Histoire

Il y a 380 ans, la Martinique devenait française

Le 15 septembre 1635, la Martinique devenait française

   Au lendemain des Cent-Jours, et en vue de la conclusion, qui s’annonçait particulièrement ardue, d’un nouveau traité de Paris, Louis XVIII, sans grande illusion sur les marges de négociation qui restaient à la France, demanda au duc de Richelieu de  faire de son mieux, de sauver ce qui pouvait l’être mais, surtout, de «  conserver les îles ». Il faisait principalement allusion aux Antilles, convoitées par les Anglais et que Richelieu parviendrait à garder à la France contre des abandons de places fortes dans le Nord et dans l’Est, fruits d’un jeu diplomatique triangulaire.

    En formulant cette demande, le roi rompait avec le continentalisme de ses prédécesseurs, légitimes aussi bien que révolutionnaires. Renouant avec les préoccupations mondiales d’Henri IV et de Richelieu, il démontrait ainsi un certain esprit visionnaire, ayant compris l’importance économique, comme stratégique, des possessions d’outre-mer non coloniales. Parfaitement intégrée à la nation française, la Martinique faisait déjà partie du royaume avant l’Alsace et la Lorraine, ayant été annexée le 15 septembre 1635 par un ancien corsaire devenu administrateur de terres lointaines, Pierre Belain d’Esnambouc.

    Né dans un village de Normandie en 1585, très tôt attiré par la mer, il arma à ses frais un brigantin (navire à deux mats, un seul pont, quarante hommes d’équipage) et se lança,  à partir de 1620, dans la piraterie contre les galions espagnols. Réfugié en 1623 dans l’île Saint-Christophe, une des «  petites Antilles », afin d’échapper à une contre attaque de la marine de Philippe III, il en partagea l’administration avec les colons anglais – une entente suffisamment rare à l’époque pour être soulignée – et, deux ans plus tard, reçut en récompense du cardinal de Richelieu le droit de prendre possession des îles voisines non encore occupées par des Chrétiens. Ce qui était le cas de la Martinique, découverte par Christophe Colomb en 1502 lors de son deuxième voyage vers l’Amérique mais dont il n’avait pas pris possession.

   Le nom de l’île est alors stabilisé, provenant d’une déformation phonétique de la façon dont l’appelaient les Amérindiens, Martinino, qui signifie « l’île aux fleurs ».

   Richelieu créé alors la Compagnie des îles d’Amérique, organisme privé mais bénéficiant de privilèges fiscaux, et en confie la direction à Esnambouc. Il s’agit notamment pour la métropole de s’approvisionner en sucre à meilleur compte qu’avec celui importé jusqu’ici des pays d’Orient.

   En plus de la centaine d’Européens venus avec Esnambouc, l’île se peuple d’esclaves originaires du Sénégal, de Guinée et d’Angola afin de fournir la main d’oeuvre nécessaire à l’exploitation de la canne à sucre, qui supplante peu à peu celle du tabac puis se complète avec celle de la banane. Deux villes sont fondées, ainsi que deux ports en eaux profondes : Saint-Pierre, la capitale, qui disparaîtra en partie sous l’irruption du volcan de la Montagne-Pelée en 1902, et Fort-Royal, qui deviendra Fort-de-France.

    L’entente initiale avec l’Angleterre ne franchit pas le cap du XVIIIe siècle, au cours duquel l’île est à plusieurs reprises, perdue puis reprise par les Français. À ces secousses venues de l’extérieur, s’ajoutent les nombreux conflits locaux entre Indiens caraïbes, premiers habitants du territoire, les colons et les esclaves.

    La révolution française fournit une nouvelle occasion à l’Angleterre de s’emparer de la Martinique mais la paix d’Amiens de 1802 la rend à la France, qui la perd en 1809 et jusqu’en 1814. L’abolition de l’esclavage, votée par la Convention en 1794, ne s’y applique pas, ce qui vaudra à la mémoire de Napoléon un nouvel opprobre depuis que les yeux des Français se sont un peu décillés à son égard. Cependant ni Louis XVIII, ni Charles X, ni Louis-Philippe, ne sont revenus sur ce choix. Il faudra donc attendre le décret du gouvernement provisoire du 27 avril 1848 pour que tous Martiniquais deviennent enfin des hommes libres.

    Depuis lors, la souveraineté de la France sur la Martinique n’a jamais été véritablement contestée. L’île constitue un département d’outre-mer depuis 1946, grâce notamment à l’action du maire de Fort-de-France, Aimée Césaire, qui préférait cette formule à celle de l’indépendance et qui fonda par ailleurs, avec Léopold Senghor, le concept de négritude. Une notion et une action qui firent beaucoup pour la reconnaissance d’une authentique culture afro-américaine, différente des autres mais non inférieure à elles : un progrès de l’humanisme que les actuels délires de l’antiracisme à tout prix risquent fort de remettre en cause.

    Les revendications indépendantistes n’ont jamais connu un grand succès à la Martinique. Le seul mouvement structuré  dans ce but n’apparut qu’en 1978 et se convertit rapidement en mouvement autonomiste.

   Ainsi l’île apparaît-elle de nos jours comme la plus fidèle des possessions d’outre mer. Une raison supplémentaire de traiter ses habitants avec respect et d’anticiper ses besoins au lieu de tomber des nues à chaque survenance d’une crise économique ou sociale.

Daniel de Montplaisir

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