Chretienté/christianophobie

Heureux les courageux

 

                                 Lorsque saint Ignace de Loyola propose au retraitant, lors du quatrième jour de la seconde semaine des Exercices spirituels de méditer sur les « deux étendards », il le place face à un choix réclamant du courage. Quel étendard choisir ? « Celui du Christ, notre souverain capitaine et seigneur » ou bien « l’autre, celui de Lucifer, mortel ennemi de notre nature humaine » (n° 136) ? Chaque cœur humain est partagé. Tout est mélangé en nous, comme dans un champ le bon grain et l’ivraie. Faire le vide et se séparer de ce à quoi nous sommes attachés, par faiblesse, par habitude ou par convoitise, réclame de notre part un courage hors du commun. Saint Ignace demande de regarder les moyens employés par Satan pour enjoindre les démons de partir à la conquête du monde : « Considérer le discours qu’il leur tient et comment il leur enjoint de jeter leurs filets et leurs chaînes : ils doivent tenter d’abord par la convoitise des richesses, comme c’est le cas le plus fréquent, afin qu’on en vienne plus facilement au vain honneur du monde et enfin à un orgueil immense. De la sorte, le premier échelon est la richesse, le second l’honneur et le troisième l’orgueil. Et par ces trois échelons, il amène à tous les autres vices. » (n° 142) Puis d’entendre l’invitation du Christ à la pauvreté, aux humiliations et à l’humilité, ce qui ne correspond guère à notre mouvement naturel et ne provoque pas notre enthousiasme au premier abord, sinon les vrais disciples seraient plus nombreux, y compris à l’intérieur de l’Eglise.

                                   Pour résister aux armées du diable, pour tourner le dos aux chatoiements de ce monde, il est nécessaire d’être revêtu du courage, à la fois comme vertu et comme don. Ce n’est pas d’être armé de pesantes cuirasses qui fera remporter la victoire mais de suivre la course indiquée par saint Paul dans l’Epître aux Philippiens III 13-14 : « Oubliant ce qui est derrière moi, et me portant de tout moi-même vers ce qui est en avant, je cours droit au but, pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut en Jésus-Christ. » Il faut détourner la tête et négliger toutes les troubles sollicitudes qui risquent de nous dévier de la direction pour laquelle nous sommes créés. Tâche bien ardue qui est sans cesse remise sur le métier car ce que l’on essaie de tisser aujourd’hui est souvent déchiré le lendemain. Sans se lasser, avec courage, nous devons reprendre le modèle et réparer les nœuds.

                                   Saint Thomas d’Aquin traite bien sûr du courage dans sa Somme théologique. Il est évidemment une vertu morale, puisque, en tant que force, une des vertus cardinales. Saint Thomas est ici essentiellement aristotélicien puisque ce philosophe avait traité de cette vertu dans l’Ethique à Nicomaque. Cependant, comme elle est cardinale, cette vertu est une fondation pour toutes les autres vertus. Le courage transmet donc une stabilité qui permet d’agir en toute action avec force et droiture (II-II, q.123). Et puis, le courage est un don du Saint-Esprit (II-II, q.139) puisqu’il est une vertu surnaturelle, comme le rapporte déjà le prophète Isaïe (XI.1-2) :

« Un rameau sortira du tronc de Jessé,

et de ses racines croîtra un rejeton.

Sur lui reposera l’Esprit du Très Haut,

esprit de sagesse et d’intelligence,

esprit de conseil et de force,

esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. »

Nous poursuivons la quête de la récompense de la vie éternelle et le don surnaturel de courage nous permet de faire face aux adversités, de faire tomber les obstacles pour atteindre ce but. Le Saint-Esprit nous emplit de cette confiance courageuse. Nous voilà donc armés, en vertu et en don. La lutte devrait ainsi être aisée et toujours victorieuse. Pourtant ce n’est point le cas, comme nous en faisons sans cesse la triste expérience. Nous pensons orgueilleusement être harnachés mais l’armure possède des failles et les démons sont prompts à les repérer. D’où tant de lâchetés qui nous font lâcher bride. Le courage n’est point de ne pas connaître la peur. Il est nécessaire parfois, par prudence, de reculer devant le danger. Foncer tête baissée n’est pas un signe d’intelligence. Mais adopter un profil bas alors que nous avons tous les moyens pour emporter la victoire est une bassesse. Un tel recul est souvent commandé par la soif d’être apprécié par le monde, pour soigner son image et sa carrière. Or, lorsque la vérité est bafouée quelque part, il est de notre devoir de nous lever et de tout risquer. Se taire à cet instant est perdre notre âme. Tant de silences dans l’histoire sont la cause d’iniquités. Pensons à celui de l’épiscopat français lors du vote de la loi Veil sur l’avortement. Heureusement, il existe aussi des prélats qui osent parler, au risque d’être dépossédés de leurs fonctions et de leurs titres lorsqu’ils déplaisent aux maîtres. Le courage ne se soucie pas de la réputation et des honneurs. Il est la force qui propulse tout droit vers le ciel et donc il ne se laisse arrêter par aucune des œillades que lui lance le monde. Dans le courage réside un dépouillement achevé. Peu de choses sont à nous. Le courage, lui, nous est donné sans compter en partage et nous l’utilisons bien médiocrement. Il ne s’agit pas d’avancer comme de preux chevaliers, tout le monde n’en a pas vocation, mais de ne pas se lasser de poursuivre sur la route qui est tracée par le Maître, sans souci des coups, des blessures, des humiliations, des arrachements imposés. Péguy, dans Eve, à longueur de strophes, exprime bien que ce n’est pas la force triomphante et brillante qui importe, mais l’humilité tenace qui va de pair avec le courage :

« Et ce ne sera pas ces hardis capitaines

Qui nous emporteront la droite forteresse.

Et ce ne sera pas ces gantés de mitaines

Qui nous arracheront d’une pauvre détresse.

Et ce ne sera pas ces hardis capitaines

Qui nous emporteront la roide forteresse.

Et ce ne sera pas ces gantés de mitaines

Qui nous arracheront d’une molle détresse. »

L’être le plus courageux n’est pas forcément celui qui a le plus d ‘éclat mais plutôt celui qui accueille la réalité sans broncher, y compris lorsqu’il est victime d’injustice. Saint Paul écrivait aux Corinthiens : « C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses, pour le Christ ; car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort” (II Cor XII.10). Fort, c’est-à-dire courageux puisque conforme aux dons du Saint-Esprit.

Nous avons bien besoin de courage au jour le jour. Il est possible que nous devions monter dans l’avenir à l’échafaud ou tomber comme martyrs de la foi catholique, mais en attendant, nous pouvons nous exercer pour le courage ordinaire et quotidien. Tout se passe d’abord dans le secret du cœur. Les avancées ne sont jamais très spectaculaires mais la ténacité fait la différence et nous conduira un jour au Royaume que nous espérons.

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

                                                           Saint Antoine le Grand

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