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[Exclusif] Entretien avec Cyrille Boulay, expert en art

 “Je n’ai peut-être jamais rien lu dans ma vie qui m’ait si profondément ému, et aussi sérieusement éclairé. Ce qui fait l’extraordinaire intérêt de ce livre, c’est qu’il n’est pas, comme tant d’autres, l’histoire des faits vulgaires, il est surtout l’histoire des âmes : des âmes qui ont le plus souffert pendant la Révolution française, et de celles qui ont le plus fait souffrir”. C’est ainsi que le 20 mai 1866, Félix Dupanloup (1802-1878), évêque d’Orléans, et un temps chargé d’enseigner la théologie au futur Henri V, sanctionne Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort ; captivité de la famille royale au Temple écrit en 1853 par le vicomte Alcide-Hyacinthe du Bois de Beauchesne (1804-1873), premier des passionnés – non seulement dans le temps, mais aussi en volume? – de l’histoire de la famille royale pendant la Révolution française. 

 Lui-même avait décrit son œuvre comme suit : “J’ai remonté à la source de tous les faits déjà connus ; je me suis mis en relations avec les personnes encore vivantes aux qu’elles le hasards de leur position ou les devoirs de leur charge avaient ouvert les portes du Temple”.

  Il est désormais possible de le vérifier de ses yeux car la maison Coutau-Bégarie mettra aux enchères mardi et mercredi prochains les archives royales du vicomte de Beauchesne, c’est-à-dire du jamais vu pour la majorité de ces riches correspondances, plans, notes, et objets aussi variés qu’importants rassemblés par ce passionné. Seront aussi présentés lors de cette vente “Noblesse et Royauté – Souvenirs Historiques” dont le Commissaire-priseur Olivier Coutau-Bégarie est coutumier et spécialiste, la bibliothèque des Rois de Sardaigne, de Savoie et d’Italie, ainsi que des lots liés aux Orléans et à Napoléon.

 Cyrille Boulay, expert auprès de la maison Coutau-Bégarie, mais aussi collectionneur, écrivain et historien, sollicité par de nombreux musées et autant d’institutions, a reçu en exclusivité Vexilla Galliae à l’étude parisienne où il officie et nous présente ces morceaux d’Histoire, tout en évoquant la passion qui l’anime, la petite histoire dans la grande, ainsi que la science qui sollicite certains de ces souvenirs afin de mener à bien des analyses d’A.D.N.

Alphée Prisme

Propos recueillis par Aphée Prisme

 Vexilla Galliae : Peut-on qualifier la collection du vicomte Alcide de Beauchesne d’exceptionnelle?

 Cyrille Boulay : Oui, et pour deux raisons. La première est que le vicomte Alcide de Beauschene, qui était gentilhomme du roi Louis XVIII, a été le premier grand enquêteur civil sur la fin de la famille royale et notamment sur la mort de Louis XVII. De plus, pendant vingt années, il a enquêté auprès des ultimes témoins de cette époque – notamment les deux derniers gardiens de Louis XVII et de Madame Royale au Temple : Jean-Baptiste Gomin et Etienne Lasne – et a collecté partout les témoignages de nombreuses sources pour aboutir à la publication d’un livre sur cette enquête (Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort, 1853). C’est aussi merveilleux car tous les documents que nous mettons en vente sont issus de cette collection et n’ont absolument pas bougé dans la famille, comme les exceptionnelles pages écrites par le Dauphin et corrigées de la main de Louis XVI, qui ont été directement léguées à la mort de Gomin par sa veuve au vicomte de Beauchesne (photo 1). Cela signifie que depuis l’origine (l’emprisonnement de la famille royale) jusqu’à nos jours, nous avons une traçabilité de tous les lots mis en vente. Dans cet ensemble, il y a des mèches de cheveux de Louis XVI et de Louis XVII, mais aussi de nombreuses pièces originales écrites notamment par Madame Royale. En effet, Gomin a accompagné cette dernière en 1795 dans l’échange qui a été fait à Bâle entre sa personne et les prisonniers français afin d’être libérée et de pouvoir rejoindre son oncle l’empereur Joseph II d’Autriche.

 V. G. : Aviez-vous entendu parler de cette collection avant d’avoir été contacté par ses actuels propriétaires? Sont-ils apparentés au vicomte de Beauchesne?

 C. B. : Je n’en connaissais pas l’existence ; en revanche je savais qui était Alcide de Beauchesne et j’avais lu son livre il y a très longtemps. J’ai fini par retrouver cet ouvrage sur l’internet, ce qui m’a d’ailleurs permis d’y collecter les informations écrites pour les recouper avec les documents originaux que nous avions, ce qui est très important. Quant aux derniers propriétaires ce sont tout simplement des descendants de la famille, mais, au-delà de l’appartenance, certaines de ces pièces ont été exposées en 1989 lors d’une exposition “Louis XVII” à Versailles ; elles étaient donc déjà considérées à l’époque comme exceptionnelles.

 V. G. : Quels sont selon vous les lots les plus émouvants dans cette vente que vous avez expertisée ? Et quels sont ceux dignes d’un intérêt historique?

 C. B. : Tous ces objets ont un côté émotionnel puisqu’en fin de compte on touche à une légende. Et s’ils font des prix aussi élevés, c’est qu’en définitive ceux qui font l’acquisition de telle ou telle pièce ont le sentiment de s’approprier, d’acheter une part de l’Histoire. Ce qui est aussi merveilleux, c’est de savoir que ces documents rentreront dans des collections importantes – car nous sommes quand même dans un seuil d’investissement élevé, ce qui n’est malheureusement pas à la portée de toutes les bourses – qui elles-mêmes constitueront partie d’un autre ensemble. Et ceci est une chose heureuse.

  Il est évident que le devoir d’écriture du Dauphin corrigé de la main de Louis XVI est exceptionnel (photo 1). J’ai déjà eu l’occasion d’avoir deux pièces manuscrites du Dauphin, mais jamais avec l’écriture de Louis XVI, d’autant plus que celle que je propose fait deux pages recto-verso, alors qu’auparavant j’avais présenté une page et un quart de page… Ensuite, dans cet ensemble, nous avons rentré quelques jours avant la clôture du catalogue une pièce de tapisserie brodée par la reine (et par sa belle-sœur), et il est émouvant de constater qu’elle utilise les derniers morceaux de laine qu’il lui reste, d’où les couleurs disparates (photo 2). On sent que c’est la fin de quelque chose. Mais c’était aussi pour la reine une façon d’occuper son temps, quand elle éduquait sa fille tandis que Louis XVI élevait son fils. Il y a par ailleurs une lettre extraordinaire de 1789 dans laquelle Louis XVI écrit à son cousin alors archevêque de Paris, lui expliquant que les premiers révolutionnaires sont emprisonnés à l’abbaye et qu’il a tellement foi en l’espèce humaine qu’il préfère libérer ces braves hommes, ne sachant pas du tout quelle va être la conséquence de tout cela (photo 3). Je pense que Louis XVI est un homme bon, et peut-être peut-on imaginer que si la fuite à Varennes, une erreur, n’avait pas eu lieu, il aurait pu davantage composer avec un gouvernement actuel. 

 En fait, je crois que tout a un intérêt historique, car ces objets ont été soigneusement collectés et, du petit plan de l’emplacement de la tombe de Louis XVII à la lettre autographe signée “Marie-Antoinette”, tout est d’intérêt. A propos de cette lettre, il faut dire que la reine écrivait généralement des billets  non signés où elle plaçait parfois ses initiales, contrairement à celle-ci, signée de son prénom composé en entier (photo 4). Se dire que tout cela, réuni ici, a survécu aux aléas de l’histoire est très émouvant.

 Il est ensuite très drôle de voir que Beauchesne, excellent dessinateur ayant eu accès à diverses archives, reproduit en fac-similés tous les documents officiels de l’époque ! Et ces derniers n’ont pas une grande valeur marchande mais une valeur historique capitale car on n’y a jamais accès et je ne saurai vous dire où se trouvent les originaux aux Archives actuellement…

 V. G. : Avez-vous souvenir d’une anecdote amusante ou surprenante survenue au cours de la préparation de cette vente ou bien lors de vos expertises précédentes?

 C. B. : La magie de ce métier, c’est qu’on ne sait jamais ce que l’on va découvrir. On est toujours en train d’apprendre quelque chose. Les gens viennent vous voir, on ignore ce qu’ils possèdent et ce qui m’amuse n’est pas la notion de commerce, à la portée de tout le monde, mais la question de pouvoir réhabiliter ces objets dans l’Histoire pour ensuite les vendre avec leur pedigree à des collectionneurs qui en prendront soin. Je crois que mon rôle, si j’en ai un dans ce métier, est d’être simplement le transmetteur de la connaissance et de la mémoire.

 Par exemple, dans les archives Beauchesne se trouvait une petite enveloppe avec une annotation de la main expliquant qu’il s’agit d’un échantillon d’une robe portée par Marie-Antoinette… On retourne cet objet dans tous les sens mais personne ne savait ce que c’était. En fin de compte, c’était une toute petite enveloppe et j’ai ouvert par hasard le dos de celle-ci : c’était tout simplement à l’intérieur! (photo 5). Il y a aussi un destin des objets : si on doit les avoir, on les a. Au sujet de cette tapisserie de Marie-Antoinette, un autre membre de la famille m’a proposé un échantillon semblable il y a quelques années. Il n’a finalement pas voulu s’en séparer à ce moment-là. Et aujourd’hui, le hasard fait que j’apprends l’existence en réalité de quatre morceaux découpés sur la tapisserie d’origine qui faisait plus de deux mètres. Chacun des quatre enfants de cette personne a hérité d’un morceau. Il reste donc trois morceaux… Dans un sens c’est un peu dommage car le vendeur actuel aurait voulu les réunir mais les trois autres membres de la famille ont refusé de se séparer de leur quart respectif. Du coup, lorsque notre lot proposé sera mis en vente avec le prix que l’on espère, les trois autres perdront de leur fraîcheur s’ils apparaissent un jour en salle. Mais c’est une autre histoire.

 V. G. : Y a-t-il un objet, à l’existence attestée ou non, et ayant trait aux Bourbons, que vous aimeriez voir passer un jour entre vos mains?

 C. B. : Je ne peux pas savoir car je ne le connais pas encore… Mais je vous répondrai que le fait d’avoir, dans le fonds Beauchesne, collecté par lui-même, une lettre manuscrite de donation de la veuve Gomin et qui précise à l’intérieur les choses qu’elle donne (le devoir du Dauphin, les mèches de cheveux, etc) signifie que l’on a non seulement l’origine absolue mais aussi les anecdotes. On apprend par exemple dans cette lettre que le mot expliquant l’historique du voyage de Madame Royale était dans le portefeuille, lui-même dans la poche de Gomin et cela durant toute sa vie. Voilà une information que l’on avait pas. 

 Nous disposons donc de l’origine, de la date de la donation et nous avons la certitude que chaque objet est demeuré dans la collection jusqu’à maintenant. Cela veut dire qu’au sujet de tests A.D.N.  que l’on peut faire aujourd’hui avec des mèches de cheveux quant à la survivance potentielle d’un Louis XVII ou autre, on pourrait tout à fait en faire l’analyse, puisque l’on sait que ces mèches de cheveux que nous mettons en vente ont été remises par une lettre de Madame Royale à Gomin, ce dernier les a ensuite transmises à Beauchesne et qu’elles y sont depuis lors.

 Cette traçabilité incontestable est merveilleuse car le plus souvent le petit papier qui accompagne un souvenir historique fini par s’égarer, et ainsi l’origine de l’objet en question, ce qui peut poser problème… Un de mes confrères avait acheté dans une vente courante (non cataloguée) une tasse et sa sous-tasse dans un écrin en cuir pour une cinquante euros. Une fois chez lui, il observe que c’est peu banal de faire un écrin au XIXe siècle pour une tasse datant du XVIIIe, le contenant valant quasiment plus cher que le contenu. Après avoir nettoyé le tout, il trouve au fond de l’écrin une petite lettre où l’on peut lire : ” tasse de service de la reine Marie-Antoinette dont elle s’est servie à la prison du Temple”. Il en est de même lorsque fut retrouvée au fond de l’armature d’un fauteuil lors de sa restauration à Versailles une lettre glissée par Marie-Antoinette. 

 C’est ce pourquoi je trouve mon métier merveilleux. Dans un tout autre domaine, les Romanov, je suis actuellement sollicité pour faire l’inventaire d’une collection oubliée depuis quarante ans et dont les héritiers ignoraient l’existence !

 V. G. : Enfin, quels conseils prodigueriez-vous à un(e) jeune amateur(trice) d’objets historiques qui souhaiterait commencer une collection cohérente?

 C. B. : Je crois qu’une collection n’est pas une question de prix mais d’intérêt. Une collection évolue ; ce qu’on achète lorsqu’on est jeune change par la suite. Il faut bien sûr avoir le coup de cœur et la rencontre passionnée avec un objet ; c’est le plus important. Mais il vaut mieux acheter une pièce remarquable un certain prix plutôt que plein de petites choses moins chères. 

 Après tout, on ne sait pas concrètement expliquer une collection mais à mon sens les plus grands collectionneurs sont les plus grands spécialistes car ils ont acheté les objets avec leur argent, ils les ont étudiés, décortiqués et ont une réponse à des questions. Je suis moi-même collectionneur depuis fort longtemps, ce qui m’a amené a faire ce métier aujourd’hui mais lorsque je suis face à des questions que me pose un objet, je contacte deux ou trois amis qui me donnent les réponses car eux auront su le lire.

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Les photos ci-dessous ont été prises à l’étude Coutau-Bégarie ainsi qu’à “l’Espace 12 Drouot”.

 – Catalogue en ligne de la vente Coutau-Bégarie les 3 et 4 mars 2015   :  http://s309339927.onlinehome.fr/PDF/2015/02_SH_3_4mars2015.pdf

 – Site internet de Cyrille Boulay :  http://www.cyrilleboulay.com/

 

 Louis XVII corrigé par Louis XVI (lot 173, détail). 

Tapisserie de Marie-Antoinette et Madame Elisabeth (lot 218, détail).

Lettre signée par Louis XVI  (lot 217, détail).

Lettre signée par Marie-Antoinette, reine de France (lot 147, détail).

Fragment en soie d’une robe de Marie-Antoinette (lot 151, détail).

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