Politique

Much ado about nothing

« Much ado about nothing » est le titre d’une comédie de William Shakespeare, écrite vers 1598-1599. Ce titre, traduit en français par “Beaucoup de bruit pour rien”, m’est venu à l’esprit en entendant plus qu’écoutant tout le bruit fait autour de la petite phrase d’une ancienne ministre nommée Nadine Morano. Sa référence à la « race blanche » a fait scandale dans la classe politique, de gauche comme de droite. Des voix venues du gouvernement, mais aussi du propre parti de la dame qualifient son propos d’ « abject », l’accusant de racisme.

Je ne me joindrai pas à cette surenchère médiatique et à cette mise au banc politique d’une personne, que je ne connais d’ailleurs pas et dont je ne puis juger des sentiments profonds. Je pourrais seulement commenter son propos en disant qu’il fut pour le moins maladroit.

Le terme de race  a toujours existé, dans toutes les langues du monde, et il a même reçu une onction scientifique durant la seconde moitié du XIXe siècle. L’utilisation politique de ce terme par certains partis d’extrême-droite au début du siècle suivant puis sa récupération comme fondement de l’idéologie nazie l’a rendu odieux. La décolonisation et les progrès de la science ont achevé de le faire disparaître du langage « politiquement correct ». Il est aujourd’hui établi qu’il n’existe pas de « race pure » et que la couleur de peau ne prédispose pas les êtres humains à avoir une intelligence supérieure ou inférieure. Cette pigmentation est le produit de multiples métissages, anciens ou récents, ainsi que du processus d’adaptation des espèces humaines à leur environnement géographique et climatique, lequel processus dura des centaines de milliers d’années, sans doute même des millions. En ce domaine, la recherche scientifique a d’ailleurs encore un long chemin à parcourir.

Nadine Morano a sans doute voulu dire que le territoire sur lequel se trouve aujourd’hui le pays nommé France a été peuplé, depuis des millénaires, par des populations à la peau claire. En cela, elle n’a sans doute pas tort. L’arrivée sur ce territoire de personnes à la peau plus foncée et aux cheveux crépus est un phénomène récent, au regard de l’histoire. Dire cela ne rend pas illégitime la présence de ces personnes sur le sol français. Du fait de l’esclavage puis du colonialisme, des Français à la peau claire ont d’ailleurs beaucoup contribué à l’arrivée « en métropole » de populations à la peau plus foncée. L’intégration puis le métissage se sont faits peu à peu, au fil des générations. Alexandre Dumas en fut un exemple illustre, en ce qui concerne le XIXe siècle.

J’ai vécu en Afrique subsaharienne pendant un quart de siècle (notez que je n’ai pas écrit « Afrique Noire » !) Dans cette partie du monde, il existe quelques pays aux sociétés métissées, en particulier dans les anciens territoires portugais tels que l’Angola, le Mozambique et surtout l’archipel du Cap Vert. L’Afrique du Sud, régie par une idéologie raciale pendant des décennies, est elle aussi une société métissée, même si la notion de race est toujours bien présente dans les débats politiques ou dans les enjeux économiques et même sportifs auxquels ce pays est confronté. Dans les autres pays où j’ai pu vivre, comme le Malawi, l’Ouganda, le Congo/Zaïre et le Soudan du Sud, pour l’écrasante majorité des citoyens et des politiciens, la nationalité est clairement liée à la couleur de peau : dans leur subconscient collectif, un Malawien, un Ougandais, un Congolais ou un Sud-Soudanais ne peut être que « Noir ». Une personne à la peau claire et aux cheveux non crépus sera toujours vue comme un étranger, même si elle est native du pays en question. Si Nadine Morano avait été une politicienne ougandaise et qu’elle eut déclaré que l’Ouganda était un pays de race noire, elle n’aurait choqué absolument personne ! Dans toute l’Afrique au sud du Sahara, on rencontre des Africains, en particulier des jeunes, dire combien ils sont fiers d’être « Noirs ». Personnellement, j’ai toujours critiqué cette fierté mal placée, considérant que l’on ne peut être fier d’un état de fait qui ne résulte aucunement d’un choix ou d’une action : on ne choisit pas sa couleur de peau, on naît avec. Il ne me viendrait jamais à l’idée de tirer la moindre fierté d’être « Blanc ».

Enfin et pour conclure, je trouve qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans ces cris d’orfraie entourant les malheureux propos de Madame Morano. En  1959, le général de Gaulle n’expliquait-il pas à Alain Peyrefitte que « c’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. » SOS Racisme va-t-il entamer une action en justice à titre posthume contre le grand Charles ?  En 2007, Christiane Taubira ne faisait-elle pas à RFI cette déclaration : « Nous sommes à un tournant identitaire. Les Guyanais de souche sont devenus minoritaires sur leur propre terre. »  Cette affirmation l’a-t-elle empêchée de devenir Garde des Sceaux de la République Française cinq ans plus tard ? En 2009, Anne Lauvergeon, patronne d’Areva, n’a-t-elle pas osé affirmer sur France 2 : “À compétences égales, eh bien désolée, on choisira (…) autre chose que le mâle blanc pour être clair“. Cette déclaration l’a-t-elle amené à quitter son poste ? L’homme qui occupe actuellement le poste de Premier Ministre ne regrettait-il pas que les « blancos » n’étaient pas assez nombreux dans je ne sais quelle banlieue ? Le summum, en ce qui concerne les petites phrases à connotation « raciales » semble avoir été atteint récemment avec la Présidente de France Télévision et ainsi que par un humoriste connu. Le 23 septembre, Delphine Ernotte a dit dans un entretien à Europe 1 que “On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans et ça, il va falloir que ça change“.  Guy Bedos, deux jours plus tard, a fait une déclaration à La Cinq qui aurait certainement dû être qualifiée d’ « abjecte » : «Zemmour est juif. Mais il veut être plus français que les Français… Mon grand-père était bâtonnier à Alger, il a milité pour le décret Crémieux qui a fait des juifs d’Algérie des Français. Rétrospectivement, quand je vois Zemmour, je le regrette.» A-t-on entendu un homme politique s’émouvoir de tels propos ?

Alors, de grâce, laissons Nadine Morano en paix ! Pour ma part, je préfère me rappeler que cette dame vient d’effectuer (avant sa fameuse « petite phrase ») un voyage au Proche-Orient que nos grands médias  ont ignoré. Elle a visité les camps de réfugiés syriens, tant en Jordanie qu’au Liban. Je ne me souviens pas d’avoir vu les contempteurs de cette députée européenne, de gauche comme de droite, aux côtés des victimes de la tragédie syrienne.

Hervé Cheuzeville 

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