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Réhabilitation des Habsbourg en Hongrie

En septembre 1944, c’est un véritable rouleau compresseur soviétique qui submerge la Hongrie, cette monarchie sans roi dirigée depuis le 1er mars 1920 par l’amiral Miklós Horthy de Nagybánya. Pris en étau entre ses alliés nazis et les troupes de Staline, Horthy voit son régime autoritaire et nationaliste vaciller sous les coups de la faucille et du marteau. Le 13 février 1945, Budapest tombe après un mois de siège. Les communistes occupent le pays, votent la déchéance des Habsbourg et proclament bientôt la république. 27 ans après la chute du mur de Berlin la Hongrie renoue avec son passé et réhabilite sa dynastie royale. Aujourd’hui, un Habsbourg pourrait-il de nouveau ceindre la couronne de Saint-Etienne ?

Théâtre de convoitises territoriales (Autriche et Turquie) et luttes intestines entre magnats (nobles) depuis le XVIème siècle, la Hongrie tombe définitivement dans l’escarcelle des Habsbourg en 1715. L’Empereur Charles VI proclame alors l’indivisibilité de la Hongrie et des provinces héréditaires des Habsbourg au prix d’un compromis avec les magnats. Si les frondes nobiliaires continuent de se multiplier, la Hongrie demeure cependant fidèle à sa dynastie. Elle fait front, avec elle, face à la révolution française et aux promesses d’indépendance de Napoléon Ier qui ne rencontrent que peu d’échos. Le « Printemps des Peuples » voit l’émergence des prémices du nationalisme hongrois. Encore à ce jour, l’éphémère leader de la révolution (mars-1848-août 1849),  Lajos Kossuth reste une véritable icône parmi ses concitoyens.  La répression est féroce, plus de 100 meneurs de cette rébellion sont passés par les armes ou pendus. Parmi les exilés jugés par contumace, se trouve le comte Gyula Andrássy.  Avec ses cheveux sombres et bouclés, coiffés en bataille, ses yeux noirs, le comte est l’archétype du Hongrois. Il va être, avec l’Impératrice Elizabeth d’Autriche, l’artisan de la réconciliation entre l’Autriche et la Hongrie. Le 30 mars 1867, c’est une Diète restaurée qui vote le compromis établissant la double monarchie d’Autriche-Hongrie. Le gouvernement comme le parlement du royaume de Hongrie, dont François-Joseph Ier et Sissi ont reçu la couronne, seront désormais uniquement responsables devant l’empereur.  Restée féodale, la société hongroise du XIXème siècle est inégalitaire. La noblesse rassemble entre ses mains la majeure partie des pouvoirs politiques (notamment ceux des magnats calvinistes Tisza de Borosjenő et Szeged qui vont diriger le pays entre 1875 et 1917, de père en fils)  et économiques (un tiers des terres agricole leur appartient). Le déclenchement de la première guerre mondiale va profondément diviser le pays. Il y a ceux qui, comme le comte Mihály Károlyi de Nagykáry, prônent la prudence et d’autres, comme le comte Albert Apponyi, qui voient là un moyen d’agrandir le pays à l’heure de la montée des nationalismes. Budapest couronne en novembre 1916 son dernier roi. Charles IV de Habsbourg-Lorraine (1887-1922) succède à François-Joseph décédé après 68 ans de règne. Ses tentatives de paix séparée et de fédéralisation de l’empire ne sauveront pas la «kaiserlich und königlich» (K.und K.). En octobre 1918, en quelques semaines, le régime des Habsbourg en Hongrie va tomber (révolution des chrysanthèmes). L’ancien Premier ministre István Tisza est assassiné et le comte Károlyi, qui avait été nommé à la tête d’un gouvernement de coalition par le régent et archiduc-Palatin Joseph de Habsbourg-Lorraine,  profite des troubles pour proclamer la république le 16 novembre 1918.

Pour peu de temps. Les communistes de Béla Kun orchestrent un coup d’état et proclament la République des Conseils sur fond de patriotisme accru. En effet, une commission française avait, après la guerre, retracé de nouvelles frontières au profit de la Roumanie, accentuant le mécontentement et la frustration des magyars. C’est encore pourtant cette même France qui, pour contenir «  le péril rouge à ses frontières », va soutenir une contre-révolution, avec sa tête, l’ancien aide de camp de François-Joseph, l’amiral Miklós Horthy qui entre triomphalement à Budapest le 6 août 1919. L’archiduc Joseph reprend alors la tête de l’état hongrois et cherche à favoriser le retour de l’Empereur d’Autriche Charles sur son trône hongrois. Les Alliés craignent cependant qu’un retour des Habsbourg ne déstabilise l’Europe centrale et force l’archiduc à se démettre à la fin du mois d’août en faveur d’Horthy. Charles IV ne l’entend pas pourtant ainsi. S’il s’est « retiré des affaires publiques », il n’a pas abdiqué et demeure le roi de Hongrie. Par deux fois, il tente en vain de récupérer son trône (mars et octobre 1921). C’est un échec, Horthy prétexte qu’il ne peut garantir la sécurité du monarque et envoie ses troupes. Charles doit quitter la Hongrie, cette royauté sans monarque, pour un exil sans retour.

Le régime de Miklós Horthy a toutes les apparences d’une démocratie. S’il existe une opposition parlementaire, c’est l’amiral qui règne cependant en réel souverain autoritaire sur le pays. Entre 1926 et 1935, le Parti Légitimiste reste le second parti d’opposition dans le pays. Horthy ne peut ignorer ces monarchistes. Face à lui le comte Antal Sigray, représentant de l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine (1912-2011), le fils aîné de Charles. Il prône l’instauration d’une monarchie sociale et chrétienne, fusionne plusieurs mouvements royalistes, organise une massive manifestation dans la capitale et s’oppose aux lois raciales votées en 1938. L’invasion nazie de l’Autriche en 1938, baptisée du prénom du prétendant au trône (Plan Otto), ruinera les derniers espoirs des monarchistes. Horthy accepte rapidement de collaborer avec le chancelier Hitler. Il récupère ainsi les parties hongroises de la Tchécoslovaquie et de la Roumanie. Il venge l’humiliant traité de Trianon que les Alliés avaient  imposé à la Hongrie le 4 juin 1920 et qui diminuait le pays des 2/3 de sa superficie. Mais l’omniprésence des nazis dans les affaires hongroises menace bientôt de faire passer le pays du côté des alliés. Le Premier ministre britannique, Winston Churchill se montre alors favorable à la création d’une Confédération des États Danubiens sous l’autorité d’Otto de Habsbourg- Lorraine. La régence ne peut bientôt plus faire face à la pression allemande qui met au pouvoir un nouveau régime collaborateur qui déporte des milliers de monarchistes dont Sigray. Au régime pro-nazi succède un autre contrôlé par l’Armée rouge. Le 16 novembre 1945, le cardinal Primat de Hongrie József Mindszenty, fervent légitimiste, reçoit la visite du Premier ministre Zoltán Tildy. L’entrevue est houleuse. Il sonne la charge. La plus haute autorité ecclésiastique catholique du pays  s’oppose à la création d’une république. Le gouvernement pro-soviétique réplique en faisant voter une « loi pour la protection de la République » et le fait emprisonner (1949-1956) pour activités contre-révolutionnaires.

Toute sa vie, Otto de Habsbourg va se battre contre l’idéologie communiste en Hongrie dont il demeure le souverain titulaire. Il va suivre avec intensité les événements de Budapest en 1956. Il multiplie les déclarations à la radio, mobilise ses contacts internationaux à l’Organisation des Nations Unies. En vain.

Alors que le communisme montre ses premiers signes d’érosion, les Habsbourg font un retour inattendu. Le 13 juillet 1988, sans prévenir les autorités communistes, l’archiduc débarque à Budapest durant 48 heures, les prenant de court. C’est un triomphe. La dynastie n’a pas été oubliée et devient une alternative. En 1990, on lui propose la présidence d’une Hongrie libérée. Il refuse, lui préférant le combat pour l’intégration de la Hongrie au sein de l’Europe. Mais celui qui a marqué les esprits en organisant un « pique-nique à la frontière, permettant à des milliers d’Est-Allemand de fuir, coupe de facto les efforts du Parti légitimiste hongrois (Magyar Legitimista Párt) qui tente d’entrer au parlement (le mouvement devra cessera ses activités politiques en 1998).

Son fils cadet, l’archiduc Georg de Habsbourg-Lorraine s’installe en Hongrie (1992). Il n’est pourtant pas le seul Habsbourg à vivre dans le pays. Sa branche palatine, représentée aujourd’hui par le septuagénaire archiduc Géza, n’a jamais quitté le pays en dépit de ses bouleversements politiques et de ses différents avec l’impératrice Zita qui soupçonnait l’archiduc Joseph d’avoir tenté de s’emparer de la couronne alors qu’il était régent. Les négociations pour l’entrée de la Hongrie dans l’Union européenne poussent le gouvernement socialiste du Premier ministre Gyula Horn à nommer l’archiduc Georg ambassadeur en 1996 puis Président de la Croix-Rouge hongroise en 2005. La nostalgie de l’ancien empire reste présente dans les consciences hongroises. Preuve s’il en est, son mariage en 1997 drainera des milliers de Hongrois à l’église Saint-Etienne.

La réhabilitation des Habsbourg connaît son apogée avec le deuxième gouvernement du Premier ministre Viktor Orban (depuis 2010). Le Comte Albert Apponyi, principal leader du mouvement monarchiste de l’entre-deux-guerres, avait résumé ainsi le légitimisme hongrois : «le légitimisme n’est pas une question de parti, mais le garant constitutionnel de notre intégrité et la continuité de notre foi  ». Viktor Orban l’a bien compris et insuffle un vent néo- horthyste à sa politique nationaliste. Il va multiplier les gestes en faveur de l’ancienne dynastie royale. A commencer par modifier la constitution, laissant la question du retour de la monarchie ouverte (2011). Le mot république est supprimé et on y rajoute un nouveau préambule « Que Dieu bénisse les Magyars ». Tout le cérémonial empreinte à ce qui fut un temps le royaume de Hongrie jusqu’aux costumes des gardes de la couronne de Saint-Etienne. Lors du décès de l’archiduc Otto de Habsbourg en 2011, le gouvernement envoie ses condoléances officielles à la famille impériale, des représentants à ses funérailles, organise des messes et observe une minute de silence au parlement à la mémoire de celui qui lut leur roi jusqu’en 1946.  Le 7 décembre 2015, c’est un autre membre de la branche palatine, connu pour son conservatisme ultra-catholique qui est nommé ambassadeur de Hongrie au Saint-Siège (l’archiduc Edouard). Les Habsbourg viennent de retrouver toute leur place de « champion du catholicisme » au sein de la Mitteleuropa. Des soutiens…les Habsbourg n’en manquent d’ailleurs pas !  Le député fondateur du Parti Jobbik ,Gábor Vona Zázrivecz, dans un entretien en 2013, déclare ne pas être opposé au retour des Habsbourg sur le trône ou encore en novembre dernier,  le ministre des Ressources Humaines, Zoltán Balo, qui ne cachait son admiration pour la dynastie alors que le pays célébrait le 100ème anniversaire du couronnement de l’Empereur Charles Ier comme roi de Hongrie, inaugurant en plein Budapest  et officiellement avec les archiducs Karl de Habsbourg Lorraine, prétendant à la couronne austro-hongroise, et son frère Georg un buste de leur grand-père.

La restauration de la monarchie ? Certains l’envisagent comme le Parti monarchiste constitutionnaliste hongrois ou le Parti du Royaume Hongrois (Magyar Királyság Párt) qui font campagne en ce sens. Le pays s’est désormais paré de tous les atours de l’ancienne régence. A la tête de la contestation anti-européenne (notamment sur la question des migrants où Georg de Habsbourg, ambassadeur itinérant, a appelé l’Europe à revoir sa politique d’intégration), la Hongrie a ajouté un pas supplémentaire dans sa politique de reconnaissance de sa dynastie en acquérant il y a quelques semaines de cela les archives personnelles de l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine au détriment de son voisin autrichien. L’histoire des Habsbourg en Hongrie reste encore à écrire et elle pourrait bien de nouveau déposer sur leurs têtes, la couronne de Saint-Etienne !

Frederic de Natal

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