Politique

Il y a dix ans…le 10 décembre 2007…

…La république française se prosternait devant Mouammar Kadhafi.

     Dans La chute d’Icare (Fallois 2016), Jean-François Roseau tire un roman d’une histoire parfaitement plausible : Mouammar Kadhafi pourrait être le fils d’un certain Albert Preziosi, un aviateur corse qui, combattant de la France libre en 1942, étant tombé en panne à la façon de Saint-Exupéry au dessus du désert libyen, a résidé quelque temps chez les Touareg et a vécu une aventure sentimentale avec une bédouine. Les photos dont on dispose d’Albert Preziosi sont troublantes de ressemblance avec le dictateur numide au même âge. Aussi troublantes que les photos de feu Henri d’Orléans comte de Paris avec Pierre de Bernis …

   Mais il ne semble pas que ce fut pour honorer le fils d’un ancien héros de la France libre, mort en combat aérien au dessus de la Russie en 1943 quand il appartenait à la fameuse escadrille Normandie-Niemen, que la république déploya ce faste inouï pour recevoir le colonel Kadhafi en visite officielle du 10 au 15 décembre 2007.

   Il existe chez les dirigeants républicains français une fascination pour les dictateurs de tous poils. De Gaulle était fasciné par Staline et Pompidou par Brejnev. Giscard adorait les autocrates africains. Mitterrand, lui, aimait tous les dictateurs sans exception, sauf peut-être Pinochet, qui pourtant n’était pas le pire. Chirac avait été un temps orthographié « Chirak » par les caricaturistes : c’était l’époque de Saddam Hussein. Le même avait aussi reçu en grandes pompes à Paris le grand humaniste Fidel Castro. Doit-on également se souvenir de Léon Blum invitant, en 1937,  « Monsieur Hitler » en voyage officiel en France et s’empressant, en 1948, d’en faire disparaître toute trace dans les archives du Quai d’Orsay … On pourrait multiplier les exemples et, surtout, se demander ce qui, au fond, attire tant la république française chez les tyrans : la nostalgie de Napoléon, voire de Robespierre ? N’oublions pas que les mots de terreur et de terrorisme ont été forgés en France durant l’époque du même nom.

    On nous explique généralement que ce sont là affaire de gros sous et de commandes pour l’industrie française. Mais alors, pourquoi le volume des exportations de l’Allemagne est-il le triple de celui de la France sans que son gouvernement se sente tenu à ces bassesses ? Autre mystère.

      Voici donc Kadhafi à Paris. Ce serait lors des négociations menées en juillet précédent par Cécilia Sarkozy pour la libération d’infirmières bulgares détenues en Libye depuis 1999 que le « guide de la révolution » aurait obtenu une invitation à se rendre en France. Ce qui soulève déjà deux questions : en premier lieu, on ignorait jusqu’ici les compétences diplomatiques et la maîtrise des relations internationale de Mme Sarkozy : on se demande bien où elle a appris si vite et à quoi servent tous nos ambassadeurs et hauts fonctionnaires des Affaires étrangères … En second lieu, on s’interroge sur le montant du dédommagement financier, tenu secret du côté français tandis que Tripoli en faisait des gorges chaudes, parlant de chiffres exorbitants, entre plusieurs centaines et un milliard d’euros. Ah la générosité du contribuable français !

      L’arrivée de la «  lumière du désert » suscite évidemment bien des interrogations dans la presse française mais, heureusement, se dit le président de la république d’alors, les Français ne s’intéressent pas à ce qu’écrivent les journaux.

     S’ensuivent six journées rocambolesques, jalonnées par les multiples caprices du dictateur : sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny, surchauffée car dans le désert les nuits sont froides, ses exigences alimentaires, une visite en bateau mouche qui  provoque d’énormes embouteillages, une virée au Louvre totalement improvisée, une autre au château de Versailles, enfin une chasse dans la forêt de Rambouillet. Pourtant, le président français jubile : Kadhafi lui a dit qu’il ressemblait à Bonaparte.

    On trouve cela énorme, mais il y eut plus énorme encore auparavant : le 5 février 2005, sous la présidence donc de Jacques Chirac, Michèle Alliot-Marie, ministre français de la Défense, s’était rendue à Tripoli pour signer un accord bilatéral de coopération militaire. Tout sourire, la représentante de la république osait proférer sans rire qu’elle appréciait à sa juste valeur «  la volonté de la Libye de mettre fin à ses programmes d’armes de destruction massive et de rentrer totalement dans la communauté internationale ». Moyennant quoi, la France l’aiderait dans ses ambitions nucléaires. L’accord prévoyait des échanges de renseignements stratégiques, des transferts de technologies, et des livraisons d’armes sophistiquées. Armes que des soldats français trouveraient plus tard retournées contre eux car aux mains des rebelles qu’ils étaient venus combattre au Mali.

    En 2012, applaudissant au «  printemps arabe », la France mettrait tout son poids diplomatique et, accessoirement militaire, dans la chute de Kadhafi.

    Comme l’a écrit un autre romancier, Jean Rouad, à la fin de ses remarquables Champs d’honneur : « Oh ! Arrêtez tout ! »

Daniel de Montplaisir

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