Chretienté/christianophobie

Vandalismes

Une légende noire entoure les Vandales, censés avoir été des pilleurs et des destructeurs pires que les autres peuples germaniques de la fin de l’empire romain. Nous devons cette caricature, comme tant d’autres, à Voltaire qui employa pour la première fois en 1734 ce terme en un sens péjoratif. Quant au mot « vandalisme », il fut forgé en 1794 par l’abbé Grégoire, prêtre constitutionnel et député de la Convention, pour dénoncer les destructions massives opérées par les révolutionnaires. Saint Augustin, lui qui vit, avant de mourir en 431, les Vandales assiéger Hippone qui allait tomber entre leurs mains, aurait, au moins sur ce point, partagé l’avis du philosophe des Lumières haïssant l’Eglise et du prêtre renégat participant à la dévastation de la religion.

                        L’histoire de France ne cesse d’être jalonnée par le vandalisme dont l’origine remonte aux invasions barbares, germaniques et asiatiques, du Haut Moyen-Age, mais qui va surtout se concrétiser, à une échelle inimaginable, lors de l’hérésie protestante, puis pendant la révolution jusqu’au Premier Empire, en se poursuivant localement lors de la Commune de Paris, sans parler des énormes destructions volontaires jusqu’à nos jours. Il semble que le Français, pourtant héritier d’une richesse artistique et spirituelle considérable, ait pris un malin plaisir à s’acharner contre l’héritage, réduisant souvent en cendres et en tas de pierres ce que les siècles avaient patiemment érigés. Il faut lire, le cœur serré, le maître ouvrage de Louis Réau, publié en 1958, et complété en 1994 par Michel Fleury et Guy-Michel Leproux : Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l’art français. On ressort de cette lecture de plus de 1000 pages le souffle coupé et les larmes aux yeux.

                        Le vandalisme semble être inscrit dans les gènes français, plus encore que dans ceux d’autres peuples. Les rages iconoclastes des Huguenots, des sans-culottes et du clergé de l’après concile de Vatican II ne peuvent s’expliquer que par une origine diabolique et non point seulement par un choix idéologique. Les Soviétiques furent des enfants de chœur en comparaison de ces trois types d’hommes qui, systématiquement, avec rage et application, passèrent au peigne fin la moindre parcelle de territoire pour en arracher ses trésors artistiques, pour les marteler, les brûler, les fondre, les vendre, les jeter aux ordures.

                        Les chefs religieux et politiques protestants n’eurent (et n’ont) de cesse de minimiser l’étendue et la gravité du vandalisme commis par leurs coreligionnaires (laissons de côté ici les massacres). Ce ne serait qu’un péché véniel car il est possible de reconstruire ce qui a été détruit. La reconstruction, sans cesse recommencée évidemment car l’homme ne baisse pas les bras, ne peut pas faire revivre le passé à l’identique. Une partie de l’âme s’est donc envolée à jamais. Michelet, que personne ne peut soupçonner de cléricalisme, écrit justement dans son Histoire de France : « Hommes grossiers, qui croyez que ces pierres sont des pierres, qui n’y sentez pas circuler la sève et le sang. La pierre s’anime et se spiritualise sous l’ardente main de l’artiste qui en fait jaillir la vie. » (T.III) Le vandalisme « à la française », protestant, révolutionnaire, communard ou post conciliaire, ne se contente pas de réduire en poussière des châteaux, des églises, des sculptures, des peintures, du mobilier liturgique et des trésors d’orfèvrerie : son acharnement veut atteindre l’âme-même de ce que ces édifices et ces objets représentent. Philippe Muray, dans son XIX° siècle à travers les âges, avait bien montré comment, à la veille de la révolution, le déterrement des morts du cimetière des Saints-Innocents (dont les dignes restes entassés dans les catacombes de Paris font frissonner désormais des hordes de touristes et de curieux dépenaillés) annonçait la violation des tombes royales et princières. Le Français commence par le vandalisme de la pierre, en rasant la Bastille, pour poursuivre ensuite les destructions, non seulement des monuments, mais des institutions. Un pays qui ne respecte pas son héritage est promis à la mort. Une Eglise qui ne chérit pas, comme la prunelle des yeux de ses fidèles, son héritage liturgique et sacré, est promise au dessèchement. Lorsque les déménageurs jacobins chargèrent sur des charrettes les trésors inestimables de Notre-Dame de Paris, de l’abbatiale de Saint-Denis et de la Sainte-Chapelle pour les présenter à la Convention, ils ajoutèrent au vol, le sacrilège et le blasphème. Le 21 brumaire an II (puisque le vandalisme s’attaquait aussi au temps chrétien), c’est-à-dire le 11 novembre 1793, un convoi de dix-sept voitures quitta « Franciade » (nouveau nom de Saint-Denis puisque le vandalisme désirait aussi éradiquer la topographie chrétienne) pour la Convention, débordantes du trésor de l’abbatiale royale. Alexandre Lenoir, chargé de rassembler toutes ces dépouilles avant la fonte, rapporte que « les charretiers s’étaient revêtus de chapes et de mitres. Ils ont ainsi amené par les rues ces monuments de la superstition. » Déposées devant l’Assemblée, ces insignes reliques, dont la tête de saint Denis, sont qualifiées de « reliques puantes », et l’orateur poursuit, grandiloquent et blasphématoire : « Ce crâne et ces guenilles sacrées vont enfin cesser d’être le ridicule objet de la vénération du peuple. L’or et l’argent qui les enveloppent vont contribuer à affermir l’empire de la raison et de la liberté.

Saints, saintes, montrez-vous enfin patriotes : levez-vous en masse ; partez pour la Monnaie.

Nous vous apportons, citoyens législateurs, toutes les pourritures dorées qui existaient à la Franciade. »

                        Le vandalisme artistique annonce les vandalismes spirituel et politique. Un peuple qui, depuis l’hérésie protestante, a participé à la violation et à la destruction des reliques, perd son âme et sa colonne vertébrale. Le vandalisme prend son élan et ronge tout ce qu’il trouve à sa portée, finissant en vandalisme moral et familial. Nous avons atteint ce stade. Le vandalisme est progressif. A l’époque des guerres de religion, il fut le fait d’une partie de la population, tandis que l’autre demeurait fidèle. Durant la révolution, il fut imposé bien souvent à un peuple qui demeurait attaché à sa foi et à ses traditions. Dans les deux cas, l’Eglise, blessée, demeura ferme dans la foi. Désormais, le vandalisme vient des ecclésiastiques eux-mêmes. Pas de quelques-uns parmi eux mais d’une grande majorité, à commencer par la hiérarchie qui a ordonné des dépouillements et des destructions irrémédiables, pas seulement pour suivre le goût du temps, mais dans un rejet du caractère sacré de la divine liturgie et des temples dans lesquels elle est célébrée. Peu d’églises de France ont échappé à l’iconoclasme clérical, et aucune cathédrale. Il est intéressant de noter qu’un soin particulier a été consacré par les prêtres pour faire disparaître les reliquaires et les reliques des sanctuaires et des autels. Ce qui n’a pas été détruit se retrouve sur des marchés aux puces. Nul besoin à ce stade de protestants et de révolutionnaires, puisque les clercs réduisent à néant leur héritage.

                        Le vandalisme s’engouffre dans la brèche et a beau jeu, trouvant la tâche facile, de mettre à bas tout ce qui était solide comme la pierre. Depuis des décennies, le monde politique a procédé, avec un acharnement de violeurs de tombes, à la destruction des valeurs morales et familiales, et cela n’est pas terminé. Le modèle suivi est celui initié par les protestants et édifié par les révolutionnaires : faire table rase de tout ce qui peut rappeler les racines catholiques de la France. Ce n’est pas par hasard, si, lors de la reconstruction de tant de monuments parisiens brûlés par les communards, la république refusa de restaurer le palais des Tuileries qui aurait pu facilement l’être. Ce symbole de l’autorité royale aurait risqué d’entretenir bien de la nostalgie dans l’esprit des Français. La république a même ajouté au vandalisme la provocation franc-maçonne en érigeant une pyramide au cœur du Louvre.

                        La destruction poursuit son cours en France, même si, pour l’instant, on ne martèle plus les statues des cathédrales. Il ne se passe pas un jour sans que l’héritage chrétien du pays ne soit abîmé et vandalisé, pas un jour sans qu’une déclaration politique ou médiatique montre à quel point la haine est soigneusement entretenue et diffusée.

                        Il nous incombe de protéger la pierre et l’âme. Partout où cela est possible, nous devons sauver ce patrimoine qui n’est pas seulement architectural mais qui est celui de la foi de nos pères, foi qui nous nourrit. Comme saint Augustin au cœur de ses murailles d’Hippone, nous sommes assiégés par les Vandales. Il faut fourbir les armes spirituelles pour les combattre.

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

                                                           Lundi des Rogations

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