemnité convenue. Ce dont la France n’avait pas les moyens…
Jusqu’ici, quand l’État avait besoin d’argent, il ne connaissait que trois moyens de s’en procurer : l’impôt, l’emprunt ou la planche à billets. Richelieu ne voulait recourir à aucun des trois, craignant notamment la récession qui résulterait inévitablement d’une surpression fiscale comme d’une diminution de la masse monétaire par l’emprunt public. Quant à la fausse monnaie, le souvenir des assignats hantait toujours le peuple français. Richelieu eut donc une idée tout à fait originale : il ferait payer les indemnités dues à l’étranger par l’étranger lui-même, en empruntant les sommes nécessaires aux grandes banques d’Europe. Dès lors, il s’employa à obtenir des taux d’intérêt raisonnables et des délais longs, garantis par la reprise économique qui se dessinait en France et qui valoriserait de surcroît le cours des titres. « L’emprunt Richelieu » rencontra un fulgurant succès. Non seulement, il créa un climat favorable au redressement de la France mais il intéressa fortement l’Europe à celui-ci. Le 9 octobre 1818, la Convention d’Aix-la-Chapelle fixait le départ des troupes d’occupation au 30 novembre suivant, soit avec deux ans d’avance.
Richelieu entendait maintenant profiter de sa réussite pour réaliser son dernier objectif : rompre l’isolement diplomatique de la France et la faire entrer de plain pied dans le nouveau concert des nations. Pour cela, substituer à l’alliance à quatre (Angleterre, Autriche, Prusse et Russie), fondée contre la France, une alliance à cinq dont celle-ci ferait partie, l’union des monarchies légitimes garantissant la paix en Europe. Alexandre se rallia le premier à la thèse de Richelieu. Les autres puissances le suivirent. « La sainte Alliance » était ainsi élargie le 15 novembre par l’accord d’Aix-la-Chapelle. La France était redevenue une grande puissance, libre, indépendante et respectée, parlant d’égale à égale avec l’Angleterre, l’Autriche ou la Russie. Trois ans seulement après Waterloo…
Louis XVIII voulut récompenser son ministre avec éclat mais celui-ci refusa toute gratification. Il ne rêvait que de rejoindre Odessa, de s’installer dans la petite maison de bois qu’il s’est fait construire au milieu d’un jardin aux essences rares et, peut-être, de fonder une famille avec une jolie ukrainienne de bonne naissance. Il souhaitait d’autant plus quitter la scène politique française qu’avec le retour des temps calmes réapparaissaient les intrigues. Tant qu’il fallait surmonter des obstacles gigantesques, Richelieu était seul. Maintenant, son poste fait des envieux.
La veille de Noël 1818, Armand remit donc sa démission au roi. Mais avant de partir, pensait-il pour toujours, il voulait revoir la France en profondeur et lui laisser un testament. Du 4 janvier au 2 décembre 1819, il effectua donc un tour complet et minutieux de l’hexagone au cours duquel il se livra à de nombreuses considérations politiques. Curieux périple que ce voyage qui ressemblait à une campagne électorale, menée par un homme qui n’était candidat à rien. À Bordeaux, il prononça un discours en faveur du libre-échange. À Marseille, il traita d’éducation. À Lyon, il préconisa une baisse des impôts pour une expansion économique durable. Dans les Landes, il conseilla la plantation de pins, afin de fixer les dunes (comme on le sait, il serait écouté au delà de toutes prévisions). À Nice, il suggéra aux gouvernants de ne jamais humilier les citoyens. Aux Tuileries, cette liberté de propos étonnait et dérangeait : on ne serait pas fâché que le duc redevienne rapidement russe.
Revenu à Paris, il régla ses dernières affaires personnelles, notamment la liquidation de son patrimoine afin de solder les dettes dont il avait hérité de sa famille. Le 12 février 1820, sa berline était commandée, ses malles prêtes… Le soir même, le duc de Berry était assassiné sur les marches de l’Opéra. Mais ceci est une autre histoire…
Daniel de Montplaisir