Europe / international

Qui était Boris Efimovitch Nemtsov ?

Quinquagénaire assassiné le 27 février sur un pont de 4 balles dans le dos en face du Kremlin (tout un symbole), il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que nos politiques condamnent à l’unisson la lâcheté de cet acte.

La presse semble avoir tranché à demi-mots sur la responsabilité du Président Poutine dans le meurtre de cet opposant au pouvoir quand ce n’est pas le Président Ukrainien qui affirme que Nemtsov allait faire quelques révélations sur l’implication russe dans le conflit ukrainien. Mais au fait qui était Boris Efimovitch Nemtsov dont la quasi-totalité de nos concitoyens ne connaissent pas ?

Nemtsov est, avant d’être un opposant au gouvernement, un homme du sérail du Kremlin sous la présidence de Boris Eltsine. Physicien, il a la trentaine à la chute de l’URSS et s’enthousiasme pour la fin de l’hégémonie communiste dans son pays avant de rejoindre naturellement les forces du changement incarnées par un Boris Eltisne, charismatique debout sur un tank. Nommé en mars 1997 ministre des mines, l’homme n’est pas un inconnu en Russie. En 1986, il organisait déjà des manifestations contre les défauts du réacteur nucléaire de Tchernobyl. Elu député de Nizhny Novgorod, c’est dans le cadre d’un programme (dont il est l’initiateur) de réforme de l’agriculture et son ouverture au marché étranger qu’il rencontre Boris Eltsine impressionné par le jeune homme. Dès lors, Nemtsov devient un habitué du Kremlin et obtient le poste de gouverneur de Novgorod en 1991. Ses qualités de gestion sont même applaudies par Margaret Tatcher en visite dans la province.

Elu député en 1993, Vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, il est confronté aux difficultés des arcanes du pouvoir et tente de s’imposer alors que la presse russe voit déjà en lui le dauphin d’Eltsine. Un Président russe qui songe alors à restaurer la monarchie après lui et nomme Nemtsov comme médiateur des négociations entre le gouvernement russe et la famille impériale. Au Kremlin,  l’étoile montante du nouveau libéralisme russe est l’objet de critiques et de jalousies. Nemtsov n’est pas un angélique non plus. Il a participé aux jeux de pouvoirs en essayant de se débarrasser de ses rivaux comme le Général Lebed ou déjà Boris Berezovski à l’époque (renvoyé en 1997, Berezovski avait accusé Nemtsov d’avoir organisé son limogeage). Ayant été nommé au prestigieux ministère du secteur des mines et chargé à la fois de la reprise en main des « monopoles naturels » (dont le puissant groupe gazier Gazprom), Nemtsov avait acheté une large parti des médias en 1996/97 afin qu’ils ne fassent pas remonter certains scandales. Lorsqu’en juin 1998, Poutine est nommé chef du FSB (Ex-KGB), il ne faudra pas que quelques jours à Eltsine pour trancher et remercier Nemtsov. La rancune entre les deux hommes ne date donc pas de hier. Elle est vieille de plus d’une décennie. 

C’est en homme frustré que Nemtsov entre dans l’opposition, allant même à soutenir l’hypothèse d’un assassinant en douceur de son ancien mentor par le FSB (“Selon lui, le comportement bizarre de Eltsine a été provoqué par de «drogues fortes » données par les médecins du Kremlin, ce qui étaient incompatibles même avec une petite quantité d’alcool, boisson dont Eltsine pouvait abuser. Rejoint en cela par l’ancienne porte-parole et journaliste Yelena Tregubova qui lors de la visite de Boris Eltsine à Stockholm en 1997 avait remarqué que le Président russe commençait à dire des bêtises, perdait son équilibre, et était presque tombé sur le podium après avoir bu qu’…un seul verre de champagne).

En 2008, après différentes tentatives de former plusieurs mouvements politiques qui seront tous des échecs électoraux (aux législatives de 1999, il est élu à la Douma sous l’étiquette du le parti libéral SPS [l’Union des forces de droit]) il fonde une plateforme d’opposition à Poutine sous le nom de Solidarnost (il rallie l’ex-champion d’échecs Garry Kasparov) tout en continuant de flirter avec les monarchistes. Ayant conduit l’organisation des funérailles des restes de la famille impériale avant son brutal limogeage, il participe à une conférence en 2009 de différents partis politiques sur le thème de la restauration impériale. Mais au fur et à mesure que les Romanovs se rapprocheront du pouvoir russe, Nemtsov s’en éloignera et en 2012 il affiche désormais ses préférences en adhérant et co-dirigeant le Parti républicain de Russie. Une position qui lui vaudra l’animosité immédiate des monarchistes russes qui l’accusent ouvertement de “traître à la patrie”. D’ailleurs, on pourra lire dans la presse d’extrême droite monarchiste russe des relents d’antisémitisme dirigé contre l’ancien dauphin d’Eltsine (le père de Boris Nemtsov était juif et avait baptisé son fils à la religion orthodoxe quand elle ne révèle pas à juste titre que son compte en banque a été subitement gonflé pour sa campagne au titre de maire de Sotchi par des quelques milliers de dollars venus des … Etats-Unis).

On peut constater qu’au gré de ses instabilités politiques et alliances difficiles où primait ses désirs de revanche contre Vladimir Poutine, il s’était érigé en farouche opposant au gouvernement non s’en s’aliéner tous les secteurs de la vie politique russe (son récent soutien à Charlie Hebdo n’avaient été guère du goût des djihadistes du Caucase). Si les médias occidentaux lui offre une image d’icône de résistance au pouvoir autocratique du dirigeant russe actuel, il n’en reste pas moins que Boris Nemtsov était un apparatchik issu du sérail politique du Kremlin. En décembre 2013, il avait apporté son soutien officiel à l’Ukraine et militait en faveur de celle-ci pour son entrée dans l’Europe. Il avait certainement signé son arrêt de mort à ce moment-là dans un pays majoritairement en faveur de l’annexion de la Crimée ukrainienne (sondage en mai 2014 mené par le Centre Panrusse d’étude de l’opinion publique auprès de 1600 personnes provenant de 130 villes dans 42 régions, territoires et républiques de la Russie avec plus de 80% des sondés soutenant les actions de Poutine).

Voix discordante dans une Russie qui se veut nationaliste, auteur de plusieurs rapports critiquant ouvertement la gestion du Kremlin dans les affaires politiques et publiques du pays, Boris Nemtsov représentait plus un ennui pour le gouvernement de Poutine mais certainement pas son premier opposant. Son mouvement ne faisant à peine que 1% aux élections, n’avait aucun représentant à la Douma, à peine 2 sièges provinciaux, il n’en demeure pas moins que la liberté d’expression en Russie a subit un nouvel accroc dans cette image lisse et huilée que tente d’imposer le gouvernement russe à l’Occident et qui va certainement profiter aux autorités de Kiev et l’Europe dans une guerre où le moindre symbole sert les intérêts des uns et des autres.

Frédéric de Natal

Quelques liens internet :

http://articles.latimes.com/1997-06-21/news/mn-5545_1_constitutional-monarchy (Anglais)

http://www.larousse.fr/archives/journaux_annee/1998/69/luttes_de_pouvoir_en_russie

http://www.sylmpedia.fr/index.php/Georges_Romanov

http://www.20minutes.fr/monde/1551779-20150301-meurtre-nemtsov-differentes-hypotheses-crime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.